Publié le 28 novembre 2019 |
0La personnalité de l’animal, une solution juridique ? (3/3)
Par Anne Judas, revue Sesame INRA
Le 22 octobre, La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) organisait le colloque « Droits et personnalité juridique de l’animal » à l’Institut de France (voir ici). Deux tables rondes y réunissaient des juristes, dont Robert Badinter, et une philosophe, Florence Burgat, directrice de recherche à l’INRA. C’était passionnant.
Pour ouvrir la seconde table ronde du colloque, Florence Burgat a parlé en philosophe, avec force, de « la raison qui se rebelle » devant les contradictions de notre droit (voir ici). L’animal traité comme un bien, dont l’usage entraîne la destruction, alors qu’il est défini comme un être sensible dans la même phrase du même article (l’article 515-14 du Code civil), « c’est une contradiction qui énonce le mal qu’elle fait ».
Le droit animalier « n’est pas un droit bête »
C’est par cette formule que Jean-Pierre Marguénaud, professeur de droit, a ouvert son exposé. Le droit animalier, c’est même tendance pourrait-on dire : un vent de personnification souffle sur les décisions de justice, partout dans le monde. En Inde, des dauphins, en Colombie, une chimpanzé et en France (Nouvelle-Calédonie), des espèces de tortues et de requins, qui sont des totems pour les populations canaques, se voient reconnaître une personnalité juridique.
Qu’on se rassure cela est très solidement fondé1. Puisqu’on considère que la personnalité juridique est souhaitable pour protéger l’animal, elle serait aussi commode pour faire disparaître la contradiction inscrite dans l’article 515-14 du Code civil, et qui fait des juges, révérence gardée, « des chiens qui chassent le hérisson ».
En effet cette personnalité juridique éviterait qu’il faille recourir au pénal pour assurer la protection des animaux en l’inscrivant dans le droit civil.
Le débat de droit
Laurent Neyret, professeur de droit de l’environnement, veut marquer tout d’abord que la sensibilité humaine progresse dans les sociétés, comme le montrent les résultats du parti animaliste aux élections européennes, et encore au Portugal tout récemment.
Cette sensibilité humaine a augmenté en particulier avec les images diffusées, comme celles de zoos ou d’abattoirs. Mais il n’est pas facile de trancher entre différentes sensibilités. Faut-il s’émouvoir si les ours risquent de disparaître ou s’émouvoir avec les éleveurs quand leurs brebis sont attaquées par ces ours ?
Dans les faits, il constate que la vulnérabilité des animaux augmente : d’abord avec la sixième extinction des espèces en cours, ensuite avec les trafics. Le trafic d’animaux est le quatrième au monde après les armes, la drogue, le trafic d’êtres humains.
Que faire ?
Laurent Neyret plaide alors pour des solutions qui ne soient pas seulement juridiques mais aussi normatives. Soft law, hard law, tout est bon à prendre. Pourquoi ne pas exiger des obligations d’information de la part des entreprises, comme c’est le cas sur d’autres sujets ?
Deuxième point, ce ne sont pas les mêmes juristes qui travaillent sur la personnalité animale et celle de la Nature dans son ensemble, or on constate une avancée certaine dans ce domaine (« Pachamama », en Equateur par exemple). Or le droit est performatif : son discours pose des actes. Nous sommes dans un mouvement qui va tendre au respect de l’homme envers l’animal, dans la loi comme en dehors. On peut donc renforcer la protection animale en s’inspirant du combat qui a été celui de la reconnaissance du préjudice écologique, et en oeuvrant de concert.
Des questions, toujours
Qu’est-ce qui a changé, depuis 2015 et l’animal reconnu « sensible » par le Code civil ? Eh bien, la jurisprudence. Depuis 2015, il y a de plus en plus de condamnations prononcées pour mauvais traitement à animaux. Des arrêts reconnaissent le caractère unique et irremplaçable d’un animal pour son maître (Cour de cassation , CC1, 9 décembre 2015) ou les conséquences excessives d’une expulsion sur des animaux (CA Poitiers).
Un parlementaire présent a souligné le besoin d’arguments compréhensibles par ses collègues. Il a rappelé les 50 millions de poussins mâles broyés, la castration à vif des porcelets (etc.), des lois qui pourraient protéger l’animal contre ces pratiques et qui ne le font pas. Que faut-il leur dire pour les convaincre de voter ces lois ?
Jean-Paul Marguénaud indique qu’il serait possible d’étendre la cruauté aux animaux du domaine naturel par exemple, bref de rechercher dans le droit pénal des méthodes alternatives. Laurent Neyret approuve : le législateur a une action à mener mais le consommateur aussi, par la consommation, le « naming and shaming », l’exigence de bonnes pratiques et de reporting. Et Louis Schweitzer le souligne, il le faut, on le doit, il y a une véritable attente de la société sur cette question.
La conclusion de Robert Badinter
Contrairement aux droits de l’homme depuis 1948 (droits des détenus, par exemple) la protection des animaux a fait de grands progrès : en termes de droits (conventions internationales, législation de l’Union européenne) comme en termes de prise de conscience. Les associations défendant la cause animale sont richement dotées : en 2017, 56 millions d’euros de dons ont été versés à la Société Protectrice des Animaux.
Pour assurer la protection et la sauvegarde des animaux, est-ce que promulguer la Déclaration des droits est le moyen le plus efficace ? Selon Robert Badinter, il s’agit surtout des devoirs de l’être humain envers les animaux (plus difficiles à imposer). Beaucoup a été fait, ce n’est pas assez.
Une technique est de passer par l’effectivité des juridictions. Une autre est l’institution d’autorités indépendantes qui traitent de cas concrets et s’assurent que les droits fondamentaux sont respectés.
Voilà le conseil d’un grand avocat et d’un ancien garde des Sceaux. C’est aussi une piste pour avancer et une raison pour partager son optimisme, indique Louis Schweitzer, président de la Fondation, en refermant ce colloque.