La difficile équation de la relocalisation
Relocaliser les productions de fruits et légumes en France pour moins dépendre de nos principaux fournisseurs. L’idée est tentante mais la réalité se montre parfois abrupte avec les concepts. Pourquoi c’est beau sur le papier mais difficile à mettre en œuvre ? C’est le fil du mercredi 16 avril 2025.
Visuel : © Archives Yann Kerveno
Relocaliser, relocaliser ! Voilà un terme qui revient aujourd’hui souvent dans les conversations comme un boomerang de la mondialisation heureuse. Le contexte a bien bougé, il est vrai. Le changement climatique est venu bousculer les itinéraires culturaux, l’allongement des circuits de distribution en a augmenté la complexité, la menace sur la ressource en eau s’accentue… Les motifs d’inquiétudes sont légion et la relocalisation devenue un mantra, sans forcément regarder de près de quoi il retourne, même si des travaux explorent de temps en temps le sujet. En gardant à l’esprit que les importations représentent 70 % des fruits et 30 % des légumes que nous consommons en France et qu’entre 30 et 40 % d’entre eux ne peuvent être produits dans l’Hexagone car ce sont des produits exotiques…
En 2021, le cabinet AUDANIS avait planché là-dessus, dans l’absolu, et déterminé qu’il faudrait mettre 125 000 hectares de productions fruitières en culture et 53 000 hectares de maraîchage, soit en tout et pour tout 2 % de la SAU, peanuts en somme, pour se passer des importations des produits que nous sommes, serions, capables de produire ici. Comme toujours, entre l’absolu et la réalité, le gouffre est profond. Et large. Le Plan de souveraineté de la filière des fruits et légumes de 2023 était bien plus modeste, en proposant d’augmenter le taux d’auto-approvisionnement de la France en fruits et légumes de 5 points d’ici 2030 et de 10 d’ici 2035 alors qu’il s’était hissé à 50 % de nos consommations au moment du Covid… Avec des débours majeurs sur certains produits : kiwi à 33 %, Pêches nectarines à 54 %, aubergine à 39 %, courgette à 45 %, poivron à 19 %, tomate à 58 %…
Espagne, Maroc, Italie
Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux a donc tenté, dans un rapport publié en octobre dernier, de déterminer pourquoi et comment il est envisageable de ramener sous nos contrées des productions aujourd’hui implantées ailleurs, avec succès. Et ce, en regardant trois pays proches qui sont aussi les trois fournisseurs majeurs de nos linéaires : le Maroc, l’Italie et l’Espagne. De quoi doucher quelques enthousiasmes hâtifs.
Mais de quoi parle-t-on au juste ? Le Maroc, c’est la tomate fraîche sous toutes ses formes, accompagnée qu’elle est, durant la période hivernale, par la vaste famille des agrumes. En tout, c’est 500 000 tonnes de fruits et légumes frais importés, et la tendance à l’augmentation ne se dément pas. Au premier semestre 2024, la France est le premier client du Maroc et en absorbe la moitié des exportations. L’Italie nous fournit environ 400 000 tonnes de fruits et légumes frais par an, kiwis, pommes, poires, raisins, agrumes, artichauts, tomate d’industrie et des légumes dits « ratatouilles » dans le jargon (aubergines, poivrons, courgettes). Entrée dans l’Union européenne en 1986 après la fin du Franquisme, l’Espagne est notre premier fournisseur en fruits et légumes frais, fraises, melons, pastèques, agrumes, tomates, légumes ratatouille, plus la salade en hiver.
40 % du PIB Marocain
Les auteurs restent toutefois fort prudents et rappellent que « si la France ambitionne de relocaliser certaines productions agricoles, il est toutefois important de noter que cela ne pourra se faire que de manière limitée et ciblée. (…) Certaines cultures comme l’olivier, l’amande ou encore les agrumes, pourraient être relocalisées en France, notamment dans le sud du pays, à condition de viser un marché de niche à haute valeur ajoutée. Ces productions, adaptées aux conditions climatiques méditerranéennes, offriraient de nouvelles perspectives pour les agriculteurs français, mais il est évident que cela ne suffira pas à combler les besoins globaux de la France en fruits et légumes. »
Où l’on mesure mieux la difficulté, c’est lorsqu’on se plonge dans les chiffres. Au Maroc, la production agricole intensive pèse lourd, 14 % du PIB, 40 % de la population active et 85 % de la consommation d’eau. Mais les autorités ont suspendu l’an passé toutes les aides à la création de surfaces irriguées et poussent au développement de cultures peu gourmandes en eau. En Espagne, l’eau est aussi une problématique majeure, même si la sécheresse qui frappe le pays depuis 5 ans semble un peu moins intense aujourd’hui grâce aux pluies, parfois catastrophiques, de l’automne et de cet hiver. Les lacs et réservoirs sont pleins à 74 % dans le pays, c’est au-delà de la moyenne décennale et les zones en tension se comptent désormais sur les doigts d’une main. On y trouve toutefois de grands bassins agricoles, Almeria (10 %), Alicante (10 %) et Murcie (34 %). L’agriculture bouge, géographiquement parlant, avec un déplacement des zones côtières vers l’intérieur du pays pour les serres et vers le nord pour les vergers d’agrumes. Le contexte est le même en Italie qui perd des volumes mais gagne en valeur. Le rapport détaille aussi une couche supplémentaire du problème : la question de la main-d’œuvre, de sa disponibilité, de son prix, élément majeur de la compétitivité.
Des écueils ici aussi
Alors ramener les productions en France peut se révéler une bonne idée. Sauf que, comme toujours, ce n’est pas aussi simple ! Parce que le contexte climatique change aussi chez nous, notamment dans le Sud comme l’a montré une étude sur les productions fruitières menée dans 26 départements français. D’ici 2030, on attend +1,2 ° de température moyenne, un risque de gelée printanière accru (dans les trois quarts des départements concernés), un bilan hydrique en recul de 38 %, un rayonnement solaire en augmentation de 4,2 % avec, écrivent les auteurs, un risque de brûlure des fruits. La marche est haute mais plusieurs pistes sont proposées : le renforcement de la salade, dont la production devient plus risquée en Espagne notamment, ou encore l’arachide pour les cultures de plein champ. Sous serre, les évolutions sont plus « simples » à envisager dans la mesure où elles portent essentiellement sur le matériel (sources d’énergie) même si des diversifications sont tentées sur l’aubergine et les poivrons. En arboriculture, l’amandier, l’olivier, les agrumes sont cités mais avec un handicap, la nécessité de construire une filière complète en partant quasiment d’une feuille blanche.
Les rédacteurs du rapport posent ensuite les conditions d’une relocalisation réussie : l’établissement d’un consensus sur la gestion de la ressource en eau, une « stratégie phyto comprise et partagée par tous », la disponibilité et le coût de la main-d’œuvre (probablement le principal problème), le recours à la mécanisation et la robotisation (pour réduire l’impact du problème précédent), une meilleure organisation de marché, de la recherche, etc.
Pas gagné d’avance
Mais il faudra aussi compter avec les réactions des trois pays concernés : « (…) rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que ces pays envisagent de renoncer de manière significative à des productions de fruits ou de légumes. Les autorités et les professionnels du Maroc, d’Italie et d’Espagne ne s’inscrivent en aucun cas dans des stratégies de rupture mais bien dans des stratégies d’adaptation qui leur permettent de continuer à développer leurs productions moyennant des ajustements » écrivent en conclusion Bruno Godet et Patrick FALCONE avant d’inviter tout le monde à se retrousser les manches : « il est raisonnable de penser que c’est en travaillant sur nos forces et nos faiblesses, et non pas en misant sur d’hypothétiques difficultés de nos concurrents économiques, que notre autosuffisance en fruits et légumes pourra s’améliorer. » Pour venir en complément de la relocalisation opérée par le développement des circuits courts. Au boulot !