Publié le 30 novembre 2023 |
0La clé, c’est la compétitivité kiwi !
L’Union européenne a signé un accord de libre échange avec la Nouvelle-Zélande en début d’été. Voici pourquoi c’est crucial pour l’agriculture kiwi.
Il faut imaginer la fin du XVIIIe
La Nouvelle-Zélande a été « découverte » par l’explorateur hollandais Abel Tasman près de 130 ans auparavant — quand les deux premiers moutons débarquent sur la terre ferme du bateau d’un autre explorateur, James Cook. Malheureusement, les deux animaux, un mâle et une femelle, meurent quelques jours après avoir ingéré une plante dont ils ne connaissaient pas, et pour cause, la toxicité. Après ces débuts pour le moins dramatiques, où par ailleurs les premières vaches arrivent en 1814, il faut ensuite attendre le milieu du XIXe siècle pour que l’élevage des moutons s’y répande et fasse la richesse de l’agriculture locale. On y a compté en 1982 jusqu’à 70 millions de têtes, au pic de la production, avant que la rentabilité supérieure de l’élevage laitier fasse reculer le troupeau à 26 millions de têtes en 2020.
Les moutons ont aussi été pendant longtemps le fer de lance des exportations du pays, la laine ayant compté pendant quelques décennies pour un tiers des exportations et les premières exportations de viande congelée de moutons et d’agneaux survinrent dès… 1882 grâce à un bateau spécialement aménagé (mais c’est une autre histoire que nous vous conterons peut-être un jour).
Exporter coûte que coûte
Pour autant, si la Nouvelle-Zélande est devenue un grand pays exportateur de produits agricoles basés sur les pâturages, ses 5 millions d’habitants ne formant qu’un tout petit marché domestique, la trajectoire n’a pas été rectiligne. Au XIXe siècle, les esprits tendaient vers une trajectoire plus « méditerranéenne » pour le pays, avec le développement de cultures de céréales, de la vigne, des oliviers ou encore de la sériculture. Si le vin et les olives ont perduré et acquis, pour le vin au moins, une belle réputation sur le marché mondial, les prairies restent la colonne vertébrale de la production agricole (90 % de la SAU) avec une combinaison de ray-grass et de trèfle blanc, et elles furent traitées avec tous les soins de la modernité, fertilisation, protection phyto…
La Nouvelle-Zélande gagnera assez vite le surnom de « ferme de la Grande-Bretagne » quand les productions agricoles vinrent au secours de l’Europe à partir de la Première Guerre mondiale, après qu’un « round d’échauffement » a eu lieu avec la guerre d’Afrique du Sud quelques années auparavant. En 1914, les exportations de viande et de produits laitiers représentaient 90 % du chiffre d’affaires à l’export du pays ! Aujourd’hui encore, 90 % de la viande bovine et 95 % du lait et des produits laitiers produits en Nouvelle-Zélande sont exportés dans 130 pays et ce fut un sujet important au moment des négociations d’adhésion entre l’UE et le Royaume-Uni. Le pays est toujours très dépendant de ses clients extérieurs, en particulier de la Chine, d’où l’importance de la multiplication des accords de libre-échange recherchée par le gouvernement néo-zélandais.
La clé, c’est la compétitivité !
Selon le syndicat agricole anglais NFU qui se demandait en 2022 quel serait l’impact d’un accord de libre-échange entre la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, le coût de production de l’agneau en Nouvelle-Zélande est de 63 % inférieur à celui qu’il est au Royaume-Uni, pour le lait c’est 25 %. Raisons invoquées par le syndicat, le climat, qui dispense de loger les animaux sur de longues périodes hivernales comme c’est le cas en Europe, mais aussi une densité de population très « light » qui ne créée pas de concurrence pour les terres, des exploitations plus grandes, le recours à diverses sources de travailleurs saisonniers (même si les problèmes de recrutement se posent aussi là-bas) et surtout l’accès à une gamme bien plus étendue de produits phytos…
Mais où sont passées les aides de l’Etat ?
La Nouvelle-Zélande est aussi connue pour avoir, en 1984, supprimé les aides à l’agriculture, imaginées au début des années 1970 pour atténuer les à-coups du marché et qui avaient eu pour effet de réduire la productivité et la réactivité des producteurs. Un krach qui pousse alors nombre d’agriculteurs à abandonner le métier et voit le troupeau d’ovins finalement supplanté par la production laitière… Aujourd’hui, le soutien de l’État représente moins de 1 % du chiffre d’affaires de l’agriculture et les prix de marché sont ceux du marché mondial, sauf pour les œufs et la volaille fraîche qui ne peuvent pas être importés… L’action de l’État porte essentiellement sur les infrastructures, l’irrigation en particulier.
Et la limitation des émissions de gaz à effet de serre, en particulier du méthane, 25 fois plus puissant que le CO2 émis par la digestion des ruminants, soit les 5 millions de vaches laitières et les 25 millions de moutons… C’est un des aspects du programme « Fit for a better world » lancé en 2020 qui doit transformer l’agriculture du pays dans trois domaines, la productivité, pour aller chercher plus de marchés à l’export, la durabilité, c’est là qu’on parle des gaz à effets de serre et l’inclusion, pour employer plus de travailleurs locaux.
Réduire de 47 % les émissions de méthane d’ici 2050
Souvenez-vous, on a beaucoup parlé l’an passé de cette mesure annoncée par le gouvernement de Jacinda Ardern de taxer les émissions de méthane, levier retenu pour inverser la courbe des émissions. Les tracteurs avaient même pris le chemin des villes en guise de protestation et suscité parfois plus de doutes que d’enthousiasme. Devant le ramdam, l’application du dispositif, dénoncé par le monde agricole comme susceptible de nuire à la compétitivité des produits, a été reportée à fin 2025, sagement après les élections… Le sujet est sensible. L’ambition, réduire de 47 % les émissions de méthane d’ici 2050, implique des diminutions de cheptels, des fermetures d’élevages et une réduction de 20 % du revenu des éleveurs de bovins et d’ovins en 2030. Le mouvement est déjà à l’œuvre qui voit des agriculteurs vendre leurs terres à des investisseurs qui plantent des forêts pour compenser les émissions d’autres secteurs.
Mais comme le font remarquer parfois quelques esprits chagrins : que gagne réellement la planète à réduire les émissions de méthane des vaches laitières ou des ovins, si le beurre ou les gigots produits sur place traversent ensuite les océans en bateaux pour être vendus en Europe ? Vous avez trois heures.