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Tout un monde Groenland © Mikhail Nilov

Publié le 1 avril 2025 |

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Groenland : en pôle position

Longtemps perçu comme une terre austère dominée par la glace et les vents polaires, le Groenland est aujourd’hui un territoire tout à fait prometteur pour de nouvelles perspectives agricoles et halieutiques. Face aux mutations climatiques et aux ambitions géopolitiques grandissantes, la plus grande île du monde se révèle porteuse d’opportunités pour l’agriculture, la pêche ou encore l’exploitation des ressources naturelles. Autant d’enjeux qui transforment progressivement le paysage économique et social groenlandais et, pourquoi pas, la face du monde. Une chronique pour le 17e numéro de la revue Sesame (parution en mai 2025).

Par Claire de Marignan, chargée d’études et des relations institutionnelles, Club Demeter.

Territoire autonome du royaume du Danemark, le Groenland bénéficie d’une souveraineté politique croissante, bien qu’il soit encore dépendant pour les questions de défense et de politique étrangère. Il existe par ailleurs un mouvement, porté par la plupart des habitants et des partis politiques de l’île, en faveur de l’indépendance totale.

Le Groenland est l’un des territoires les moins densément peuplés au monde.

L’île s’étend sur plus de 2,1 millions de km², soit quatre fois la France. Avec une densité moyenne de 0,03 habitant au km2, le Groenland est donc l’un des territoires les moins densément peuplés au monde. Nuuk, la capitale, regroupe à elle seule plus d’un tiers de la population totale de l’île. Les deux tiers restant se répartissent le long des côtes sud et ouest, où les températures sont plus clémentes.

Au sud, des cultures jusqu’ici inimaginables

Le climat est polaire avec des températures extrêmes et des variations saisonnières marquées. En moyenne entre – 40 °C en hiver et 5 °C au plus chaud de l’été. Sur le plan agricole, le territoire est confronté à des défis majeurs : outre le climat rigoureux qui limite grandement les cultures, la plupart des sols sont gelés – plus de 80 % sont recouverts de glace – et l’accès aux ressources nécessaires à l’agriculture traditionnelle est restreint. Par ailleurs, la logistique est complexe : seuls 150 km de route sillonnent l’île, dont uniquement 60 km goudronnés.

Dans le sud du Groenland, des agriculteurs cultivent désormais des tomates, des carottes et même des fraises.

Le changement climatique entraîne toutefois une hausse des températures dans la région, prolongeant la saison de croissance des cultures et ouvrant la voie à des initiatives agricoles jusqu’ici inimaginables. Dans le sud du Groenland, des agriculteurs cultivent désormais des tomates, des carottes et même des fraises, grâce à des techniques adaptées aux conditions locales (serres chauffées, fermes verticales sous contrôle…). Ces avancées permettent de réduire la dépendance alimentaire d’une population historiquement tributaire des importations venues du Danemark et d’autres pays européens. Parallèlement, l’élevage ovin se développe, notamment dans les fjords du sud, où la végétation devient plus abondante et nutritive.

La pêche, 25 % du PIB

Grâce à un littoral de 39 000 km, les activités économiques du Groenland sont depuis toujours orientées vers la mer. La pêche (essentiellement crevettes nordiques, morue, saumon, flétan noir…) constitue le cœur économique de cette île : entre 92 et 98 % des exportations, soit environ 25 % du PIB du Groenland. Mais, si cette industrie est une activité essentielle pour l’île, elle ne joue qu’un rôle marginal à l’échelle globale. Selon la FAO, le Danemark (Groenland compris) ne se place en effet qu’à la 23e place mondiale. La pratique de l’aquaculture, elle, est encore presque inexistante, les coûts d’exploitation restant très élevés et les conditions climatiques défavorables à de telles pratiques.

Toutefois, la forte dépendance de son économie à la pêche expose le Groenland aux fluctuations des stocks et aux variations des prix internationaux. Pour assurer la durabilité de cette ressource, des efforts sont menés depuis quelques années par le gouvernement afin de promouvoir une gestion écosystémique, combinant quotas de capture et surveillance accrue des stocks halieutiques. Par ailleurs, les autorités locales encouragent la diversification des activités maritimes, notamment par la valorisation des sous-produits de la pêche pour l’industrie alimentaire et cosmétique.

Une farine de roche… au service de l’agriculture et de l’environnement

La richesse ancestrale de l’économie groenlandaise se trouve évidemment en mer mais, depuis quelques années, des découvertes prometteuses ont mis au jour de nouveaux trésors, bien terrestres, eux. La fonte des glaces a en effet permis de dévoiler une nouvelle ressource : la farine de roche glaciaire. Issue de l’érosion des glaciers, cette terre consiste en une poudre minérale très fine, riche en nutriments essentiels tels que le calcium, le potassium et le magnésium. Elle se forme lorsque les glaciers broient les roches en se déplaçant sur le sol par l’action de la fonte. Une fine poudre s’accumule alors à la sortie des fjords. Contenant nombre de minéraux et autres éléments nutritifs qui peuvent bénéficier aux plantes et au sol, cette farine se révèle on ne peut plus intéressante pour le monde agricole. Utilisée comme amendement, ce matériau permet d’améliorer la qualité pédologique, de réduire son acidité et d’en stimuler la productivité, notamment dans des régions où les terres sont pauvres en minéraux. Son incorporation permettrait également d’optimiser l’absorption de l’eau, de stabiliser les terrains et de renforcer la croissance des plantes. Une véritable révolution tant pour l’agriculture locale, par l’exploitation d’une ressource naturelle abondante et peu coûteuse, que pour soutenir la sécurité alimentaire mondiale. Ainsi, dans les zones tropicales par exemple, des expérimentations menées au Brésil et au Ghana ont montré que l’utilisation de cette farine permet d’augmenter la production de maïs de 30 %.

Une tonne de farine de roche glaciaire peut ainsi absorber entre 250 et 300 kilogrammes de CO2.

Mais il est une autre propriété intéressante de ces sédiments : ils captent le CO2 au contact de l’air ! Une tonne de farine de roche glaciaire peut ainsi absorber entre 250 et 300 kilogrammes de CO2 lorsqu’elle est épandue sur des champs, ce qui pourrait permettre aux agriculteurs du monde entier de vendre ces quantités de gaz à effet de serre ainsi capturés sous forme de crédits carbone. L’île produit un milliard de tonnes par an de farine de roche glaciaire, qui contribue à rendre fertiles des régions arides dans le monde entier. Ce chiffre pourrait considérablement augmenter dans les années à venir avec le réchauffement climatique.

À un carrefour décisif

La fonte du permafrost rend également accessible un sous-sol riche en nickel, or, zinc, uranium ou encore en terres rares. Ces matériaux utilisés dans les éoliennes ou les moteurs électriques, nécessaires à la transition énergétique mondiale, suscitent l’intérêt de nombreuses puissances étrangères. Si Donald Trump a clairement fait connaître son intention d’accaparer le Groenland, la Chine, la Russie et l’Union européenne surveillent de près les décisions politiques locales, tant il est probable que cette île devienne, dans les prochaines années, un acteur clé dans l’approvisionnement mondial en matières premières stratégiques. Sa position géographique, au cœur du Grand Nord et des routes maritimes qui deviennent peu à peu accessibles par l’action du réchauffement climatique, lui permet d’accéder géographiquement et géopolitiquement à une place toute particulière, au centre de la future économie mondiale.

Le Groenland se trouve à un carrefour décisif de son histoire. Si l’agriculture et la pêche offrent des opportunités nouvelles, la population de l’île tient à ce que son développement s’inscrive dans une stratégie équilibrée et durable. La gestion de ses ressources naturelles et les tensions géopolitiques qu’elles suscitent exigeront une gouvernance avisée pour permettre au territoire de se déployer sans compromettre son avenir. Dans cette dynamique, l’innovation scientifique, la collaboration internationale et la prise en compte des savoirs locaux seront autant de facteurs décisifs pour transformer ce territoire extrême en un laboratoire du futur, où tradition et modernité s’harmonisent, dessinant une économie et une agriculture résilientes et durables.

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