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Tout un monde Saumon sauvage

Publié le 25 novembre 2024 |

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France bleue : sauf dans l’assiette

Maïs brésilien, engrais russes, poulet polonais… Le sujet de la souveraineté alimentaire française prend de l’ampleur dans les débats. Pour autant, il y est rarement question des produits de la mer, dont 90% de notre consommation sont issus de l’importation. Alors, quels sont les enjeux propres à ce secteur ? Chronique extraite du 16e numéro de la revue Sesame.


Par Sébastien Abis,

Directeur du Club Demeter, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), enseignant à l’université catholique de Lille et à Junia, chroniqueur média et auteur.

 « Pour satisfaire l’appétit en protéines bleues des Français, il faut régler une facture de douze millions d’euros par jour. »


Pas de souveraineté française sur les produits de la mer

La France multiplie les débats, les conférences et les analyses depuis 2020 sur la situation de sa souveraineté alimentaire, observant ses niveaux d’autonomie s’éroder peu à peu et constatant des volumes d’importations depuis les marchés extérieurs qui révèlent de véritables interdépendances. Celles-ci peuvent être liées à des consommations de produits qui ne peuvent, pour des raisons géographiques, provenir de France. Parfois, il s’agit aussi d’écarts de coûts de production tels qu’il s’avère plus profitable de s’approvisionner hors du champ national, pratique qu’ont tendance à entretenir les grandes centrales d’achat de la distribution mais aussi la restauration, collective ou autre. La France présente de même des déficits d’offre à l’égard de demandes massives et qui ont connu une progression importante sur les tables.

« Plus de 90 % des poissons et crustacés consommés sur notre territoire sont importés. » 

Ainsi en va-t-il des produits de la mer qui constituent le segment alimentaire pour lequel nous avons le moins d’indépendance. Plus de 90 % des poissons et crustacés consommés sur notre territoire sont en effet importés. De 2020 à 2023, la France affichait en moyenne une balance commerciale négative de plus de quatre milliards d’euros en produits de la mer. Autrement dit, pour satisfaire l’appétit en protéines bleues des Français, il faut régler une facture de douze millions d’euros par jour. Il nous faudrait peut-être tirer la sonnette non pas d’alarme mais de bon sens, pour trois raisons :

1. Nous peinons à intégrer les produits de la mer dans les réflexions alimentaires, comme si cela n’était pas combinatoire avec ceux de la terre. D’ailleurs, notons que dans le nouveau gouvernement, la pêche et l’agriculture se trouvent dans deux ministères différents, une constante depuis plus d’une décennie. Même chose à Bruxelles avec la composition de la Commission Von der Leyen II qui distingue un portefeuille à l’agriculture et à l’alimentation et un autre à l’océan et à la pêche, laissant donc chacun évoluer dans son couloir de nage. Agriculture, pêche et aquaculture, des terrains de jeu différents mais un même rendez-vous final en cuisine !

2. Nous devons mettre cette impuissance en alimentation bleue en correspondance avec la puissance maritime de la France, qui dispose de la deuxième zone économique exclusive dans l’océan mondial. Un atout revalorisé depuis quelque temps et qui devrait aussi nous interroger autrement sur les activités à développer avec les territoires ultra-marins. Plus largement, le fait maritime allant crescendo, entre considérations géoéconomiques et climatiques, la France s’est mise à développer un nouveau narratif sur la mer au cours des dernières années. Reste à savoir comment elle peut le rendre cohérent avec ses propres intérêts sans en sous-dimensionner les aspects géostratégiques. À Nice se tiendra en juin 2025 la troisième conférence des Nations Unies sur l’océan. Serons-nous en capacité d’avoir une vision lucide sur tous les enjeux sans sombrer dans une optique idéaliste d’océan aquarium à contempler ?

« La France a fui trop longtemps l’aquaculture et les installations qu’elle nécessite » 

3. Nous avons, avec les produits de la mer, l’illustration de nos contradictions entre marchés significatifs de consommation et tensions industrielles domestiques (couvrez cette usine que nous ne saurions voir, par de pareilles installations les regards sont blessés…). La France a fui en effet trop longtemps l’aquaculture et les installations qu’elle nécessite, à la différence par exemple de la pétromonarchie norvégienne qui s’est positionnée sur cette filière dès les années 1970 ou de l’Écosse qui, s’inspirant de la France agricole, dépose désormais un label rouge sur son saumon… dont nous raffolons.

« La France est le 2e marché du saumon dans le monde »

Car, oui, c’est lui la star incontestée de nos assiettes, et plus seulement pendant les fêtes. La France importe quasiment toute sa consommation de saumon. Derrière le café, c’est notre deuxième poids lourd dans la catégorie des biens alimentaires qui passent à la douane : deux milliards d’euros par an en moyenne depuis 2020. Après le Japon, la France est le deuxième marché du saumon dans le monde (260 000 tonnes consommées, importées à 90 %) et le premier en Europe. L’Écosse, qui vend pour près d’un milliard d’euros de saumons par an dans le monde, a pour principal client la France. Mais notre fournisseur majoritaire, c’est bien la Norvège, à hauteur de 50 %. Par leur faim de saumon, les Français transfèrent ainsi un milliard d’euros par an vers ce voisin scandinave.

La France est également le premier marché européen du saumon fumé. Dans les linéaires de supermarchés, il a pris de la place. Dans les menus pour les entrées, il est souvent proposé. Tout au long de l’année, désormais, le saumon, frais ou fumé, s’invite sur la table des Français. Le produit de luxe s’est terriblement banalisé. Les Français, depuis deux décennies, en consomment toujours plus. La faute à sa couleur orange, attractive, comme elle l’est avec le spritz dans les verres ? Toujours est-il que, pour moitié, ledit saumon se mange frais en France, non sans être tiré parfois par des modes en forte croissance, comme les sushis. Le consommateur français clame son amour pour les circuits courts mais, comme souvent, y compris pour les produits de la mer, il préfère le lointain avec ce saumon ou les crevettes, autres égéries orangées1.

La transformation halioalimentaire se fait en France

La France compte un seul producteur de saumon en mer : l’entreprise AMP Saumon de France et son élevage à Cherbourg-en-Cotentin. Si elle est lauréate de l’appel à projet « France 2030 » et en pointe pour développer l’aquaculture avec cette espèce, elle apparaît bien seule… En revanche, l’Hexagone compte environ 600 sites piscicoles pour des poissons élevés en eau douce, comme la truite. Cela signifie que le saumon des Français passe par une étape indispensable de transformation (découpe, filetage, fumaison, salaison, conditionnement, etc.). C’est à Boulogne-sur-Mer que s’effectuent majoritairement ces opérations, la ville disposant du plus grand « hub » halioalimentaire de l’Union européenne.

Nous connaissons généralement la capitale de la Côte d’Opale pour son port de pêche ou son centre pédagogique sur l’océan (Nausicaà) mais nous ignorons l’existence, pourtant historique, d’une zone d’activité autour des produits de la mer, appelée Capécure, forte d’environ 250 entreprises spécialisées, générant 5 000 emplois directs et 2 000 indirectement. Tous les acteurs des produits de la mer et de la logistique du froid ainsi que les « Business Unit » du frais des enseignes de distribution sont présents à l’incontournable Capécure, capable de fournir en vingt-quatre heures l’ensemble des marchés européens. Et qui en est le roi ? Notre ami le saumon, représentant près de la moitié des volumes traités. Le géant norvégien de la salmoniculture, Mowi, ne s’y est pas trompé. Il est là, bien visible, avec une usine qui est le plus gros employeur du hub.

Faire du saumon : pas si simple

À Boulogne sur-Mer, un projet de ferme aquacole pour le saumon est en discussion. Ce n’est pas simple, entre une réglementation à la complexité généreuse et l’opposition d’associations qui militent pour l’interdiction de l’élevage ou pour la préservation du littoral. Il existe aussi des problématiques liées à la température de l’eau salée, qui doit être inférieure à quinze degrés, ou à des risques de conflits d’usage de la ressource hydrique et des espaces côtiers relevant d’autres activités, y compris touristiques. Les Français, à la mer comme à la campagne, n’apprécient pas toujours qu’il puisse y avoir une vie économique et industrielle source de nuisances sonores, olfactives et visuelles. Donc du saumon dans l’assiette, mais surtout pas issu de cette France bleue, pardi !

Il ne faudrait toutefois pas taire d’autres défis, à commencer par le financement d’une production de saumon intensive en capital et pas si facilement rentable, sauf à grande échelle. Insécurité juridique et sociétale mais aussi financière, donc, pour quiconque se lance dans le saumon « made in France », car celui-ci présentera une compétitivité-prix bien moins favorable. Soutenir la salmoniculture et faciliter la construction de sites de production, valoriser la truite auprès des citoyens pour contrebalancer le saumon, accepter de payer plus cher sa nourriture locale et nationale, qu’elle soit terrestre, aquacole ou halieutique… Autant d’axes à creuser dans les prochaines années.

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  1. Notre dépendance aux importations de crevettes est proche de 100 %. C’est le deuxième déficit commercial le plus important (hors préparations) de notre commerce extérieur de produits de la mer (troisième en volume, après le thon). ↩︎

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