Publié le 19 mars 2018 |
1[Equitable] Symbole des Producteurs Paysans : encore un label de commerce équitable ?
Par Bernard de Boischevalier, président de SPP France
Oui et non ! Le Symbole des Producteurs Paysans1 est certes un label de commerce équitable, mais il est plus que cela : c’est une organisation qui naît en 2006 en réponse aux nombreuses fois où le commerce équitable s’est éloigné de ses principes et de son esprit.
Sa présidente, Rosa Guaman, paysanne équatorienne, le dit : « Nous, les petits producteurs, nous avons toujours recherché la justice, l’équité, la transparence et la démocratie. Nous, les petits producteurs, devons être les protagonistes de notre propre développement pour nous inclure dans le marché global. Notre participation doit être active dans ce processus.
C’est pour ces raisons que nous avons créé le Symbole des Producteurs Paysans. Nous avons choisi de créer un label pour bien nous identifier comme petits producteurs, comme producteurs paysans.
Nous voulons agir, nous voulons participer, nous voulons diriger notre destin sur le marché. C’est la finalité, c’est notre finalité. Vous le comprenez, le Symbole est bien plus qu’un label, c’est un mouvement pour défendre nos valeurs et nos droits et les faire respecter. Nous voulons un commerce équitable avec une participation réelle des paysans et le respect de leurs droits. »
Le label SPP appartient aux producteurs du commerce équitable regroupés dans SPP GLOBAL, une association qui a son siège à Mexico, et c’est une de ses grandes spécificités. Il certifie exclusivement des coopératives de petits producteurs ayant une vision de développement, un fonctionnement démocratique et transparent et de réelles fonctions économiques.
Il garantit une agriculture paysanne à petite échelle : au moins 85 % des membres de la coopérative doivent posséder moins de 15 hectares de terre en production (ou moins de 1 ha sous serre).
Les prix sont définis sur la base des coûts de production, afin qu’ils soient rémunérateurs. Les arbitrages sont réalisés par des commissions avec les organisations concernées.
Il vise à renforcer la position des organisations dans la filière : exportation directe, transformation sur place, soutien des organisations plus expérimentées.
Du côté des acheteurs
Enfin SPP, là aussi, est différent d’autres systèmes, il demande un engagement durable et dynamique des acheteurs, au-delà de l’absolue traçabilité physique. Les acheteurs doivent réaliser au moins 5 % de la valeur totale de leurs achats de produits pour lesquels il existe des organisations de petits producteurs certifiées dès la fin de la deuxième année, et cela doit atteindre 25 % à l’issue de la sixième année. Il s’agit d’éviter là le « fair washing » qui récupère l’image du commerce équitable sans un engagement minimal conséquent.
Une analyse critique
L’analyse des organisations membres de SPP, c’est qu’il y a plusieurs visions du commerce équitable, dont une qui est de gagner de plus en plus de marchés, de croissance. Santiago Paz, de la coopérative péruvienne Norandino, l’explicite : « Nous sommes d’accord avec la vision de marché, de croissance. Il faut que le commerce équitable arrive jusqu’aux consommateurs dans les supermarchés. Mais l’important, c’est qu’il ne faut pas que ce soit de la croissance pour de la croissance. La croissance doit avoir un impact réel. Nous pensons que le commerce équitable n’est pas une fin en soi mais bien un moyen. L’impact le plus important du commerce équitable doit être, selon nous, le renforcement des organisations de petits producteurs.
Nous croyons en un commerce équitable d’aide et d’entraide. Les organisations de producteurs sont plus que de simples entreprises qui achètent et vendent du café, ce sont des organisations de développement. Et, c’est cela que l’on ne comprend pas depuis le Nord où, parfois, on voit l’impact du commerce équitable, la notion du développement, simplement comme une question de transfert d’argent. Le péril est qu’aujourd’hui le commerce équitable tend à disparaître en se rapprochant du marché conventionnel.
Le commerce équitable est né pour changer les choses et on voit que ce sont les multinationales et l’économie conventionnelle qui sont en train de changer le commerce équitable. »
Réparer un déséquilibre dans le commerce
Dans un contexte assez différent, Tomy Mathew Vadakkancheril, de Fair Trade Kerala (Inde), partage cette vision : « Au cœur de cette recherche de la justice dans le commerce, on trouve un principe : le déséquilibre dans le commerce doit être réparé. Il ne s’agit pas là de pitié ou d’une œuvre caritative, mais il s’agit d’une œuvre pour la justice. »
Et de l’illustrer concrètement : « Lorsque nous avons découvert le commerce équitable, c’était au moment précis où le Kerala avec son modèle de redistribution social unique en son genre faisait face à un défi : le facteur TINA – There Is No Alternative – [Il n’y a pas d’alternatives] avec l’obligation pour les producteurs de produire pas cher pour survivre sans avoir d’autre alternative.
Nous avons porté l’étendard du commerce équitable pour montrer qu’il y a de nombreuses alternatives. Face à une montagne de relations économiques défavorables, nous avons réussi à identifier ce « petit marché » équitable et nous avons découvert qu’il s’agissait aussi d’une relation de confiance et de dignité.
Un exemple très simple porte sur l’un de nos produits phares : les noix de cajou. Nous sommes une coopérative de 4 500 agriculteurs dont quelques 3 000 produisent des noix de cajou. Notre région est réputée pour cette culture avec plus de 60 000 producteurs de cajou. Notre coopérative de seulement 3 000 producteurs a réussi à influencer les prix du marché. Selon des estimations de l’industrie du cajou au Kerala, l’industrie a dû payer environ 5 000 millions de roupies indiennes de plus parce que notre coopérative rémunérait correctement ses producteurs.
L’impact du prix équitable s’est ressenti sur le marché en entier, pas seulement pour nos 3 000 producteurs mais pour les 60 000 producteurs de cajou de la région.
Cependant, notre coopérative qui dans sa jeunesse a vécu une situation économique très difficile et a réussi à les dépasser, doit maintenant relever de nouveaux défis. Sur le marché, nous voyons arriver ce que j’aimerais appeler des organisations OGM, génétiquement modifiées. Évidemment, les OGM sont dangereux car ils changent l’ADN, et en l’occurrence l’ADN du commerce équitable, qui, nous le devons répéter encore et encore, est la justice dans le commerce. La charité représentée par la prime du commerce équitable qu’on aime montrer partout, n’est pas le commerce équitable. Elle sert à rassurer des consciences coupables. Le commerce équitable doit trouver le bon prix et, évidemment, cela passe par un prix minimum.
Mon expérience est donc très claire : le cœur et l’âme d’un mouvement qui a su apporter une certaine dignité à des millions d’exploitants et de petits producteurs est maintenant mis en danger au nom de l’expansion du marché. Il y a une recherche de volume sans qualité, il y a une recherche de “modifications génétiques” pour arriver à une variété à fort rendement.
Avec une quête de développement rapide du marché équitable, en recherchant la labellisation d’un maximum de produits pour plus de parts de marché, je pense que nous avons emprunté des voies artificielles. Nous avons cherché des voies à haut rendement et, selon moi, cela a des conséquences extrêmement néfastes pour les communautés. Nous devons utiliser ce nouveau label pour soutenir les vraies valeurs du commerce équitable. Il me semble important de réaffirmer le résultat de nos expériences : quand le commerce équitable est exigeant et appliqué selon ses principes d’origine, il est porteur d’impacts et de fruits extrêmement positifs pour le développement. »
La nécessaire réorientation
SPP milite donc pour une nécessaire réorientation du commerce équitable, non pas à la recherche d’une origine sans tache qui aurait été perdue, mais comme exigence critique pour redonner, dans un univers changeant où s’entremêlent dans la tête de beaucoup de consommateurs l’équitable, le circuit court, le bio, le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises etc., son véritable sens et son véritable objectif à cette démarche pour la justice économique.
Chez SPP, le pouvoir de décision est aux mains des organisations paysannes membres. Mais les organisations paysannes ont besoin de travailler conjointement avec les acheteurs et les consommateurs qui partagent leur vision. L’association SPP France se veut un outil de soutien et de promotion ici : promotion du label auprès d’entreprises désireuses de s’engager dans la démarche, promotion aussi auprès des consommateurs, avertis ou non, et partie prenante dans les débats sur le commerce équitable dans notre pays et sur les évolutions législatives ou réglementaires du secteur.
Plus d’informations sur www.spp-france.fr
Excellent article, description et explication sans pareil des enjeux derrière le SPP. Santiago Paz et Rosa Guaman parlent si bien des valeurs et objectifs du mouvement, là nous constatons et comprenons l’évolution de l’initiative et comment elle se distingue des « labels » et des autres certifications du commerce équitable.
Un noble et poétique atterrissage !
Félicitations à Bernard de Boischevalier.