De l'eau au moulin Vaches au pré. Domaine INRAE du Pin au Haras

Published on 29 novembre 2022 |

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« Elles ont bon dos, les vaches ! »

Par Claude Aubert, ingénieur agronome

Claude Aubert est l’un des pionniers de l’agriculture bio. Il vient de publier un bel ouvrage en défense et illustration des vaches et de certains modes d’élevage. Voici son point de vue.

Des vaches et des gaz

« Les émissions de méthane sont à l’origine du changement climatique. Comment les réduire ? ». Tel est le titre d’une publication récente de l’ONU. Beaucoup vont comprendre que « les vaches sont à l’origine du changement climatique » puisque, lorsqu’on parle de méthane, on pense immédiatement à elles. Mort aux vaches, donc ? 

Ce discours convient très bien aux véganes, opposés à toute forme d’élevage, et à un nombre croissant d’industriels qui cherchent à promouvoir leur alternative : de la viande, du lait et du fromage sans vaches. Au terme de savants calculs, ils concluent que leur « viande » et leur « lait » émettent beaucoup moins de gaz à effet de serre que ceux provenant d’animaux. Cependant, cette comparaison n’est pas convaincante pour au moins deux raisons. D’une part, parce que estimer l’impact environnemental, et notamment les émissions de gaz à effet de serre, d’une activité qui n’a jamais été mise en œuvre à grande échelle est peu crédible. D’autre part, ils comparent leur technologie avec la production de viande et de lait par les méthodes d’élevage dominantes aujourd’hui, basées sur l’intensification, l’ensilage de maïs, les céréales et les tourteaux de soja, au bilan écologique et climatique désastreux. C’est certes le système dominant mais il existe aussi des élevages laissant une large place à l’herbe, ce qui diminue fortement leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre surtout si l’on tient compte de la séquestration de carbone dans le sol des prairies.

Quant aux comparaisons, en matière d’impact sur le climat, entre les protéines du lait et de la viande des ruminants et celles d’autres sources (monogastriques et plantes) elles sont biaisées pour plusieurs raisons :

  • Elles prennent comme références pour les ruminants les modes de productions intensifs,
  • Les comparaisons tiennent rarement compte de la séquestration de carbone dans le sol des prairies,
  • L’évaluation de l’impact du méthane sur le réchauffement climatique doit dans certains cas être revue à la baisse (voir encadré).

La vache, un animal à réhabiliter

Peu d’animaux nous sont aussi familiers que les vaches. Mais les connaissons-nous vraiment ? Pour les citadins que la majorité d’entre nous sont devenus, il faut aller au Salon de l’Agriculture pour en voir ou passer ses vacances dans une des rares régions où on peut encore en découvrir dehors, par exemple dans le bocage normand.

L’ouvrage de Claude Aubert vient de paraître aux éditions Terre vivante (2022).

De toute façon, il y en a de moins en moins dans les prairies, car elles sont nombreuses à ne plus quitter l’étable. Elles sont aussi moins nombreuses car les plus performantes produisent jusqu’à 12 000 litres de lait par an. Quant aux vaches allaitantes, élevées uniquement pour leur viande, leur nombre diminue en même temps que la consommation de viande. Alors, après tout, pourquoi pas un monde sans vaches ?

Il y a juste une chose que ces partisans du « zéro vache » ont oublié : les vaches dans une prairie n’y sont pas pour faire joli. Celles qui ont la chance d’y être conduites viennent s’y nourrir de l’herbe qui y pousse et, ce faisant, augmentent sa biodiversité, à condition qu’elle ne soit pas exploitée de manière trop intensive. Ce système, qui entretient les prairies et les fertilise avec des bouses et de l’urine, a très bien fonctionné pendant des millénaires, dès lors que l’éleveur veillait à éviter le surpâturage.

La course au rendement

Après la seconde guerre mondiale, les pouvoirs publics ont donné pour mission aux agriculteurs et aux instituts de recherche de trouver le moyen de produire plus, et notamment plus de lait par vache. Objectif atteint, puisque la production par vache est passée de 3000 à plus de 10 000 litres par an pour les meilleures. En utilisant les deux outils disponibles : la génétique et l’alimentation.

Il est en effet vite apparu qu’avec uniquement de l’herbe il est difficile, voire impossible, de dépasser 5000 litres de lait par vache, et qu’il faut compléter les fourrages grossiers (herbe, ensilage de maïs et autres) par des concentrés, à base de céréales et de tourteaux, souvent de soja. En effet, avec un bon patrimoine génétique et 8 à 9 kg par jour de concentrés, on arrive à doubler ce chiffre.

Ex-ten-si-fier

Or il y a une alternative, l’exact contraire du système qui a été mis en place depuis les Trente glorieuses puisqu’il s’agit de diminuer le nombre de vaches par exploitation, d’extensifier (un mot que l’on cherche en vain dans le dictionnaire !), d’élever les vaches principalement à l’herbe, de ne presque rien acheter à l’extérieur. Retour à l’élevage de nos grands parents ? Eh bien non, car l’élevage à l’herbe d’aujourd’hui fait appel à tous les acquis de la science et obtient des résultats étonnants. Beaucoup moins de lait par vache, certes, mais des coûts de production réduits au strict minimum (paille, minéraux, éventuellement un peu de céréales, produites ou non sur la ferme, peu de frais vétérinaires, et moins d’eau), parfois la possibilité de mieux valoriser le lait.

Quant au bilan écologique de ce système, il est exceptionnel. Par exemple, dans la ferme du Gaec des Ferrandaises1 le bilan carbone est de 0 ,13 kg CO2e par litre de lait contre 1 kg dans la moyenne des élevages français, soit 8 fois moins. Un chiffre estimé selon la méthodologie CAP’2ER, sachant que la valeur réelle du bilan carbone est encore meilleure car cette méthodologies sous-estime probablement la séquestration de carbone dans le sol et surestime les émissions de N2O avec une fertilisation organique. En optimisant tous les facteurs (gestion de l’herbe, biodiversité, pâturage tournant) on peut arriver à la neutralité carbone. Enfin, comme nous le montrons en encadré, dans le cas de l’Europe, la contribution au réchauffement climatique du méthane est très inférieure à celle qui résulte du calcul habituel.

Le paradoxe du méthane (Allen, 2018, Lynch, 2019). L’évaluation de la contribution du méthane au réchauffement climatique est faussée, au moins en Europe, par la non prise en compte de la courte durée de vie (12 ans) de ce gaz dans l’air. En effet si, comme c’est le cas en France et dans la majorité des pays européens, les émissions de méthane diminuent régulièrement depuis plus de 12 ans, les quantités émises chaque année font moins que remplacer celles qui ont disparu par oxydation. Il n’y a donc pas augmentation, mais diminution, de la quantité de ce gaz dans l’air. Or, le réchauffement est dû à l’augmentation de la présence des gaz dans l’air, ce qui est le cas avec les autres gaz (CO2 et N2O), qui restent dans l’atmosphère pendant plus de 100 ans.
D’où ce paradoxe : si les émissions de méthane diminuent régulièrement depuis plus de 12 ans, elles ne réchauffent pas l’air, et pourraient même le rafraichir si leur diminution est assez rapide puisqu’il y aura de moins en moins de ce gaz dans l’air. Si par contre on diminue les émissions de CO2, sans les supprimer, la température continue à augmenter, à moins qu’on n’arrive à séquestrer chaque année, dans la végétation, dans les sols et/ou par des techniques industrielles, autant de CO2 que la quantité émise.
Cette particularité du méthane est bien connue des spécialistes, mais elle n’a pas été prise en compte par le GIEC dans l’équivalence 1kg de méthane = 28kg de CO2, afin de disposer d’une méthodologie générale, sachant que la diminution régulière des émissions observée en Europe reste une exception par rapport au reste du monde.

La vache, source de richesses

L’écrivain américain Curtis Grant écrivait malicieusement « Pour avoir du lait, il ne suffit pas de s’asseoir sur un tabouret dans un pré et d’attendre qu’une vache passe ». On pourrait dire aussi, en le paraphrasant, qu’il ne suffit pas d’emmener des vaches dans un pré. Comme tous les éleveurs de bovins à l’herbe le savent, produire de l’herbe, cela s’apprend, et il faut être attentif à plusieurs choses : la hauteur de l’herbe quand on y met les vaches puis quand on les retire, combien on met de vaches sur un hectare (« le chargement »), pendant combien de temps on les laisse, avec quoi on fertilise et avec quelle quantité de fertilisants, minéraux ou organiques. Est-ce qu’on fait pâturer, est-ce qu’on fauche ? Quelle est la flore de la prairie et comment l’améliorer ? Mieux on maîtrise tous ces facteurs et meilleur est le résultat tant en production qu’en séquestration du carbone, cette dernière étant maximale avec un faible chargement (moins d’une UGB/ha) et une faible fertilisation, de préférence organique.

Sans vaches et moutons, qui entretiendrait les prairies et autres espaces où seule l’herbe pousse ? Réintroduisons des herbivores sauvages, répondent ceux qui n’aiment pas les vaches. Sauf qu’ils émettent également du méthane et que les gérer ne serait pas une mince affaire. On a beau chercher, les ruminants domestiques nourris à l’herbe restent la seule solution réaliste. Et si, faute d’être pâturées, les prairies s’enfrichent, elles deviennent inhospitalières et incapables de stopper la propagation d’un incendie, et leur biodiversité a toutes les chances de diminuer.

On a oublié aussi que les vaches étaient et sont des sources d’énergie – renouvelables : elles peuvent tirer une charrue ou une charrette, pratique encore très répandue dans de nombreuses parties du monde ; elles fournissent un combustible pour faire la cuisine, comme les bouses en Inde ; elles réchauffaient les habitations à l’époque où les vaches et les éleveurs habitaient sous le même toit. Et bien entendu ce sont d’indispensables sources de fertilisants.

La multinationale Cargill s’apprêterait à commercialiser un masque mis au point par la start-up britannique Zelp, fixé sur la tête des vaches et qui permettrait de réduire de moitié leurs émissions de méthane en l’oxydant en CO2 et vapeur d’eau. D’après certains médias, Cargill prévoirait de les louer 80 dollars par an. Rien que pour la France, si toutes les vaches en étaient équipées, cela ferait pour Cargill 600 millions d’euros. On n’arrête pas le progrès… et l’enrichissement des plus riches !

Par ailleurs, il faut cesser de faire des vaches les principales responsables des émissions de méthane. Elles y contribuent, certes, mais moins qu’on ne le pense. D’après les estimations actuelles les fermentations entériques seraient responsables de 27% des émissions anthropiques de ce gaz, contre 32% pour les combustibles fossiles et environ 20% pour les décharges à ciel ouvert, sachant que ces deux derniers chiffres sont sous-estimés. L’exploitation du gaz de schiste, notamment, émet des quantités considérables de méthane.

Archaïsme ?

Réduire les émissions des vaches n’en demeure pas moins une nécessité, notamment en diminuant leur nombre, mais jusqu’où aller ? Il faut sans aucun doute beaucoup moins de vaches allaitantes, pour accompagner la baisse de la consommation de viande. Pour les vaches laitières, la réponse n’est pas évidente. Dans l’hypothèse d’une généralisation de l’élevage extensif ou semi-extensif à l’herbe, la production par vache va diminuer. Il faudra donc probablement maintenir, en nombre, le cheptel actuel, à moins d’une très forte réduction de la consommation de produits laitiers. Cela n’empêchera pas une baisse des émissions de méthane, car celles par vache diminuent lorsqu’elles produisent moins. D’autre part, trop peu de ruminants, ce serait trop peu de déjections et de fumier, donc davantage d’engrais azotés chimiques.

Une des plus grandes erreurs de l’agriculture d’aujourd’hui est d’avoir permis la séparation de l’agriculture et de l’élevage, rendue possible par l’utilisation massive d’engrais de synthèse pour apporter l’azote que fournissaient les déjections des vaches. Mais qui, jusqu’à une époque récente, a dit aux agriculteurs que le fumier apporte aussi du carbone et que, faute de cet apport, les sols allaient s’appauvrir en matière organique ? C’est ce qui est arrivé. En 1962, René Dumont écrivait, pensant notamment à l’Afrique : « la séparation de la culture et de l’élevage caractérise l’archaïsme d’un système de production ». Faut-il en conclure que notre agriculture, prétendument moderne, est en réalité archaïque ?

Enfin, et même si c’est rarement pris en compte, la vache est un animal très proche de nous. Physiologiquement moins que le porc, mais beaucoup plus célébrée dans bien des cultures – c’est même presque un animal de compagnie pour beaucoup d’éleveurs.

Je ne résiste pas au plaisir de terminer par une citation du livre « Vaches », de l’écrivain Frédéric Boyer2 : « Quand il n’y aura plus aucune vache vivante sur pattes sur la terre une obscure terreur s’emparera de nous tous les survivants ».

Références bibliographiques

Allen R.M. et al., 2018. A solution to the misrepresentations of CO2-equivalent emissions of short-lived climate pollutants under ambitious mitigation, npj Climate and Atmospheric Science, article n°16.

Dollé J.B. et al., 2013. Contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production, Fourrages, 215 : 181-191.

Dumont B., Farrugia A., 2020. Concilier production à l’herbe et biodiversité : l’exemple de la rotation écologique. Revue Sesame INRAE, 2021, n°7, p. 52-54, https://www.cairn.info/revue-sesame-2020-1-page-52.htm

Idele, 2021. Emissions de méthane entérique : comment les réduire ? Conférence Grand
Angle Lait, https://idele.fr/detail-dossier/replay-grand-angle-lait-2021-les-supports-et-les-videos-des-intervenants

INRAE, 2021. Vaches laitières, l’avenir est-il dans le pré ? Dossier de la Revue Ressources, numéro 1. https://www.inrae.fr/dossiers/vaches-laitieres-lavenir-est-il-pre

Lynch J., 2019. Availability of disaggregated greenhouse gas emissions from beef cattle production: A systematic review, Environmental Impact Assessment Review, 76: 69-78.

ONU, Programme pour l’environnement, 2021. Les émissions de méthane sont à l’origine du changement climatique. Comment les réduire. https://www.ccacoalition.org/en/resources/global-methane-assessment-full-report

Réussir, 2022. Un masque pour réduire les émissions de méthane des vaches, https://www.reussir.fr/lait/un-masque-pour-reduire-les-emissions-de-methane-des-vaches


  1. Voir l’ouvrage de Claude Aubert, 2022. « Qui veut la peau des vaches ? », Editions Terre Vivante, p. 123.
  2. Frédéric Boyer, 2008. « Vaches », Editions P.O.L.

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4 Responses to « Elles ont bon dos, les vaches ! »

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  4. Lecomte Thierry says:

    Bonjour, je partage à 100% l’ avis général de cet article,
    j’ ai été confronté en tant que jeune conservateur de réserve naturelle (Marais Vernier, Normandie) à la déprise agricole, laquelle en embroussaillant l’ espace faisait perdre des pans entiers de biodiversité. j’ ai “rectifié le tir” en réintroduisant Bovins, équins et ovins rustiques ce qui a permis de restaurer des pans de biodiversité et des fonctionnalités écosystémiques de première importance…
    depuis plusieurs années je me suis ainsi spécialisé sur l’es interfaces entre herbivorie, biodiversité et fonctionnalités. je continue à expérimenter avec mon “labo à ciel ouvert” : 78ha de zones humides, à publier, à enseigner, a proposer des conférences, à réaliser des expertises…..
    en 1979, date de mise en oeuvre d’une expérimentation originale, pratiquement tous les professionnels – éleveurs, vétérinaires, agronomes, zootechniciens – m’ont prédit que je courrais à la catastrophe avec mon projet …………. et j’ attends toujours la catastrophe !!! ma centaine d’ herbivores va bien et les résultats en termes de biodiversité sont magnifiques….
    Dr Thierry Lecomte, Conservateur de la RN des Courtils de Bouquelon

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