Publié le 6 juillet 2018 |
0[CRISPR-Cas9] Du blé, des souris et des hommes
Par Sylvie Berthier
Convaincues de la « maternité » de la découverte par E. Charpentier et J. Doudna, leurs universités (UC Berkeley, Californie) déposent légitimement une demande de brevet pour CRISPR-Cas9 capable de couper, corriger, remplacer un morceau d’ADN, ce qu’elles ont démontré in vitro, en 2012, sur des cellules de procaryotes (organismes unicellulaires, comme les bactéries, dont l’ADN n’est pas enfermé dans un noyau).
Rebondissement : en 2013, un nouvel article de Science rapporte que Feng Zhang et son équipe du MIT (Massachusetts) ont réussi à mettre au point la technique pour modifier, cette fois, le génome de cellules vivantes de souris et d’humains (cellules eucaryotes, qui possèdent un noyau). Malin, le jeune prodige a fait sa propre demande de brevet, par une voie accélérée, et l’obtient en avril 2014, avant l’UC Berkeley ! La réaction ne se fait pas attendre. L’université californienne dépose une requête officielle, réclamant que soit désigné une fois pour toutes l’inventeur de CRISPR-Cas9… Depuis, la bataille fait rage devant les tribunaux.
Par ailleurs, les trois protagonistes ont monté chacun sa société, des start-up1 rivales nommées les Big Three, toutes trois basées à Cambridge (Massachussetts), pour exploiter CRISPR-Cas9.
En 2014, E. Charpentier crée CRISPR Therapeutics, levant 25 millions de dollars. En octobre 2015, elle signe un premier accord stratégique avec Vertex Pharmaceuticals pour des traitements contre la mucoviscidose puis forme une joint-venture avec l’allemand Bayer, qui investira 300 millions de dollars en R&D, sur cinq ans.
Intellia, créée par J. Doudna, a signé un accord avec Novartis et se positionne sur le créneau des applications thérapeutiques ex-vivo : les cellules du sang ou de la moelle osseuse sont prélevées sur le patient, placées en culture le temps que CRISPR modifie le gène défectueux, puis réinjectées dans l’organisme de la personne. Domaines visés : le cancer et des maladies du sang (leucémies, anémie, malaria).
Reste Editas Medicine, la start-up de F. Zhang. Lancée en novembre 2013, elle a levé 120 millions de dollars auprès d’un pool d’investisseurs comprenant Google Ventures. En janvier 2016, elle est la première entreprise spécialisée dans CRISPR à s’introduire en Bourse.
Pour le biologiste J.-C. Kaplan2, « une véritable course de vitesse s’est engagée entre les laboratoires académiques et entre les grands groupes pharmaceutiques. C’est à qui sera le premier à apporter sa preuve de faisabilité, source d’espoirs thérapeutiques et, en attendant la première guérison, source de prestige et de brevets ».
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https://revue-sesame-inra.fr/crispr-cas9-surtout-ne-pas-couper-court-au-debat/
- « Crispr, la découverte qui met la génétique en ébullition » Les Échos, 15 avril 2016. https://www.lesechos.fr/15/04/2016/LesEchosWeekEnd/00027-011-ECWE_crispr-la-decouverte-qui-met-la-genetique-en-ebullition.htm
- « CRISPR-Cas9 : un scalpel génomique à double tranchant », Science… & pseudo-sciences, n°320, avril 2017. http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2830