C’est du bon tabac, mais de là-bas.
Les champs de tabac d’hier ne sont plus que souvenirs, même dans les régions historiques de production, en France voire aux États-Unis. Mais si l’âge d’or, il en fût un, appartient à l’histoire, tout le monde n’est pas concerné. C’est le fil du mercredi 9 avril 2025.
Visuel : crédit Yann Kerveno
Un soubassement maçonné, une superstructure en bois, une allure plutôt élancée, étroite et haute, une toiture en tuile. Quiconque est sensible au paysage aura remarqué, en baguenaudant dans le Sud-Ouest, ces granges à nulle autre pareille où l’on faisait sécher du tabac il y a quelques décennies. Au point qu’elles furent même standardisées. La plupart sont aujourd’hui délabrées, ou leur destination modifiée jusqu’à en faire des habitations, voire des gîtes ruraux. Elles sont la marque d’une richesse aujourd’hui évanouie, les témoins d’un pan entier de l’histoire de l’agriculture et de l’industrie française et mondiale. Parce que le tabac a connu un long âge d’or, plusieurs générations, avant le lent déclin entamé depuis les années 1950 suivi de sa mise au pilori pour ses effets délétères sur la santé.
+ 15 – 20
On trouve ainsi trace dans la presse des derniers soubresauts de la production avec des protestations qui n’ont rien à envier à celles des vignerons d’aujourd’hui. Et un motif récurrent, le prix payé par la Régie. C’est le cas en 1950 quand la Fédération des planteurs indique que le coût de production a augmenté de 15 %, que le poids de la récolte est en repli de 20 % mais que les planteurs ont tenu les engagements du plan Monnet en portant les surfaces cultivées à 30 000 hectares, l’apogée, contre 18 000 avant la Seconde Guerre mondiale. Rebelote en 1962, avec des routes barrées en Tarn-et-Garonne et en Lot-et-Garonne, une manifestation de 3 000 planteurs à Sarlat, des maires de Gironde et des conseillers généraux qui observent une grève administrative…
Ça eu payé
Si le Sud-Ouest est remuant, il ne doit pas faire oublier que le tabac fut cultivé un peu partout en France depuis son introduction au XVIe. Mais c’est bien sur les bords du Lot, à Clairac, que sont mis en terre les premiers plants aux alentours de 1630, selon le témoignage de François de Labat, auteur d’un ouvrage savant (Observations sur divers moyens de soutenir et d’encourager l’agriculture principalement dans la Guyenne – 1756, en ligne sur Gallica). Avant la Seconde Guerre mondiale, il s’en cultive donc plus de 18 000 hectares dans 36 départements, majoritairement dans le Sud-Ouest mais aussi dans l’est de la France, dont cinq concentrent 84 % de la production (Gironde, Dordogne, Lot, Lot-et-Garonne et Bas-Rhin). Le reste de la production est principalement réparti entre les départements du Nord, du Pas-de-Calais, du Haut-Rhin, la Drôme, l’Isère, la Corrèze et la Savoie… Ailleurs, la culture du tabac est anecdotique mais, comme l’explique Jean Doise en 1940 dans les Annales de Géographie, c’est une culture qui rapporte gros : « le produit brut à l’hectare est de trois ou quatre fois supérieur au produit d’une même surface emblavée », le bénéfice étant assuré puisque l’État, qui a flairé le bon filon depuis le XVIIe siècle en s’en arrogeant le monopole, « doit absorber la production nationale entière. »
300 heures
Le tabac est alors la production principale pour de nombreuses exploitations mais demande une grande technicité et une main-d’œuvre pléthorique. C’est d’ailleurs ce talon d’Achille qui précipitera la chute entamée à partir de 1950. Le travail requis, 300 heures à l’hectare, était souvent assumé, de manière informelle, par l’entourage familial du planteur. Les temps changeant, ces bras gratuits se sont fait plus rares. Viennent ensuite les réformes de la PAC qui ont donné un coup d’accélérateur à la déprise avec la fin, en 2010, de l’aide spécifique accordée au tabac pour se mettre en ligne avec les politiques de santé publique et la lutte contre le tabagisme. Ajoutez à cela la mondialisation, le rachat de ce qui était alors la SEITA (acronyme de Société d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes) par l’américain Imperial Tobacco et il ne manque aucun clou sur le cercueil.
60e rang
L’affaire est quasi soldée avec la fermeture, en 2019 du dernier atelier de transformation de tabac français encore ouvert à Sarlat-la-Canéda en Dordogne. Il n’y avait alors plus que 670 planteurs de tabac en France. Que subsiste-t-il aujourd’hui ? Une note récente de FranceAgriMer lève le voile sur les chiffres récents. Il reste quatre coopératives de production, fédérant 509 producteurs, lesquels exploitent 1 312 hectares plantés de trois variétés de tabac : du Virginie (742 ha), du Burley (488 ha) et du tabac noir (88 ha). La surface moyenne par producteur est de 2,58 ha et les rendements de 2,8 tonnes à l’hectare pour une production nationale de 3 677 tonnes en 2023 et une valeur de 13,45 M€. En face, le marché est gigantesque. Les produits de tabac ont généré un chiffre d’affaires de 19 milliards d’euros en 2023. La France, classée au 60e rang des producteurs, est en contrepartie le 11e importateur mondial.
Coup de grâce
Dans le haut du tableau, c’est la Chine qui domine aujourd’hui, assurant 38 % de la production devant l’Inde et le Brésil. Les États-Unis, qui furent un temps les premiers producteurs du monde avec l’appui de l’esclavage (toujours cette question de la main d’œuvre gratuite), enregistrent un recul de leur production depuis de longues années. Dans les années 1950, le pays comptait 512 000 fermes produisant du tabac. En 2002, 80 000 planteurs étaient encore en activité avant le changement de régime des quotas par l’administration Bush en 2004, à l’origine du coup de grâce. Ils n’étaient plus que 4268 en 2015 puis 2987 en 2022. Au point que l’on se demande, là-bas, si c’est encore raisonnable de continuer à planter. Quant aux producteurs français qui subsistent, ils tentent de se placer sur des marchés de niches, plus rémunérateurs, tels les cigarillos ou la nicotine liquide (pour les cigarettes électroniques…). Nous laisserons le soin à chacun d’entre vous de tirer la morale de cette histoire !
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