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Les échos & le fil Vignes en keyline design du domaine Lafage_Fourques © yann kerveno

Publié le 29 janvier 2025 |

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C’est comment qu’on freine ?

Dans certains coins il pleut bien trop, dans d’autres on se demande comment valoriser la moindre goutte d’eau. Et comme souvent il n’y a pas de solution miracle, ça se saurait sinon. De la matière organique à l’oasis, c’est le fil (d’eau) du mercredi 29 janvier 2025, pied sur le plancher.

Photographie : Vignes en keyline design du domaine Lafage / Fourques © yann kerveno

Pendant qu’une fois encore, une partie de la France est noyée, une autre partie se gratte toujours la tête pour trouver des solutions aux sécheresses dont la récurrence et l’ampleur sont promises à l’inflation. Et en la matière, il n’y a pas de remède miracle, mais plutôt un faisceau de petites solutions à conjuguer selon les territoires et un maître mot : Freiner…

Les premières à mettre en œuvre sont destinées à maximiser les apports de l’eau qui tombe du ciel pour la production agricole. Un des leviers, c’est la matière organique contenue dans les sols. Plus elle est importante, plus la réserve utile du sol, l’eau contenue dans la terre directement disponible pour la plante, est importante. Dans un sol sableux, très filtrant par nature, un point de matière organique (ce qui reste de la décompositions des organismes vivants, végétaux, etc), c’est une réserve utile augmentée de 18 %. Les apports sont forcément moins importants dans des sols plus denses, mais ils existent et sont sensibles (cela dit, le rôle de la matière organique ne se limite pas à cela, loin de là, mais ce n’est pas le sujet). Mais s’il ne pleut pas, on est d’accord que cela ne sert à rien, Il existe aussi des techniques qui permettent de freiner la course folle de l’eau dans les parcelles, comme le « Keyline design » mis au point par P.A. Yeoman dans les années 1950 en Australie. Cette technique, largement mise en œuvre par la permaculture, consiste en particulier, mais ce n’est qu’un des aspects, à freiner la circulation de l’eau pour lui laisser plus de temps pour s’infiltrer. En implantant les cultures de manière à suivre les courbes de niveau du sol pour qu’elles soient ainsi « bien à plat », limitant le ruissellement. Et en créant des rigoles, des noues, pour aider aux infiltrations et mieux recharger la réserve utile des sols.

53 nuances de freins

Freiner l’eau, c’est aussi une problématique qui s’applique, une fois qu’elle est sortie du champ, aux ruisseaux et rivières… Cela semble couler de source mais dans certaines zones, en région méditerranéenne par exemple, c’est aussi (surtout) un enjeu de sécurité publique. Il existe plusieurs façons de faire, au-delà du simple barrage que l’on peut dresser sur cours d’eau. D’un côté, les Mesures Naturelles de Rétention des Eaux (MNRE), de l’autre les Solutions Fondées sur la Mature (SFN). Mais, précise l’Office français de la Biodiversité, elles sont différentes : les MNRE cherchent principalement à « obtenir des bénéfices pour la ressource en eau » quand les SFN « s’accompagnent d’un bénéfice pour la biodiversité. » Il existe 53 façons, c’est précis, de mettre en œuvre des MNRE. Cela peut être parla désimperméabilisation des sols en zones urbaines, l’implantation de haies, la création de zones tampons ou encore des modes de gestion forestière. Vous avez là 10 retours d’expériences menées depuis une quinzaine d’années en France. Et comme dans les champs, quand on freine la circulation des eaux de surface, on contribue à la recharge des nappes phréatiques (et donc à stocker l’eau dans le sol). Qui, dans certains endroits, ont tendance à se vider plus vite qu’elles se remplissent.

Nappes sans carreaux

Stockage, le vilain mot est lâché mais cette notion appliquée à la nappe phréatique est rarement évoquée. On lui a préféré jusqu’ici le stockage en surface, avec les lacs, les retenues collinaires et même les fameuses bassines. Pourtant, les techniques sont éprouvées. Le stockage directement dans les nappes peut s’opérer à partir de plusieurs sources, des eaux pluviales jusqu’aux eaux de réutilisation des eaux de stations d’épuration. Il y a longtemps que ces techniques, elles se comptent par dizaines et il existe un annuaire qui les recense et une carte interactive, sont connues et mises en œuvre et elles offrent plusieurs avantages : l’eau est filtrée par le sol, les nappes permettent d’atténuer dans certains cas le flot des crues, participent au maintien des débits des rivières durant les périodes d’étiage, ce qui limite la montée des eaux en température, mais aussi de sécuriser les approvisionnements en eau potable ou encore de maintenir les zones humides… Et en plus, comme l’eau est dans le sol, elle ne s’évapore pas…

Osais oasis

Cela passé en revue, on peut se dire qu’il y a donc encore beaucoup de leviers à actionner dans le cadre de la transition. Mais sur les bords de la Méditerranée, un éleveur audois se demandait l’autre jour s’il ne fallait pas déjà penser à élaborer, pour le sud de la France, des systèmes oasiens pour espérer continuer à produire. L’idée est provocante, mais elle mérite d’être étudiée comme le plaide le géographe Goeury David . L’oasis est en effet un système agricole sur plusieurs étages très productif, basé sur une captation et une gestion de l’eau au millilitre près et selon des configurations différentes selon que le lieu se situe en montagne, au bord d’un oued, dans une dépression (vous trouverez une belle carte interactive ici)… Et qui a fait preuve d’une durabilité (presque) à toute épreuve même si des menaces sérieuses planent sur ces écosystèmes pour cause de changement climatique, comme le Courier de l’Environnement (ancêtre de Sesame) l’évoquait en 2012. [Sesame est d’ailleurs revenu à plusieurs reprises depuis sa création sur le sujet sous la plume de Salah Najha et Hanen Ghanmi tout récemment (Peut-on encore exploiter les systèmes oasiens ?) ou celle de Khaled Amrani en 2017 (Quelle durabilité pour les oasis du Sahara algérien ?)]. On pourra aussi s’inspirer du système Zaï développé en Afrique subsaharienne qui a multiplié les rendements de grains (mil et sorgho) par 3 en semant les graines dans des alvéoles creusées dans le sol et amendées avec des engrais organiques qui attirent des termites au rôle essentiel… On voit mal la Beauce se convertir au Zaï mais il y a peut-être des idées à creuser pour les cultures pérennes ?

Dommage ça ne marche pas.

Quant à l’idée souvent avancée qu’il suffirait de planter des arbres pour faire pleuvoir, cela relève malheureusement en grande partie du fantasme. Si les arbres créent effectivement de la fraîcheur en évapotranspirant, ils sont loin de faire des nuages, comme l’explique Yves Tramblay, chercheur à l’IRD dans une conférence toute récente. « En Europe, le taux de recyclage local des précipitations, ce qui peut être provoqué par la transpiration des plantes, cest entre 5 et 10 %, et même dans les zones équatoriennes, on atteint seulement 40 à 50 %. Donc, planter des arbres ne fait pas pleuvoir et les études montrent que leau qui s’évapore des arbres ici profite plutôt à lEurope centrale… » Dommage. Mais vous pouvez en discuter dans les commentaires !

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