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De l'eau au moulin Exploitation minière

Publié le 4 juillet 2025 |

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Bretagne : la recherche de l’or plombe la transition énergétique

Il y a eu des mines d’étain, de plomb argentifère, de zinc, de fer et un peu d’or en Bretagne dès la fin du Néolithique, 2500 ans avant notre ère. Aujourd’hui, sous l’effet des besoins en métaux et terres rares et du nouveau règlement européen1 et vu la progression des technologies d’extraction ainsi que la pression de quelques investisseurs, des demandes de Permis Exclusifs de Recherches Minières (PERM) sont en cours d’instruction au sud du Massif armoricain. Aussi, Eau & Rivières de Bretagne se mobilise-t-elle pour informer le public sur le risque qu’ils se transforment en concessions d’exploitation, avec des impacts inévitables pour l’environnement et la santé. 

Par Dominique Williams et Pauline Pennober, Eau & Rivières de Bretagne, en avant-première pour le 18ème numéro de la revue Sesame (décembre 2025)

Epona, Taranis et Belenos : les noms des périmètres de prospection évoquant un glorieux passé celtique ont été soigneusement choisis. Si la société qui a déposé les trois demandes d’exploration porte un nom breton, Breizh Ressources, c’est bien une filiale de Aurania Resources, compagnie canadienne immatriculée aux Bermudes2. Son patron, Keith Barron, se présente comme un géologue et un chercheur… mais c’est plutôt un chercheur d’or.

Dans le rôle du petit village gaulois, les habitants et les élus de trois zones couvrant en tout 800 km2 sur trois départements, Maine-et-Loire, Morbihan et Loire-Atlantique, auxquels s’ajoute Eau & Rivières de Bretagne. Notre association créée en 1969 connaît bien ce type de projet. Il y a 10 ans, elle s’est opposée à trois demandes de permis de recherches couvrant 1200 km2 entre Belle-Isle-en-Terre et Quessoy (Côtes d’Armor) et Bubry (Morbihan). Avec d’autres opposants, elle a obtenu leur annulation après leur signature par le Ministère des Finances.

Aujourd’hui, le même genre de projet resurgit et ce n’est pas étonnant. D’un point de vue géologique, le sous-sol du Massif armoricain présente un fond métamorphique où l’activité volcanique a formé des grès et des granits. Les sels des océans primordiaux se sont cristallisés dans le magma qui a donné naissance aux terres émergées, formant des gisements métallifères contenant du plomb, de l’argent, du zinc, de l’or, de l’antimoine, du cuivre, du tungstène, de l’uranium, etc.

De la recherche géologique à l’exploration minière

Breizh Ressources prévoit d’engager entre 2 et 8 millions d’euros

Depuis longtemps les travaux du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) ont établi des inventaires du sous-sol sur quelques dizaines de mètres de profondeur et il n’aura pas été difficile d’exploiter ces rapports, ciblés sur un secteur ou un métal précis3. Mais, aujourd’hui, les travaux d’inventaire sont conduits sur plusieurs centaines de mètres de profondeur et, du fait des moyens requis, l’Etat ne serait pas fâché de pouvoir bénéficier des résultats des explorations de sociétés privées détentrices de Permis Exclusif de Recherche de Mines (PERM).

Breizh Ressources prévoit d’engager entre 2 et 8 millions d’euros. Une société étrangère investirait-elle une telle somme sans espérer un retour sur investissement ? Le modèle économique d’Aurania et de ses filiales est de lever des fonds pour financer la recherche de ressources pour ensuite, si elles existent, obtenir et revendre une concession. Une mine d’or en Equateur lui a ainsi rapporté 1,2 milliard de dollars canadiens (700 millions d’euros).

Les trois permis de recherches minières demandés seraient très avantageux pour Breizh Ressources. Exclusifs, pour 3 à 5 ans, ils pourraient être renouvelés deux fois et durer jusqu’à 15 ans. Leurs périmètres sont assez vastes pour que chacun puisse accueillir non une mais plusieurs mines. Enfin ils portent sur une quarantaine de métaux et terres rares – l’or collecté pourrait même servir à payer les autres explorations, selon Breizh Ressources. Une bonne affaire en perspective.

Aucune exploration n’est sans conséquences

 (…) des forages jusqu’à 300 m de profondeur qui pourraient affecter le cycle de l’eau

L’exploration prévue demande en elle-même des forages jusqu’à 300 m de profondeur qui pourraient affecter le cycle de l’eau, les circulations d’eau souterraines alimentant jusqu’à 70% de l’eau des rivières en Bretagne. Les creusements de tranchées et galeries seront plus ou moins impactants pour les milieux. Le projet doit certes exclure les périmètres de captage mais sa formulation est floue quant aux zones humides. Par ailleurs, le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) qui est en cours de révision prévoit de protéger également les espaces périphériques des zones humides, ce dont le projet ne tient pas compte.

Surtout, et contrairement au discours rassurant des services de l’Etat, il y a bien un lien avéré entre le fait d’accorder un PERM et, ultérieurement, une concession d’exploitation. Breizh Ressources prévoit d’ailleurs de s’adjoindre les compétences d’un groupe minier lors des dernières phases de l’exploration. Ils sont manifestement déterminés à ce que leurs explorations aboutissent à une ou des exploitations. A quel prix pour les Bretons ?

Enfin, le thème de la « transition énergétique » est mobilisé pour appuyer le projet. Selon Breizh Ressources, la quarantaine de métaux recherchés, or et argent en tête, incluent 17 terres rares qui permettraient à la France d’accéder à ces ressources et de prendre sa part des impacts mondiaux. Eau & Rivières de Bretagne conteste absolument ce discours « vertueux ». Aucune mine, aucune consommation d’énergie ou d’une ressource n’en remplace une autre – elles s’accumulent plutôt4.

Le droit d’exploiter de l’Etat contre le droit de la propriété privée

L’article L155-3 du Code minier (…) transfère en partie la responsabilité de l’exploitant minier en matière de dommages sur la victime

En droit français, vos parcelles vous appartiennent – ce qui inclut le sous-sol et votre espace aérien privé. Mais dès lors que des prospections minières y établissent la présence de matières métalliques, la propriété du sous-sol est transférée à l’Etat qui peut l’exploiter directement ou le mettre en concession.

L’étape de la prospection est donc cruciale. Lors d’une précédente « vague » de PERM il y a 10 ans, les opposants ont réussi à les faire révoquer ou abandonner. Comment ? Ils ont encouragé les propriétaires à interdire d’accès leurs parcelles aux collecteurs d’échantillons de sol, empêchant l’étude d’être menée à bien. Le préfet, qui aurait pu l’imposer au moyen d’une déclaration d’utilité publique, ne l’a pas fait. Il aurait fallu l’appui des gendarmes pour imposer les prélèvements et encourir la colère des propriétaires.

Les trois périmètres des permis demandés actuellement s’étendent essentiellement sur des zones rurales, en partie forestières pour Taranis, en partie littorales pour Epona, et surtout agricoles pour Belenos. Ces zones sont peuplées de très nombreux propriétaires privés qui réalisent qu’ils ont de 1 à 5 % de chances – risques ? – de voir émerger près de chez eux une mine à l’horizon de 15 à 20 ans, d’après Breizh Ressources. Nombre d’entre eux sont ébahis de voir que la transition énergétique ou écologique sert d’argument pour un tel projet et, qu’en matière sanitaire, les riverains sont renvoyés aux recommandations des autorités et à leurs propres responsabilités, puisque l’article L155-3 du Code minier modifié par ordonnance en 2022 transfère en partie la responsabilité de l’exploitant minier en matière de dommages sur… la victime5

Intoxication à l’or et aux métaux rares

Un territoire minier est un territoire sacrifié

Eau & Rivières de Bretagne est une association légaliste : elle utilise les ressorts du droit. Il est donc très important d’informer les élus, les propriétaires et les citoyens pour qu’ils s’opposent dès maintenant à l’exploration qui amènera l’exploitation de mines, laquelle aura un impact durable et même perpétuel sur leur environnement. Un territoire minier est un territoire sacrifié pour l’éternité.

Comme l’explique Célia Izoard6, notre civilisation repose sur l’extraction minière, partout dans le monde, et crée une intoxication massive, c’est-à-dire la dissémination à très grande échelle de métaux toxiques, de substances acidogènes, et ce de manière irréversible7. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de métaux rares pour une perpétuelle croissance shootée au métal.  Mais de protéger l’eau, l’air, la terre et la mer, à long terme.

Or, pour extraire les cortèges de métaux disséminés dans les sols, il faut éventrer le socle rocheux, ce qui expose les sels minéraux à l’air et à l’eau, créant par oxydation des sulfates et des sulfures dont l’acidité ronge ensuite la roche et acidifie le milieu, tout en libérant des particules toxiques de cadmium, d’antimoine ou d’arsenic. A Poullaouen (Finistère), plus de cent ans après la fermeture de la mine d’argent et de plomb, ce dernier ainsi que du manganèse sont encore présents dans les eaux superficielles et souterraines, les sédiments et les sols. L’Aulne est touchée, la Rade de Brest aussi8.

Dans toute extraction minière, les déchets sont, d’une part les roches pauvres en minerai ou « stériles », d’autre part les boues résultant des bains réactifs utilisés pour extraire le métal, comme le cyanure pour l’or. Ces boues sont stockées dans des « parcs à résidus miniers », sortes de mégabassines construites avec les stériles. Après évaporation, de nouvelles boues y sont déversées. Certains de ces parcs sont rehaussés avec des stériles, et de nouveau remplis, jusqu’à 30 ou 40 mètres de hauteur. Les accidents sont fréquents comme à Brumadinho au Brésil, en 2019 (115 morts et 248 disparus). Tous les ans, sur la planète, 3 à 5 parcs s’écroulent, détruisant les économies locales, la biodiversité, les sols et les eaux, comme l’usine de bauxite d’Ajka, en Hongrie, qui a pollué le Danube jusqu’à son l’estuaire en 2010.

Les lois de la chimie font que les mines libèrent des particules métalliques en nombre et sur une échelle non gérable. C’est un non-dit et c’est vrai aussi des anciennes mines de la Bretagne, alors que, partout dans le monde, les gisements à forte teneur et faciles à exploiter sont épuisés. Avec des teneurs plus basses en métal, l’extraction des matières dans le sous-sol détruira de plus grandes surfaces de territoires, consommera plus d’eau et d’énergie et aura plus d’effets collatéraux. La mine durable n’existe pas9.

Un projet à l’arrêt ?

L’opposition se renforce et semble l’emporter mais les demandes de permis d’exploration sont toujours en cours

Notre association constate que suite aux présentations lors de réunions publiques, plus les habitants sont informés des impacts des mines, plus ils s’opposent aux permis d’exploration. C’est aussi le cas des élus et décideurs, alors même qu’ils ont été au préalable démarchés par l’entreprise Breizh Ressources, qui leur a fait espérer des rentrées d’argent, ou des emplois. Dans le périmètre d’Epona, sur les 4 élus concernés, un seul est séduit par le nouveau projet. Les trois autres avaient déjà suivi et rejeté il y a 10 ans le projet Variscan10 qui risquait d’impacter le Blavet et la rade de Lorient.  Dans le périmètre Taranis, où les élus n’avaient aucune culture de la question, seuls 2 ou 3 s’y sont opposés dès le début. Un collectif citoyen Stop Taranis s’est rapidement constitué pour informer la population. In fine, sur les 20 communes du périmètre, 17 conseils municipaux ont délibéré et choisi l’interdiction.

Bien que l’opposition semble à ce jour l’emporter, et se renforce, les demandes de permis d’exploration sont toujours en cours. Or l’Autorité environnementale vient de publier son avis relatif à la complétude du dossier d’impact inclus dans ces demandes11. Elle en souligne les nombreuses insuffisances. Elle confirme le lien organique entre l’exploration et l’exploitation à terme et précise qu’il faudra donc évaluer les impacts de l’exploitation (débordements, écoulements dans les masses d’eau souterraines). L’Autorité n’évoque pas la problématique chimique de l’extraction ni de la toxicité des métaux – une problématique souvent ignorée tant les anciennes mines sont mal répertoriées et leurs impacts mal connus, donc mal gérés12.

Enfin, une consultation publique d’un mois a été ouverte jusqu’au 18 juin 2025. Les permis de prospection minière pourront ensuite être signés, ou non, par le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, qui est compétent sur le sujet. S’ils étaient délivrés, leur contestation se poursuivrait et notre association étudierait la possibilité d’aller en justice pour les faire annuler.

En clair, il vaudrait mieux que ces recherches minières n’aient pas lieu. En effet, si les permis d’exploration étaient délivrés et si des ressources minières rentables étaient identifiées, le détenteur ou l’acquéreur de ces permis pourra presque à coup sûr, avec ou sans mise en concurrence, et après une enquête publique de 30 jours, se voir octroyer dans les trois ans par le ministère des Finances un droit d’exploitation pour 50 ans renouvelable deux fois 25 ans, soit un siècle. Un siècle d’exploitation et de « droit » de polluer pour l’éternité 800 km2 de sol breton « qui ne valent rien » comme l’a dit Keith Barron dans une conférence13. Pas sûr qu’il parle d’or.

Lire aussi

  1. Règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1720020986785&uri=CELEX%3A32024R1252
  2. https://aurania.com/
  3. BRGM : https://histoire.brgm.fr/fr/instants/1975-le-brgm-et-linventaire-minier-de-la-france et https://www.brgm.fr/fr/actualite/dossier-thematique/patrimoine-geologique-inventorier-mieux-proteger
  4. Pour l’énergie, voir « Sans transitions », l’ouvrage de J.B. Fressoz : https://www.seuil.com/ouvrage/sans-transition-jean-baptiste-fressoz/9782021538557
  5. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045578581
  6. Voir « La ruée minière au XXIe siècle », l’ouvrage de Celia Izoard, https://www.seuil.com/ouvrage/la-ruee-miniere-au-xxie-siecle-celia-izoard/9782021515282
  7. https://ccfd-terresolidaire.org/celia-izoard-lextraction-miniere-cree-une-intoxication-massive/
  8. Voir Geoderis (ANSES BRGM), Vuidart I., 2022. Etude sanitaire et environnementale du secteur de Huelgoat-Poullaouen (29), https://geoderis.fr/download/18/etudes-environnementales/1059/2021-126de-22bre24020.pdf
  9. Les ingénieurs de SystExt expliquent pourquoi la mine durable ou responsable n’existe pas. L’irresponsabilité sociale des entreprises minières (iRSE) est même décrite par des chercheurs : https://www.systext.org/node/1937
  10. https://www.lesechos.fr/2017/06/face-a-la-contestation-locale-variscan-suspend-ses-projets-miniers-172355
  11. https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2_-_permis_miniers_delibere_vf_cle732147.pdf?v=1747644053
  12. https://www.systext.org/apres-mine
  13. Conférence tenue lors de la Frankfurt GoldMesse 2024, minute 2’21 : https://www.youtube.com/watch?v=a9ykIWzyu-4

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