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Croiser le faire vieille scierie en Suède

Publié le 15 décembre 2025 |

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Bois local : une filière en copeaux

En dépit d’un regain d’intérêt lors du Covid à la faveur de la suspension des échanges commerciaux, le bois local – la valorisation des massifs forestiers à l’échelle régionale – reste largement sous-utilisé dans le secteur du bâtiment et de l’aménagement en France. Des arbres autrefois valorisés en bois d’œuvre pour la construction et l’ameublement sont engloutis dans la filière bois-énergie, quand leurs troncs ne sont pas exportés tels quels, pour être transformés ailleurs. Le cercle est vicieux : fermeture des scieries, inadaptation des outils et des savoir-faire de transformation, homogénéisation des peuplements, etc.

Un dossier de Christophe Tréhet, pour le 18ème numéro de la revue Sesame (décembre 2025)

« A gauche, là, vous voyez les frumes [NDLR : les troncs coupés], au fond, la scierie où elles sont apportées en fonction des commandes et, après, les produits ressortent à droite pour le stockage avant livraison. » Le visiteur de la scierie Sefob, à Saint-Maclou dans l’Eure, est accueilli par ces explications face aux poteaux, lisses, montants d’ossature, lames de bardage et de terrasse et autres lambourdes alignés dans le vaste espace dédié. Créée en 1962 par son grand-père, l’entreprise que gère aujourd’hui Patrice Gastebois est l’une des plus importantes pour l’exploitation et la transformation des résineux dans le Nord-Ouest, lesquels n’occupent pourtant que 15 % du volume de bois sur pied. C’est que les conifères, à l’inverse des feuillus, sont très majoritaires dans la construction, avec une espèce qui gagne en notoriété, le pin de Douglas : « Les volumes accessibles de cette essence ont explosé car les arbres plantés dans les années 1960 et 1970 sont arrivés à maturité, explique Patrice Gastebois. Du fait de ses qualités mécaniques et de sa résistance naturelle aux insectes et aux champignons, la demande a augmenté, notamment avec l’essor de l’ossature bois comme technique de construction. »

Quant aux résineux en général, offrant des bois légers, stables et plus économiques, ils ont connu une offre industrielle normée venue essentiellement des pays du nord de l’Europe (Suède, Finlande) et d’Allemagne. D’autant que, ces dernières années, la récolte française stagne et peine à répondre à la demande : 7 millions de m³ (Mm³) de bois scié entre 2017 et 2023 pour le bois d’œuvre (menuiserie, charpente, ameublement). Résultat, la balance commerciale française en produits de sciage affiche un déficit d’environ 0,5 milliard d’euros depuis au moins 2020 (Agreste). Un résultat négatif qui tranche avec le commerce de bois brut, lequel s’avère bénéficiaire depuis 2005 (287 millions d’euros en 2023). La France exporte ainsi des grumes, surtout de feuillus, qui reviennent ensuite sous forme de produits usinés.1

DES BOIS QU’ON DISAIT PRÉCIEUX

« Autrefois, le merisier valait 1 500 francs le m3»

Laurent de Nazelle

Laurent de Nazelle en sait quelque chose, lui qui gère un petit groupement forestier familial situé dans l’Orne et vend 500 à 600 m³ de bois d’œuvre tous les deux ans : « Les chênes, je les vends très bien et, depuis une quinzaine d’années, mes acheteurs sont une fois sur deux des exploitants qui exportent une partie de leurs acquisitions vers la Chine, le bois étant en général travaillé à façon au Bangladesh ou au Vietnam. » Les ventes de chêne, essence historiquement dédiée à l’ameublement, sont également tirées par la demande en merrains, ces lattes (appelées douelles) qui constituent la matière première du tonnelier. Parmi les feuillus qu’il met en vente, Marc Cappelaere, l’expert forestier qui accompagne ce sylviculteur, voit également « partir le frêne intégralement à l’étranger car il n’y a quasiment plus d’utilisation en France et en Europe ». Quant à Laurent de Nazelle, il se désole de voir délaissées les autres essences de feuillus, qu’il qualifie encore de « précieux » malgré leur dépréciation : « Autrefois, le merisier valait 1 500 francs le m3, contre 250 francs octroyés au sapin. Du merisier, de l’érable sycomore et champêtre, de l’aulne, j’en avais des exemplaires droits comme des I, de plus de quarante centimètres de diamètre et ils sont partis en bois de chauffage… » Or, rappelle ce fervent promoteur de la conduite forestière en futaie irrégulière mélangée, « il faut de tout dans une forêt, c’est-à-dire des essences prioritaires et d’autres d’accompagnement. Elles forment ensemble des étages, se font concurrence, ce qui favorise le bon gainage des arbres. Cette diversité a aussi des avantages sanitaires : j’ai beaucoup moins d’attaques de scolytes sur mes résineux que mes voisins en monoculture car les feuillus forment des rideaux. Il faut remettre en valeur toutes ces essences. »

CHARPENTER L’USAGE DES FEUILLUS

« (…) la forêt française est constituée à 75% de feuillus »

Cour des comptes

Selon Anne-Sarah Moalic, directrice de Fibois Normandie, l’organisme interprofessionnel qui se décline dans toutes les régions, la valorisation des essences secondaires doit aussi être appréhendée sous l’angle de la transition écologique « qui pousse à l’utilisation du bois dans la construction, au travers par exemple de l’incitation à la mise en œuvre de matériaux biosourcés, et qui promeut le bois énergie. » Dans une région où la récolte de bois se concentre sur la forêt publique, « si l’on veut éviter la surexploitation de certaines essences comme le chêne, il faut aussi mobiliser les châtaigniers, les frênes, les charmes qui peuplent nos forêts », estime-t-elle. Or, l’appétit exclusif de la construction bois pour le résineux a eu des conséquences sur toute une filière qui s’est spécialisée. « Les sciages concernent à 80% des résineux, alors que la forêt française est constituée à 75% de feuillus », souligne la Cour des comptes dans son rapport consacré à la structuration de la filière bois paru en 2020.« Le secteur de la construction exige que les matériaux, en particulier les bois, soient caractérisés – qualité mécanique, résistance aux attaques biologiques, élasticité, etc. – pour définir leurs usages potentiels et ouvrir l’accès aux assurances. Ces données ont été produites pour les résineux, mais beaucoup moins pour les feuillus. Cela nécessite un processus long et coûteux qui n’est engagé que si les débouchés existent », poursuit la directrice.

Le projet « Feuillus CHOC », porté par l’Institut technologique FCBA, ambitionne d’enrichir les connaissances sur les potentiels usages des feuillus en construction. On ne part pas de rien, bien sûr, car la solidité du chêne ou encore la durabilité du châtaignier en conditions extérieures sont connues de longue date, mais il s’agit d’objectiver plus finement et d’ouvrir de nouvelles perspectives au travers du développement de produits « technologiques » tels que le lamellé-collé ou le lamellé contre-croisé, composés de multiples couches fines de bois.

SORTIR DES CLOUS

À son échelle, l’architecte Laurent Baillet expérimente depuis plusieurs années, dans le Nord, l’utilisation du peuplier en construction, prouvant ainsi qu’on peut en faire autre chose que des cagettes. « On a découvert que certains cultivars de peuplier, comme le Robusta, étaient adaptés à la construction, en termes mécaniques notamment. Des prototypes de poutres ont été imaginés en utilisant des bois courts cloués entre eux, qu’il a fallu tester un par un car le peuplier, avec lequel on peut fabriquer des pièces très solides, n’est pas caractérisé de façon normée pour le bâtiment », détaille l’architecte. En clair, utiliser des feuillus oblige à « sortir des clous » et nécessite de l’anticipation. « Quand je prépare un projet de construction pour lequel j’intègre du bois local, je vérifie les disponibilités auprès des scieurs et des propriétaires forestiers, dans un dialogue avec la maîtrise d’ouvrage », poursuit l’architecte.

« [Il faut] sortir des modèles génériques de la construction bois, pour s’adapter à la filière locale »

Vincent Doussinault

Élodie Roulier, chargée de mission forêt-bois au parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises a, quant à elle, accompagné plusieurs projets pilotes de collectivités locales souhaitant construire avec du bois local dont elle a tiré un guide2 « La mise en œuvre de bois régional ne coûte pas plus cher – c’est le fait même de construire en bois qui est plus onéreux que de le faire en béton. Mais cela
peut s’avérer plus compliqué. Il y a bien moins de produits disponibles, aucune entreprise ne fabrique par exemple du lamellé-collé avec du bois des Pyrénées
3, ce qui limite la possibilité d’avoir des poutres de longue portée, souligne l’ingénieure forestière, et ça, il faut l’intégrer dès le départ du projet et prévoir des délais de livraison souvent plus longs. » Prescripteur bois dans la construction et la rénovation à Fibois Normandie, Vincent Doussinault invite de son côté à « sortir des modèles génériques de la construction bois, pour s’adapter à la filière locale » et il suggère des pistes : « Le chêne coûte trop cher ? Alors utilisons des parties moins nobles de l’arbre, des sections plus petites grâce à des modes constructifs innovants. La scierie locale n’a pas de séchoir ? Alors imaginons des projets capables d’utiliser du bois vert. » Si Laurent Baillet ne parvient plus autant qu’avant à intégrer du bois local dans la structure de ses bâtiments, dans un contexte de réduction des soutiens publics, il a toujours en tête de placer « la bonne essence au bon endroit : on peut faire du bardage et des aménagements intérieurs avec de l’aulne, du châtaignier ou du chêne », rappelle-t-il. En dépit des expérimentations fructueuses, « force est de constater que ça ne démarre pas, constate, réaliste, Vincent Doussinault, à part quelques volontés politiques isolées, finalement, il n’y a pas vraiment de demande du consommateur en la matière ». Chargé de promouvoir le hêtre dans la construction chez le groupe Lefebvre, en Seine-Maritime, l’un des plus gros scieurs de cette essence en France (un tiers du volume), Maxime Castel le dit tout net : « Ça peut séduire une niche de clients très écolos, mais aujourd’hui ça ne représente rien dans le marché. » Lui comme d’autres ont traversé l’épisode Covid pendant lequel les constructeurs, privés de bois sur les marchés internationaux, ont redécouvert la forêt française. Motivée par la demande opportuniste de grands groupes, l’entreprise Lefebvre a investi dans des machines permettant de fabriquer des éléments lamellés-collés de hêtre… et aurait dû agrandir encore son site. Mais « depuis que les taux financiers ont remonté et que le bâtiment ralentit », le téléphone de Maxime Castel ne sonne plus aussi souvent. Le projet d’extension est abandonné.

LE SILENCE DES SCIERIES

Maurice Chalayer © par Gilles Sire

Concurrence internationale, coût des investissements, difficulté de reprise… Un faisceau de contraintes conduit à un autre processus lourd de conséquences pour la valorisation des bois locaux : la fermeture des scieries. « Cinquante scieries par an en moyenne », s’alarme Maurice Chalayer, fondateur de l’Observatoire du métier de la scierie, une initiative bénévole. Toutes tailles d’entreprise confondues, la France comptait 1 214 scieries en 2022, contre 5 241 en 1980. Si « la chute du prix du bois à partir des années 1970 et le triomphe du béton et de l’acier dans la construction » ont d’abord entraîné la disparition de beaucoup d’entre elles, les raisons de l’hémorragie ont évolué au fil du temps, comme l’indique la Cour des comptes, laquelle observe « une tendance à la concentration de la production dans les plus grandes unités de production ». De fait, la catégorie des scieries d’une capacité de plus de 20 000 m³ de bois scié par an « est la seule qui n’a pas vu sa production baisser mais au contraire augmenter ». Maxime Castel abonde : « dans le hêtre, pour être rentable, il faut atteindre une taille minimale de 50 000 m³ par an ». De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne, qui a fortement industrialisé le secteur, affiche pour sa part « une production de sciages plus de deux fois supérieure à celle de la France (23 Mm³) et l’Autriche dépasse la France avec ses 9,6 Mm³ de sciages », note la Cour des comptes.

« Elles peuvent valoriser les essences rares, les gros bois, les petits lots »

Maurice Chalayer

À côté du développement des scieries de types semi-industriel et industriel4, Maurice Chalayer plaide pour le soutien aux « scieries de service », de taille artisanale, un concept formulé par l’Observatoire du métier de la scierie en 2009 et largement repris depuis. Davantage orientée vers leur territoire et à l’écoute de la demande, elles représentent 80 % des entreprises pour 26% de la production et ont une carte à jouer : « Elles peuvent valoriser les essences rares, les gros bois, les petits lots » et permettent « les circuits courts, l’achat de grume de gré à gré, le sciage à façon ». L’analyste ajoute : « Il semble que les scieries de service, œuvrant dans les produits de niche après avoir échappé aux radars de la filière bois, sont enfin plus visibles et reconnues. Elles ont souvent été redécouvertes pendant la crise du Covid, où elles sont restées les seules accessibles aux particuliers, aux agriculteurs et aux professionnels charpentiers, menuisiers, emballeurs. »

À la tête de la scierie familiale, Pierre Méponte se situe entre« la petite industrie et la grande entreprise artisanale » avec 10 000 m³ de châtaignier, chêne, Douglas et acacia sciés (et non traités) par an dans les Deux-Sèvres.« Nous répondons aux demandes de débit sur liste, c’est-àdire des formats spécifiques. Ce que ne sait pas faire le grand négoce qui ne vend que des produits génériques », explique le gérant.

LA FRANCE EXPORTE LE BOIS BRUT ET IMPORTE LE BOIS SCIÉ…

Données France 2022 Source Agreste
Surface forestière17,3 millions d’ha (Mha) 
Volume des arbres vivants2,8 milliards de m³ dont 35% de conifères et 65% de feuillus 
Récolte de bois d’œuvre19,98 millions de m³ (Mm³), dont: 5,29 Mm³ de feuillus et 14,69 Mm³ de résineux 
Production de sciage8,45 Mm³ dont: 1,27 Mm³ de feuillus et 7,18 Mm³ de résineux 
Commerce extérieur
Commerce extérieur bois brutImportations : 164 millions d’euros (M€) dont 28 M€ de feuillus et 77 M€ de conifères (autres : bois énergie, bois traité)Exportations : 515 M€ dont 355 M€ de feuillus et 93 M€ de conifères (autres : bois énergie, bois tropicaux…)
Commerce extérieur sciagesImportations : 1 230 M€ dont 127 M€ de feuillus et 970 M€ de conifères (Autres : bois exotiques, particules, sciures…)Exportations : 572 M€ dont 293 M€ de feuillus et 243 M€ de conifères
Elodie Roulier © par Gilles Sire

Le massif des Pyrénées compte encore des scieries de taille artisanale « qui s’adaptent plus facilement à la demande des architectes et des maîtres d’ouvrage », constate aussi Élodie Roulier. « Sans elles, l’offre en bois local n’aurait pas pu être relancée ». Problème, de nombreuses petites scieries sont détenues par des propriétaires proches de la retraite… « Il se pose un énorme enjeu de transmission », prévient-elle. Or le secteur est très capitalistique : reprendre une scierie, c’est acheter un site auquel s’ajoutent le stock de bois et, souvent, la remise des installations aux normes. « Les machines coûtent une fortune, et l’achat d’occasion n’est pas toujours sécurisant », pointe Patrice Gastebois. « Pour une petite scierie, s’il n’existe aucun repreneur dans le cercle familial, en général l’entreprise reste en vente plusieurs années car les candidats sont rares », précise Élodie Roulier.

« Il faut connaître le sciage, l’affûtage, les essences, le territoire, le marché, savoir négocier… »

Elodie Roulier 

D’autant qu’on ne s’improvise pas scieur du jour au lendemain : « Il faut connaître le sciage, l’affûtage, les essences, le territoire, le marché, savoir négocier. En fait les seuls acheteurs ici sont des grosses entreprises de bûcheronnage ou de menuiserie. » Les syndicats, les interprofessions ont-ils entamé des réflexions pour répondre à ces difficultés ? « Pas vraiment… Mais regardons ce qui se passe dans le domaine agricole, lui aussi très lourd en termes d’investissements : des initiatives existent pour sortir des impasses grâce à l’accès au foncier ou à l’installation en groupe, pour porter à plusieurs des reprises. Le secteur du bois pourrait s’en inspirer… », suggère la chargée de mission.

Lire aussi

  1. L’export de feuillus est passé, en valeur, de 144 millions d’euros (M€) en 2010 à 355 M€ en 2022, selon Agreste.
  2. www.parc-pyrenees-ariegeoises.fr/les-actions-du-parc/la-foret-le-bois/ construire-et-renover-en-bois-local
  3. Quelques certifications garantissant l’origine du bois existent : Bois de France, Bois des Pyrénées, Bois des territoires du Massif central, etc.
  4. D’une capacité supérieure à 10 000 m3/an selon la classification du ministère de l’Agriculture.

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