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Croiser le faire Arthur Helloin

Published on 21 juin 2022 |

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[Matériaux biosourcés] Le pari des maisons sur plants

Par Christophe Tréhet

Si les isolants d’origine agricole, paille de céréales, chénevotte de chanvre et autre laine de riz sortent progressivement de leur niche, leur développement se confronte à une culture de la standardisation propre au secteur du bâtiment et souffre d’une concurrence forte avec les produits conventionnels. À l’heure où les constructeurs s’inquiètent de l’envolée du coût des matières premières, l’enjeu consiste à caractériser ces matériaux, variables par nature, et à valoriser leur intérêt écologique.

Passera, passera pas ? Hubert Rinaldi, cogérant de la SARL Chanvre mellois, dans les Deux-Sèvres, charge un « big bag » de chènevotte de chanvre dans le coffre d’un client. Si ce dernier est aujourd’hui venu acheter du granulat végétal pour pailler son jardin, les fois précédentes c’était pour isoler les murs et les planchers de sa maison que la voiture débordait de la même manière. Tout sourire, cet habitant du Pays mellois à la sensibilité écologique lance : « Le chanvre remplace idéalement les isolants conventionnels [à base de verre et de matériau issus de la pétrochimie, ndlr] : il stocke du carbone au lieu d’en émettre à la production, il est local et bon marché ! » De son côté, une fois garé le porte-palettes, l’agriculteur, cofondateur de l’entreprise, n’en a pas fini alors que les chantiers agricoles l’attendent en ce début de printemps : « Un camion vient d’arriver pour nous livrer des bottes de chanvre. Les ventes n’arrêtent pas et, en mars, on n’a déjà plus de stock disponible. Pour tenir jusqu’en septembre, on achète du chanvre à des producteurs qui en sèment pour récolter la graine ; ils ne savent pas quoi faire de la paille. Il y en a plein dans ce cas de figure en France, les filières de chanvre pour la construction restant très limitées. » Afin de répondre à la demande croissante, la SARL, qui regroupe quatorze agriculteurs, va plus que doubler en 2022 sa surface cultivée en chanvre (de cinquante-cinq à cent vingt hectares). Elle propose cet isolant végétal sous plusieurs formes : la chènevotte, extraite de la partie interne de la tige, forme un granulat que l’on peut souffler en vrac dans l’espace à isoler ou mélanger à un liant (terre, chaux) pour élaborer des mortiers, des briques et des enduits de finition ; et la laine de chanvre, constituée essentiellement de fibres, qui peut également être injectée dans un coffrage.

Pionnier en matière de valorisation de ce végétal dans le bâtiment (rénovation et construction), le collectif des chanvriers mellois a essuyé les plâtres depuis 2005 : « Les machines pour récolter et transformer la plante coûtent cher, on a donc décidé de les fabriquer nous-mêmes à partir de vieilles moissonneuses-batteuses et de modules industriels simples et génériques. » Après plusieurs essais, la SARL valide actuellement un prototype avec une entreprise locale de ferronnerie afin de diffuser, sans faire valoir de propriété industrielle, un matériel efficace, facile à entretenir et peu onéreux.

Plus rentable que le blé

Soucieux de rester autonomes dans leur démarche et de générer de la valeur ajoutée pour leurs exploitations, nos agriculteurs, également membres du réseau Chanvriers en circuit court, ont mis en place un dispositif rémunérateur : « Tout est valorisé dans le chanvre, jusqu’aux poussières vendues à des céramistes. Les producteurs n’ont que le semis à leur charge, la récolte puis la transformation et la vente étant assurées par la SARL. Pour nous, la rentabilité du chanvre s’établit à une fois et demie celle du blé et cela va encore s’améliorer, notamment grâce à de nouveaux débouchés », poursuit H. Rinaldi. Des débouchés déployés grâce aux efforts menés par le collectif pour sensibiliser des artisans et des maîtres d’ouvrage (particuliers et collectivités). La SARL a progressivement bénéficié de soutiens publics, régionaux et européens. Et pour cause, outre la boucle économique locale que le projet structure, le chanvre présente plusieurs avantages agroécologiques : « Cette espèce ne nécessite aucun intrant, résiste bien aux sécheresses et réduit les adventices car elle pousse très vite », pointe l’agriculteur. Après avoir disparu des paysages agricoles au XIXe siècle sous l’effet de la concurrence avec le coton, cette plante, historiquement à usage textile, a sa place toute trouvée dans les rotations longues.

Plein les bottes

L’utilisation de la botte de paille comme isolant « date de l’invention de la botteleuse à la fin du XIXe siècle aux États-Unis », raconte pour sa part Gabriel Martinez, du Réseau français de la construction paille. « On trouvait peu de bois dans les grandes plaines céréalières, alors l’idée est venue d’empiler les bottes pour monter les murs de bâtiments. Le procédé est arrivé en France en 1920 par l’intermédiaire de l’ingénieur Émile Feuillette, pour isoler des bâtiments en bois. Sa première maison, à Montargis, n’a pas bougé. » 

La construction en chanvre s’est, quant à elle, développée depuis trente ans.« Mais, signale Philippe Evon (ingénieur à l’Ecole nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques), cette culture n’est pas présente partout et d’autres espèces offrent des potentiels importants. Il est donc nécessaire de caractériser le potentiel des différentes filières locales pour des matériaux disponibles et de même efficacité. » Historiquement, une deuxième filière a fourni des particules issues du défibrage des tiges, celle du lin, strictement localisée pour des raisons climatiques, à proximité du littoral du nord et de l’ouest de la France. Mais elle n’est pas la seule. « Il y a d’autres cultures dont les tiges contiennent des tissus poreux idéaux pour former des matériaux isolants. C’est le cas des céréales, du tournesol, du maïs, du colza ou encore du roseau », précise Hélène Lenormand, enseignante-chercheuse dans l’unité Transformations et agroressources de l’institut polytechnique UniLaSalle, à Rouen. « Chaque culture fait appel à une logistique spécifique pour la séparation de la moelle et de l’écorce de la tige : elle est par exemple spontanée pour le tournesol mais nécessite un procédé industriel dans le cas du maïs. » Cette liste dessine en creux une cartographie des ressources disponibles car « ces granulats étant très peu denses, ils coûtent très cher à transporter» complète P. Evon.(Pour un même volume de transport, le poids de granulats transportés étant plus faible que pour d’autres matières, le coût du kilo transporté est plus élevé. Ndla). Au nord le lin, au nord et sur la façade atlantique le colza, dans la moitié sud le tournesol, mais aussi la paille de riz à proximité de la Camargue.

Quid de la disponibilité réelle de ces matériaux et des concurrences que pourrait engendrer leur réorientation vers les filières du bâtiment ? « Dans le domaine des isolants et des matériaux peu pondéreux, il n’y a pas de problème particulier à l’échelle nationale, sauf si ces produits étaient davantage orientés vers la production d’énergie », signale Luc Floissac, chercheur associé au laboratoire de recherche en architecture de Toulouse et coauteur de l’étude Terracrea (2014) qui a porté sur cette question. « Les éleveurs craignent certes des tensions pour la paille mais, en cas de généralisation de cette dernière dans le bâtiment, la filière n’absorberait qu’un millième de la ressource. Une régulation du marché pourrait réduire ces risques. »

Chaud et froid 

Du côté des constructeurs, les matériaux biosourcés sont promus par les tenants d’une approche écologique du bâtiment pour plusieurs raisons. Outre qu’ils emprisonnent du carbone, ils affichent des caractéristiques des plus utiles. Ils se révèlent aussi bons isolants que leurs équivalents conventionnels (laine de verre, etc.), ce qui permet d’assurer le confort thermique d’hiver. « Mais l’un des travers de la recherche a consisté à se focaliser sur cet aspect, compte tenu des passoires thermiques que l’on construisait dans les années 1970 », pointe L. Floissac. Or, aujourd’hui, le confort d’été compte tout autant, car les canicules vont s’intensifier. « Et pour y faire face, la masse volumique et la chaleur spécifiques des biosourcés sont bien meilleures que celles des isolants classiques. » Et ce d’autant plus s’ils sont mélangés à un liant inertiel tel que la terre. Par ailleurs, leur comportement à la vapeur d’eau, de même que leur propension à la capillarité, garantissent une meilleure durabilité aux parois. Reste qu’ils peinent malgré tout à percer dans la construction publique et chez les particuliers. « Ils sont en général plus chers car les filières ne sont pas industrialisées, estime Guillaume Sicard, architecte et urbaniste à Toulouse. Sur un projet récent à Toulouse, le budget de construction augmentait d’un tiers si l’on optait pour du 100 % durable et biosourcé. » De son côté, L. Floissac estime au contraire que « les bâtiments biosourcés sont au prix médian du marché pour des performances énergétiques et environnementales haut de gamme ». 

D’un chantier à l’autre

Deux sources d’isolants biosourcés existent donc aujourd’hui en France. La filière industrielle qui offre des produits standardisés et normés distribués partout, et l’approvisionnement local, directement auprès d’un agriculteur ou d’un collectif de producteurs. Si la paille et le chanvre se sont développés dans le secteur de la construction, c’est que leurs promoteurs ont obtenu les sésames : des règles professionnelles détaillant les bonnes pratiques, les tests de résistance au feu, aux insectes, les calculs de conductivité thermique. Mais ils ont su aussi expliciter les conditions de production d’un produit relativement standardisé. Grâce à cela, les artisans sont en mesure d’inclure les chantiers biosourcés dans leur garantie décennale (pour assurer les dommages éventuels) et de mettre en œuvre les produits avec un résultat homogène d’un chantier à l’autre. Des leviers qui ont cependant un coût : 80 000 euros et quatre ans de travail pour une appréciation technique d’expérimentation sur la laine de chanvre des Chanvriers mellois, et 200 000 euros pour l’ensemble des tests nécessaires commandés par le Réseau français de la construction paille afin de qualifier la botte de paille de blé (et pas d’une autre céréale !).

Et pour les matériaux biosourcés agricoles qui, par nature, sont variables selon le territoire et d’une année sur l’autre ? Les caractériser et constituer une offre en accord avec les pratiques des acteurs du bâtiment constitue un sacré enjeu, pour des collectifs d’agriculteurs qui ont peu de temps et manquent de moyens financiers. Chercheur indépendant et collaborateur de la Scic Eco-Pertica, dans l’Orne, qui distribue du chanvre fermier, Arthur Hellouin de Menibus travaille depuis plusieurs années sur les écomatériaux d’origine agricole : « L’utilisation de matériaux végétaux est certes ancienne, pensons au torchis par exemple. Mais nos ancêtres n’avaient pas le souci d’isoler les bâtiments au même niveau que nous le faisons maintenant. Introduire des biosourcés dans le logement contemporain amène des questions nouvelles, par exemple sur le transfert d’humidité dans les parois. » En partenariat avec diverses équipes de recherche et de praticiens, il étudie la variabilité des matériaux biosourcés et de la terre pour la construction : « Dans le cadre du projet Eco-Terra, nous avons essayé de valider les plages de performance en fonction de la variabilité de la terre et du chanvre local utilisés. L’idée n’est pas tant de faire le meilleur mélange terre-chanvre possible que de savoir ce que je peux faire avec ces deux matériaux tels qu’ils sont près de chez moi. Puis nous avons développé des formations pour maçons, pour leur apprendre à identifier et utiliser ces ressources locales. Notre économie est basée sur le partage de savoir-faire plutôt que sur la filière longue. »

Brut de décoffrage

Pour mener à bien ses travaux, le chercheur s’attache à y associer les praticiens. Dans le cadre du projet Chanvr’isol, mené en association avec UniLasalle, A. Hellouin de Menibus et l’équipe de la coopérative Eco-Pertica ont ainsi éclairé l’impact de la variabilité des chanvres fermiers sur les performances thermiques : « Au sein de Chanvriers en circuit court, chaque groupe produit un chanvre différent. Quel est l’impact du taux de poussières ? Du taux de fibres ? De la couleur ? » Pour H. Lenormand, « cette variabilité n’a pas vraiment d’effet sur la performance d’isolation. Mais elle peut influencer la prise d’un mortier avec des liants hydrauliques (ciment, chaux)».

Las, une partie de la recherche consacrée actuellement aux matériaux biosourcés vise plutôt à créer des produits à haute valeur technologique, tels les matériaux composites. L. Floissac y voit un écueil, sinon une impasse : « Tout l’art de l’architecture et de la construction, depuis l’aube des temps, consiste à mettre en œuvre des matériaux naturels qui ne se dégradent pas : construites il y a des centaines d’années, les cathédrales, les maisons à pan de bois non traité sont toujours là. Or la recherche sur les biosourcés tend parfois à s’engouffrer dans la chimie du végétal. Selon moi, il faut plutôt promouvoir la non-transformation des matériaux et concevoir une architecture contemporaine élégante, sobre, saine et respectueuse de l’avenir. La biodégradabilité est un atout. La déconstruction d’un bâtiment écologique après des siècles d’usage n’engendrera aucune pollution et aucun coût de démantèlement. Nous pouvons dès aujourd’hui rénover ou ériger des bâtiments écologiques qui séquestreront le carbone durant des siècles et qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Faisons-le massivement et tout de suite pour ne pas avoir de regrets plus tard ! »

Un marché de niche.

Les matériaux dits « biosourcés » sont issus du vivant. Ceux-ci comprennent d’une part le bois, pour les charpentes, les ossatures et l’aménagement, d’autre part les matériaux d’origine agricole en botte ou en vrac, sous forme de panneaux pour l’isolation ou pour élaborer des mortiers et des bétons en mélange avec de la terre ou de la chaux. Selon l’Association des industriels de la construction biosourcée, ces produits végétaux fourniraient 10 % des ventes d’isolants en France. « C’est un marché de niche. En dehors du bois d’œuvre, la grande majorité des matériaux biosourcés est utilisée pour du packaging et des couverts jetables », résume Philippe Evon, ingénieur de recherche au laboratoire de chimie agro-industrielle, de l’École nationale supérieure des ingénieurs en arts chimiques et technologiques (ENSIACET). 




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