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De l'eau au moulin

Publié le 8 février 2021 |

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[Biodiversité] Quand des prairies fleurissent sur d’anciennes friches urbaines

Par Guillaume Lemoine, référent biodiversité et ingénierie écologique à l’EPF Nord-Pas-de-Calais

En Nord et Pas-de-Calais, l’Établissement public foncier innove en verdissant et ensemençant temporairement ses sites destinés au renouvellement urbain. Refaire ainsi de « la ville sur la ville » y crée de nouveaux espaces de nature et offre de nouvelles perspectives de réflexion aux acteurs concernés.

Omniprésentes en France et en Europe, notamment dans les anciennes régions industrielles, les friches urbaines font l’objet de toutes les attentions. Réserves foncières pour la ville, elles sont mobilisées pour les opérations de renouvellement urbain. Elles permettent ainsi de refaire « la ville sur la ville » par la suppression d’espaces dangereux et parfois pollués, tout en évitant l’étalement urbain et la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Véritable démarche de sobriété, le recyclage foncier est clairement identifié comme une action au service de la politique de Zéro Artificialisation Nette (ZAN)1 portée par le gouvernement. Pour mettre en œuvre cette reconversion des espaces, les collectivités disposent de nombreux outils, notamment les Établissements Publics Fonciers (EPF), qu’ils soient d’État ou issus des territoires (département, intercommunalité).

En attente d’affection
En fonction de la loi du marché, les friches dont le bâti a été déconstruit ou les parties non bâties des ensembles fonciers peuvent rester de nombreuses années en attente d’affectation. S’y expriment alors des dynamiques naturelles, notamment de colonisation végétale aux formes variables selon la nature des sols, de l’âge et de la taille des sites, de leurs situations dans la matrice et la trame écologique urbaines et selon la proximité de milieux « sources » plus ou moins naturels.

Les sols de ces friches et des délaissés urbains s’avèrent souvent caractéristiques de l’histoire « industrielle » ou urbaine de ces lieux qui impose à la flore et la faune des conditions écologiques parfois extrêmes. Il s’agit souvent d’espaces artificialisés, fortement minéralisés (pavés, enrobés, ballasts) formés de technosols (zones remblayées de gravats ou bétons concassés) et présentant de lourdes contraintes pédologiques, écologiques et agronomiques.

L’apparition de végétations non « souhaitées »
Les végétations que l’on rencontre dans les friches urbaines, avant ou après une opération de recyclage2, sont très diverses.

Aux côtés des classiques rudérales urbaines (orties, chardons, morelles, chénopodes…) qui se développent sur des sols plus ou moins naturels devenus, après des dépôts d’ordures et de matières organiques, eutrophes (riches en azote et autres éléments fertilisants), c’est principalement une flore thermophile, aimant les remblais secs et chauds, que l’on rencontre dans les espaces artificialisés des cités. Les friches et espaces délaissés des grandes villes accueillent également quantité d’espèces exotiques voire envahissantes. Il n’est pas rare que les végétations urbaines qui s’installent posent quelques problèmes aux habitants, collectivités et aménageurs.

D’abord, la présence de plantes des décombres (rudérales) peut déplaire aux riverains, nuire à leur cadre de vie et pénaliser l’attractivité du territoire. La gestion de cette flore spontanée et souvent exubérante est coûteuse et peu écologique puisque cette végétation est souvent broyée. L’apparition de boisements à base d’espèces exotiques (buddleia, robinier, ailanthe, etc.) ou de ligneux plus régionaux (saules, bouleaux, érables sycomores, etc.) peut également devenir anxiogène pour les élus et les habitants, qui craignent l’émergence d’activités illicites (trafic, prostitution, squat, dépôts d’ordures et gravats) sur ces espaces dont une partie reste masquée par la végétation.

De façon paradoxale, les dynamiques de végétation et d’enfrichement des espaces urbains, qui correspondent à une forme de « nature » échappant à l’homme, sont accompagnées dans certains cas par l’arrivée d’espèces protégées (flore et faune). Cela peut, bien entendu, compliquer l’émergence du projet urbain qui, souvent, a motivé l’opération de recyclage foncier. Les espèces protégées, survenues après la réalisation des travaux de démolition et pendant la période de latence (avant le réusage du site), vont créer des contraintes réglementaires pour les aménageurs et leurs maîtres d’ouvrage. Des inventaires naturalistes, par exemple, devront être réalisés et il faudra appliquer la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » (ERC)3, avec les délais inhérents. L’aménageur est en effet dans l’obligation réglementaire de prendre en compte les impacts de son projet sur la biodiversité et les espèces protégées présentes devront être conservées. S’il ne peut éviter ces atteintes, il visera à les réduire en adaptant le projet (surface, positionnement) et à compenser les impacts résiduels. Les mesures compensatoires devront être proportionnées aux nuisances, se trouver à proximité du terrain, être favorables aux espèces et milieux concernés (notion de similarité) et restaurer les fonctions altérées.

Des fleurs et des insectes dans les espaces temporairement disponibles

En Nord et Pas-de-Calais, l’EPF de l’ancienne région4, régulièrement confronté à cette problématique, a décidé d’innover en généralisant les verdissements des espaces sur lesquels il a entrepris des travaux à la demande des collectivités et dont il a la propriété. Depuis cinq ans, l’ensemble de ses terrains rendus disponibles après travaux de démolition sont ensemencés. Les mélanges implantés sont de deux types et varient en fonction de la vocation de l’espace requalifié.

Lorsque les terrains sont voués à la constitution de « cœurs de nature » définitifs dans la trame verte urbaine, l’installation de pelouses sèches et de prairies peu fertiles (mésotrophes) est privilégiée, surtout lorsqu’il s’agit de tirer parti de la pauvreté agronomique (oligotrophie) des sols et des « champs de cailloux » présents (gravats issus de la démolition). Les espèces de prairies, notamment thermophiles (qui aiment la chaleur), sont choisies dans la flore régionale et sont d’origine régionale certifiée (mélanges Ecosem Wallonie).

Dans les autres cas, nettement plus nombreux, sur les sites en portage court qui vont rapidement repartir à l’urbanisation, ce sont des couverts à base de fabacées qui sont installés afin de couvrir au plus vite les sols, de réduire les coûts de gestion et d’en augmenter l’acceptation sociale. L’EPF a choisi des espèces très fleuries, colorées, bien couvrantes et de faible croissance, par exemple le trèfle blanc ou le lotier corniculé en mélange avec de petites graminées comme des fétuques. Lorsque les sites sont plus grands, luzerne, anthyllide vulnéraire et sainfoin complètent la gamme.

Sauver les pollinisateurs

L’utilisation massive des fabacées, seules ou en mélange avec des astéracées et apiacées sur l’ensemble des sites traités, a pour but de venir en aide aux invertébrés de l’espace urbain comme les lépidoptères, les orthoptères et plus particulièrement les hyménoptères anthophiles (Megachile, Osmia, Bombus…). Ces espèces végétales, notamment les fabacées, sont très attractives pour les hyménoptères, en particulier pour les espèces d’abeilles à langue longue (comme les bourdons et les Megachilidae) particulièrement menacées en Europe du nord-ouest et en France suite à l’arrêt progressif, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des assolements intégrant trèfle et luzerne5.

C’est pourquoi, depuis plusieurs années, l’EPF Nord-Pas-de-Calais décline sur son territoire de compétence des actions qui entrent dans les plans régionaux et nationaux d’actions en faveur des pollinisateurs sauvages : Plan National d’Actions (PNA) « France, terre de pollinisateurs » porté par le ministère en charge de l’Écologie et projet transfrontalier Interreg Flandre-Wallonie-Hauts-de-France SAPOLL (SAuvons nos POLLinisateurs) pour lequel l’EPF était partenaire technique.

Papillons, anthidies et osmies en ville !

Les mélanges implantés présentent ainsi le meilleur compromis entre les coûts d’installation et de gestion et la facilité de reprise sur des sols ingrats incluant leurs qualités esthétiques et écologiques. Les ensemencements, suivis pour mesurer leur intérêt pour la faune sauvage (invertébrés principalement) ont permis l’observation de nombreuses espèces d’apoïdes dans les genres Bombus, Osmia, Anthidium, Megachile… Chez les lépidoptères, les friches urbaines « verdies » accueillent de nombreux argus, colias, machaon, cuivré commun, satyrinés… En outre, l’hespérie de la mauve, la sésie ichneumoniforme et le phanéroptère commun, ainsi que de nombreuses autres espèces, ont été observés sur les sites de l’Établissement, surtout ceux de la métropole lilloise, alors qu’ils n’étaient pas connus dans cette partie de la région.

De la « nature temporaire »

Soyons clairs : la friche végétalisée en attente de sa remobilisation pour la construction est amenée à disparaître. Mais cela doit se faire sans forts impacts écologiques pour les espèces qui ont été momentanément favorisées dans les espaces ensemencés, déconstruits, et transitoirement disponibles ; et cela n’est possible que si le territoire offre, à proximité, d’autres espaces qui vont pouvoir les accueillir. Dans ce sens, il est important de considérer ces espaces comme des éléments dynamiques de l’écosystème urbain de « nature temporaire » susceptibles de se déplacer régulièrement dans la matrice urbaine, comme c’est le cas pour les clairières issues de chablis dans les forêts primaires qui créent temporairement des milieux « ouverts » et qui se reboisent progressivement. Les communautés végétales et animales de ces milieux ouverts bougent ainsi au rythme de la création des clairières et de leur disparition suite à leur reboisement spontané. De même, les « prairies fleuries », même si leur vocation est de favoriser une diversité sur un pas de temps court (5 à 10 ans), participent à la conservation de la nature en ville, en formant des maillons de la trame verte urbaine avant de disparaître au rythme de leur réaffectation.

Une démarche multifonctionnelle reconnue

Les opérations d’ensemencements dirigés réalisées par l’EPF Nord-Pas-de-Calais, simples à mettre en place, concernent la majorité des sites sur lesquels l’Établissement intervient, sauf les sites qui seront très rapidement réurbanisés. Appréciées par les riverains et les habitants des communes, elles contribuent à l’amélioration du cadre de vie et à l’image du quartier.

Outre leur bénéfice pour la biodiversité, ces actions de verdissement dirigé présentent d’autres types d’intérêt. Les dépenses liées aux opérations de gestion (broyage ou fauchage des végétations herbacées et ligneuses) sont évitées. L’absence de chardon et d’espèces exotiques envahissantes voire allergènes (ce type de terrain serait très favorable à l’ambroisie à feuille d’armoise) ou de bouleaux (natifs de nos régions) est un autre bénéfice. Enfin, cette végétalisation contribue également à éviter l’envol des poussières et à limiter les îlots de chaleur urbains.

Des usages transitoires

Parallèlement, cette démarche est, aujourd’hui, étudiée sous l’angle de nouveaux usages, dits transitoires, sur les sites sans réaffectation rapide. Leur développement vise à redonner de la valeur sociale, paysagère, économique ou écologique à des sites souvent localisés en cœur de ville.

L’occupation temporaire est à l’étude. Certains des sites font déjà l’objet d’écopâturage et, sur d’autres, sont expérimentées des cultures biomasse/énergie ou encore la phytoremédiation. Les jardins, éphémères ou temporaires, et l’agriculture urbaine sont en cours de réflexion mais, pour ces projets, il est nécessaire de construire une sécurité (physique et juridique) en lien avec les collectivités partenaires.

Les verdissements inspirent aujourd’hui de nouveaux acteurs : EPF d’autres régions, sociétés d’économie mixte, communes, intercommunalités et entreprises privées. Cette démarche a reçu en novembre 2018 le prix national du Génie écologique dans la catégorie « Aménagement de l’espace public et privé ».

  1. Politique qui vise à freiner puis arrêter l’artificialisation des sols. Des espaces pourraient encore être consommés de façon marginale à condition de désartificialiser des surfaces équivalentes. La présence de friches  aux sols artificialisés et imperméabilisés donne aux territoires des espaces de compensation.
  2. L’opération de recyclage consiste généralement, après acquisition du bien, en la démolition des bâtiments et fondations et au traitement des sources concentrées de pollution.
  3. Lire le dossier de S. Thépot, dans Sesame 7 : Les outardes, le grand hamster et les compensations « à la française » https://revue-sesame-inrae.fr/outardes-grand-hamster-compensations/
  4. La nouvelle région des Hauts-de-France, depuis la réforme territoriale de 2014, inclut également la Picardie, sur laquelle l’EPF Nord-Pas-de-Calais n’intervient pas.
  5. Les légumineuses (nommées aujourd’hui fabacées), comme les trèfles et la luzerne, apportaient aux parcelles agricoles l’azote atmosphérique capté par les plantes et leurs symbiotes, avant que la chimie de synthèse ne les remplace.

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