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Bruits de fond

Publié le 9 février 2021 |

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[Banqueroute] Comme un gros mal de dette

par Valérie Péan
Illustration : Le prêteur et sa femme. Quentin Metsys, 1514

Au propre comme au figuré, qu’elle s’applique à l’actuelle situation du gouvernement libanais en défaut de paiement ou à telle entreprise peu scrupuleuse, la banqueroute sonne comme une débâcle. Le mot accroche, il fait violence et laisse dans son sillage une odeur d’infâmie. C’est qu’elle est loin d’être une simple faillite ; de tout temps ou presque, les règles de droit ont d’ailleurs pris bien soin de distinguer ces deux types de fiascos financiers.

En clair, à la simple impossibilité de faire face à ses engagements s’ajoute ici le caractère frauduleux : une faillite aggravée, voire sciemment provoquée, par des agissements pour le moins indélicats – en dissimulant des avoirs, par exemple – qui en font un délit ou un crime. Les sanctions pénales ? Jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 € d’amende…En d’autres temps, la justice fut plus expéditive – c’est la peine capitale qu’encouraient les banqueroutiers au XVIIe – ou plus symbolique dans l’Italie médiévale des Génois, Lombards ou Vénitiens : « S’asseoir le derrière nu sur une pierre en présence de tous les marchands », comme le résume Voltaire 1.

Explications : à l’époque, les marchands italiens qui pratiquent le prêt et le change ont comptoir sur rue : ils officient derrière une banca (un « banc »), d’où est tiré le mot banque. Que l’un de ces négociants fasse faillite et c’est toute la profession qui pâtit de cette perte de crédit, aux sens propre et figuré. D’où cette mesure très concrète : le droit pour les créanciers ou les partenaires de casser le banc du failli. Ce « banc rompu », c’est la banca rotta en italien, qui a donné « banqueroute », un terme apparu au XVIe siècle en français. C’est Voltaire encore qui nous éclaire : « Ce n’est pas que beaucoup de gens ne se ruinassent ; mais […] on disait déconfiture : ce mot est plus doux à l’oreille. » Où l’on apprend au passage que la déconfiture s’ancrait dans un sens concret : tirée du latin decoctor, elle désignait la fâcheuse posture de celui qui dissipe ses biens, se rendant insolvable. Des déconfits dont le sort se réglait là encore au sein de la communauté marchande, sans autre intervention de l’autorité publique… Jusqu’au jour où le royaume, dès Philippe Le Bel, se mit à vouloir mettre bon ordre entre simples faillis non sanctionnés et banqueroutiers jugés criminels encourant mise au pilori, aller simple aux galères ou peine de mort. Jusqu’au XVIIe siècle, les ordonnances se multiplient. Frénésie de régulation du commerce de l’argent ? Pas forcément. Une façon aussi, pour les finances publiques en piteux état, de saisir des richesses de manière expéditive… Ce qui n’a pas empêché l’État français de connaître lui-même de sacrées banqueroutes, la dernière étant celle du 30 septembre 1797, le Directoire annulant purement et simplement les deux tiers de la dette publique.

Et aujourd’hui ? Définie dans le Code du commerce depuis 1807 – avec de larges révisions au fil du temps – et relevant du tribunal correctionnel, la banqueroute concerne les commerçants, artisans, agriculteurs, indépendants et chefs d’entreprise qui, en situation de redressement ou de liquidation judicaire, se livrent aux maquillages des comptes et autres escroqueries. Selon un rapport du Sénat 2, 565 peines ont été prononcées en 2003 pour banqueroute dont plus de 400 ont donné lieu à des peines de prison. Où l’on passe donc du banc cassé au banc des accusés.

Laissons toutefois le dernier mot à Voltaire, toujours : « Nous avons eu depuis des hommes considérables banqueroutiers frauduleux ; mais ils n’ont pas été punis. » Cela ne concerne bien entendu que le XVIIIe siècle.

  1. Dans son Dictionnaire philosophique, à l’article « Banqueroute », 1765.
  2. https://www.senat.fr/rap/l04-335/l04-33539.html

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