Bruits de fond Agriculture

Published on 24 avril 2023 |

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Agriculture : soutiens-moi si tu peux !

Par Matthieu Brun, directeur scientifique de la FARM (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde).

Chaque année, environ 600 milliards de dollars sont investis dans le monde par les pouvoirs publics pour soutenir l’agriculture et l’alimentation. Alors qu’une nouvelle Politique agricole commune vient de démarrer, beaucoup s’interrogent sur la manière dont elle va accélérer les transformations de l’ensemble des politiques européennes. Parfois enviées, souvent décriées, la PAC et les autres politiques de soutien à l’agriculture font l’objet de critiques dans leur capacité à répondre aux demandes sociétales et aux pressions climatiques. Principal grief, la persistance de subventions jugées néfastes à l’environnement et contre-productives pour la durabilité des systèmes alimentaires. Le procès est ouvert contre les soutiens publics mais faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et se débarrasser de toutes ces subventions ?

Tour du monde des soutiens publics à l’agriculture et à l’alimentation

Le soutien public à l’agriculture et à l’alimentation est constitué de deux types de mesures. Les subventions tout d’abord, c’est-à-dire des dépenses engagées par l’État consacrées au développement du secteur agricole. Elles comprennent des transferts budgétaires aux producteurs (paiements couplés à l’hectare, à des niveaux de production ou à des pratiques), des transferts aux consommateurs pour l’accès aux produits de base (cartes de rationnement, aides aux transformateurs) et enfin des services collectifs qui créent les bonnes conditions au développement agricole incluant les infrastructures (eau, stockage, etc.), la recherche et l’innovation, etc.

Ensuite, l’agriculture et l’alimentation peuvent être soutenues par l’État via des politiques et des mesures sur les prix. Il n’y a pas ici de transferts budgétaires mais des normes, des règles et des politiques qui limitent et influent sur le prix d’un produit. On pensera par exemple aux droits de douane, aux taxes à l’exportation et aux mesures dites non tarifaires, comme les règlementations sanitaires ou environnementales.

“Plus un pays dispose d’un revenu élevé plus il dépense pour soutenir son secteur agricole”

Comment mesurer l’impact de toutes ces subventions sur l’environnement, la biodiversité et le climat ? Il s’agit en effet de pouvoir les comparer à l’échelle internationale. Or il n’existait pas d’outils pour le faire avant qu’un travail de ce type soit conduit par la Fondation FARM sur près de cent pays1. Il en ressort plusieurs constats. Tout d’abord, plus un pays dispose d’un revenu élevé plus il dépense pour soutenir son secteur agricole, alors même que le secteur ne fournit plus qu’une partie mineure de l’emploi et de la croissance économique.

Ainsi, dans les pays à revenu élevé, l’intensité des dépenses publiques est plus de deux fois supérieure à celle des pays à revenu intermédiaire, comme le Brésil ou la Chine, et à faible revenu, comme le Mali ou le Malawi. Ce sont l’Union européenne et l’Amérique du Nord qui dépensent le plus pour leur agriculture, soit entre 22 et 25 % de la valeur de la production agricole. Dans le même temps, elles sont les deux premières régions exportatrices de produits agricoles bruts et transformés.

Cet écart entre pays dits riches, pays émergents et pays à faibles revenus est encore plus important lorsque le soutien est rapporté au nombre d’actifs en agriculture. Les dépenses par actif agricole aux États-Unis sont ainsi quatre-vingts fois supérieures à celles existant en Inde et 2 690 fois plus importantes qu’au Ghana. Sans oublier que les pays riches et émergents, pour soutenir leurs prix intérieurs face à la concurrence des produits importés, ont mis en œuvre des protections plus importantes de leur secteur agricole.

Des subventions néfastes aux objectifs de développement durable

Dans ce paysage fortement contrasté entre les régions du monde, le débat se porte non seulement sur le niveau d’aides mais aussi sur leur utilité et leur impact. Ces soutiens ont longtemps été considérés à l’aune d’un nombre limité d’indicateurs, comme l’effet sur les revenus des producteurs ou sur leur productivité. À l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’attention est surtout portée sur les effets de ces subventions sur la libéralisation des échanges, avec un objectif clair : limiter les effets de distorsions.

Or un changement de paradigme est en train de s’opérer à la faveur de la prise en compte des biens communs et des Objectifs de Développement Durable (ODD). En effet, malgré le niveau d’investissement public important à l’échelle mondiale, l’insécurité alimentaire reste encore très élevée. Elle est même repartie à la hausse depuis 2019. De plus, sur le plan environnemental, l’érosion des sols et la dégradation de la biodiversité mondiale sont causées, au moins en partie, par le fonctionnement actuel des systèmes agricoles et alimentaires. Même à l’OMC, on commence à s’intéresser aux effets sur le climat et l’environnement des subventions agricoles… Selon trois organisations des Nations Unies, le constat serait sans appel.

“90 % des soutiens à l’agriculture ont des effets qui faussent les prix des denrées alimentaires…”

Dans un rapport publié en septembre 2021, la FAO (l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation), le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) ont tiré la sonnette d’alarme. Ces organisations jugent que près de 90 % des soutiens à l’agriculture ont des effets qui faussent les prix des denrées alimentaires et nuisent à l’environnement et à la santé2.

Dans le cas du continent africain, les soutiens publics, déjà très faibles, sont pris dans une série de contradictions. Les efforts consentis via les dépenses publiques qui devraient stimuler la productivité du secteur se retrouvent annulés par un soutien négatif des prix agricoles. En d’autres termes, pour protéger les consommateurs et leur offrir une alimentation peu chère, les prix intérieurs sont maintenus à des niveaux faibles, ce qui n’offre pas un climat propice à l’amélioration de la production.

Toujours en Afrique, une grande majorité des soutiens publics est affectée aux subventions à l’achat d’intrants, principalement des engrais de synthèse qui profitent en grande partie aux cultures d’exportation. Au regard des niveaux faibles de productivité agricole du continent et de sa dépendance très forte à l’extérieur pour l’approvisionnement en engrais, la concentration de l’effort public sur ces subventions laisse songeur.

Des soutiens plus efficaces et surtout des politiques cohérentes

Faut-il dès lors supprimer les aides publiques à l’agriculture et à l’alimentation au motif qu’elles sont néfastes à l’environnement et à la sécurité alimentaire ? La réponse est non. Les subventions qui visent à augmenter la production ne sont pas – toutes – à bannir. Tout dépendra du contexte et des objectifs poursuivis par les politiques publiques. Car les soutiens publics ne sont pas une fin en soi, ils sont un outil au service d’une stratégie politique qui doit être cohérente entre les objectifs de souveraineté alimentaire, de restauration de la biodiversité, d’adaptation aux effets du changement climatique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

L’équation de la transformation agroécologique est néanmoins complexe et il n’y aura pas une solution unique. Il faudra modifier en Europe ou aux États-Unis le soutien octroyé à certaines productions (viande, lait, par exemple) et accroître les efforts de diversification et de moindre utilisation des produits néfastes à l’environnement. À d’autres endroits, là où les soutiens et la productivité sont faibles, la donne est tout autre. Il faut augmenter ces aides tout en les conditionnant à des objectifs de durabilité sociale, économique et environnementale.

Cette exigence s’applique notamment à l’Afrique subsaharienne où la production doit augmenter pour répondre à l’augmentation de la demande et pour ne pas accroître les dépendances du continent dans le futur. Cela doit cependant se faire en restaurant et en protégeant les sols autant que la biodiversité. Mais ces impératifs sont parfois perçus comme des injonctions contradictoires, voire une nouvelle forme de colonialisme vert.


  1. Consulter l’Observatoire mondial des soutiens publics à l’agriculture de la Fondation FARM, en ligne sur https://fondation-farm.org/observatoire/accueil/
  2. FAO, UNEP, UNDP, A Multi-Billion-Dollar Opportunity: repurposing agricultural support to transform food systems. Rome, 2021.

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One Response to Agriculture : soutiens-moi si tu peux !

  1. gilbert espinasse says:

    Il faut en même temps revoir fondamentalement la philosophie première de l’ Agri-Culture.
    L’agriculture ne peut s’évoquer au travers de l’Exploitation agraire ,base de l’activité terrienne actuelle pratiquée aujourd’hui dans beaucoup de pays et plus particulièrement les pays “riches”( pour combien de temps encore ?) Essayons de penser un peu plus à nos successeurs ! Que leur laisserons nous, que leur laissons nous ?
    Chez nous la pléthore actuelle va nous amener rapidement, d’innombrables problèmes ,pérennité, pollutions ,épuisement des sols, déséquilibres sanitaires majeurs, climat (?) ,mal-être généralisé……et donc, point d’équilibre, d’harmonie et donc de bonheur .
    Abandonnons au plius vite cette exploitation mortifère et retrouvons la Culture qui seule, pourra sauver l’humanité .

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