Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 22 octobre 2025 |

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Un petit Milei-sime ?

À quelques jours de nouvelles élections qu’il pourrait perdre, Javier Milei fait feu de tout bois pour rassurer son pays et le monde entier. Mais la pilule ne passe pas vraiment, notamment dans le monde agricole. Où grands et petits producteurs se sentent un peu dindons d’une farce en laquelle ils ont été tentés de croire. C’est le fil du mercredi 22 octobre 2025.

Photographie : © archives Yann Kerveno

Il est l’idole des ultralibéraux, encensé par ceux qui veulent « casser la baraque », mais Javier Milei, le président argentin, se trouve aujourd’hui menacé par les élections législatives qui se tiennent le 26 octobre prochain. Le monde agricole du pays attendait beaucoup de ce président libertarien qui promettait, comme Trump d’ailleurs, un grand soir agricole pour son pays. Mais qu’en est-il après deux années ? C’est ce que nous allons regarder aujourd’hui. Il n’a pas chômé d’ailleurs depuis le début de cette année en réduisant, au cours de l’été, les taxes à l’exportation apposées sur les principales commodités agricoles qui font la richesse du pays, le soja, (de 31 à 24,5 %), le maïs (de 12 à 9,5 %), la viande bovine (de 6,75 à 5 %). L’idée alors était de faciliter la commercialisation de la récolte 2025 dans un contexte de sécheresse et de manque de rentabilité mais aussi, plus globalement, de renforcer la compétitivité et les gains du secteur agricole pour qu’il continue d’investir. Les effets d’annonce ont fonctionné mais on est encore loin des promesses de la campagne, qui vantaient tout simplement la suppression de la plupart des taxes à l’exportation sur les produits agricoles. Pourquoi ? Parce que les chiffres sont têtus. Il aurait fallu réaliser 8 milliards de dollars d’excédent budgétaire pour pouvoir s’affranchir de l’apport de ces taxes. Or, en 2024, il n’a été que de 1,6 milliard. Le soja est d’or.

Mesure désespérée ?

Les organisations agricoles du pays avancent avoir d’ailleurs amené, en 20 ans, plus de 200 milliards de dollars au budget du pays avec ces seules taxes. Dans un mouvement dont il a le secret, et parce qu’il fallait soutenir le peso argentin, Javier Milei a pourtant suspendu, à l’automne, toutes les taxes à l’exportation sur les produits agricoles au moins jusqu’au 31 octobre prochain, à moins que les ventes dépassent le seuil des 7 milliards de dollars de vente. « Il s’agit d’une mesure désespérée de Milei pour calmer les marchés, inquiets que le ministre de l’Économie, Luis Caputo, soit en passe de vendre tant de dollars pour soutenir le peso avant les élections qu’il ne restera plus rien pour payer la dette, dont une grande partie arrive à échéance en janvier » expliquait en septembre dernier Jonathan Gilbert pour Bloomberg. Qui précise que pour l’année 2025, les exportations de produits agricoles pourraient atteindre 29 milliards de dollars.

Quelle aubaine !

La suspension des taxes aura été un effet d’aubaine dont se sont vite saisi les grandes sociétés de négoces, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus notamment. 20 millions de tonnes ont changé de propriétaires en quelques heures, visiblement sur des ventes prévues à l’avance, faisant atteindre le plafond des 7 milliards synonyme de rétablissement des taxes. De quoi nourrir quelques ressentiments dans la Pampa où les producteurs se sentent pour le moins floués quand les négociants gagnent sur tous les tableaux, même si le prix du soja a progressé de 300 à 350 dollars la tonne depuis l’épisode en question.  Dans les étables, cette fois, tous les espoirs reposent sur Donald Trump qui, après avoir menacé de retirer l’aide (20 milliards de dollars) promise si Milei perdait les élections, a évoqué l’idée que les États-Unis achètent de la viande argentine (au grand dam des agriculteurs américains déjà privés du grand soir promis…). Si la mesure devait se concrétiser, l’impact serait toutefois modeste, le quota actuel accordé aux exportateurs argentins est de 20 000 tonnes quand le pays en ont exporté 900 000 en 2024  et table sur 830 000 pour 2025.

Vous avez dit vivrière ?

Mais tout cela, direz-vous, ce sont des problèmes de riche, de grande agriculture, de firme (les fameux pools de siembra) à vocation exportatrice. C’est vrai. Car dans les villes et dans la rue, chaque journée est plus difficile que la précédente. L’inflation, qui atteignait des sommets avant l’arrivée de Milei et qui a fortement chuté avec sa politique d’austérité, repart à la hausse : au-dessus de 2 % pour le mois de septembre. Surtout, la nouvelle dévaluation du peso attendue après les élections risque de pousser encore les prix vers le haut. Les prix de l’alimentation ont ainsi augmenté de 22 % depuis le début de l’année, un peu moins que les autres secteurs, mais suffisamment pour faire reculer très sensiblement la consommation. Et frapper majoritairement l’agriculture positionnée sur les produits frais et les marchés locaux, qui n’avait pas besoin de cela après l’ouverture aux produits d’importation (souvent moins chers) et à la suppression des soutiens.

Alimentazo

Le 17 octobre dernier, les organisations représentatives de cette agriculture ont organisé, au sein de leur fédération, la Mesa alimentaria ou Table ronde alimentaire, un « Alimentazo » pour dénoncer les « politiques de famine menées par le gouvernement ». En clair,  une grande opération de distribution de fruits et de légumes sur la Place de Mai à Buenos Aires. L’organisation dénonce le fait qu’en Argentine, plus de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, que des millions de familles ont des difficultés à se procurer des fruits, des légumes, des produits laitiers et de la viande de qualité. Et ce, alors que dans le même temps, la consommation stagne et les prix en magasin restent élevés à cause des intermédiaires. La consommation de viande est ainsi tombée à 47,7 kg par habitant en 2024, son plus bas niveau depuis un siècle et la demande de fruits et légumes a reculé de 30 à 40 % l’an passé dans le pays. « Conséquence : les producteurs perçoivent des revenus qui ne couvrent pas leurs coûts. Ils affirment que le pays se dirige vers une pénurie interne de produits alimentaires frais, avec un appareil agro-exportateur robuste mais déconnecté des besoins de la population » synthétise Nahuel Lag. Sans compter que, dans l’ombre, la concurrence s’accentue pour les terres, un placement devenu dans le pays aussi, voire plus rentable qu’un autre, avec la recherche de lithium et de terres rares…

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