Publié le 8 janvier 2025 |
0Un mort (de plus)
L’affaire fait du bruit. Une personne est décédée des suites du H5N1 (grippe aviaire) aux États-Unis. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas une info nouvelle. Environ 500 personnes sont déjà mortes d’avoir contracté la grippe aviaire depuis son apparition il y a plus de 30 ans. Pour autant, il y a beaucoup de choses qui bougent autour de ce virus et ce n’est pas forcément engageant. Sesame fait le point dans ce premier fil de l’année, sortez vos masques (et bonne année quand même).
On sortait tranquillement, ou pas, des agapes de fin et de début d’année pour regarder un peu ce qui pouvait se compliquer en 2025 et voilà que le H5N1 (de la famille influenza aviaire hautement pathogène, une des formes de grippe aviaire) sort du chapeau. Ce n’est pas vraiment une surprise, ce virus c’est un peu comme une cocotte-minute qui monte en chaleur doucement mais très sûrement. Et là, le bitoniau vient de se soulever pour mettre la machine en pression. La dernière nouvelle, qui ne vous a peut-être pas échappé, c’est le premier décès d’une personne causé par le virus H5N1. Le premier décès d’une personne AUX ÉTATS-UNIS, faut-il préciser. Parce qu’ailleurs dans le monde, le H5N1 a déjà fait des victimes, dans la faune, chez les oiseaux et les mammifères mais aussi chez les bipèdes que nous sommes. Environ 950 cas d’infections ont été déclarés depuis la découverte du virus chez nos congénères, dont environ la moitié s’est conclue par une issue fatale. Vous comprenez pourquoi le H5N1 est suivi comme le lait sur le feu… On en reparlera plus tard d’ailleurs, du lait.
Vieille connaissance
Le H5N1 n’est donc pas un nouveau venu. Il est détecté pour la première fois dans le sud de la Chine en 1996 chez des oiseaux et donne lieu à l’éclosion de foyers dès l’année suivante dans tout le pays et à Hong Kong. 18 personnes sont contaminées dont six ne se relèveront pas. Après une période de relative discrétion où il n’est détecté que de manière sporadique, le voilà qui se mue en épizootie aviaire dans toute l’Asie en 2003. Deux ans plus tard, les oiseaux migrateurs disséminent le virus qui touche, en 2005, les volailles en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe pendant que de « multiples lignées génétiques » voient le jour. Ces échanges de virus entre avifaune sauvage et volailles domestiques donnent lieu à l’émergence de deux nouveaux types de virus, H5N6 et H5N8 entre 2014 et 2016. Virus qui vont prendre le pas sur les multiples versions du H5N1 jusqu’en 2020. En 2021, on découvre alors un nouveau H5N1 (clade 2.3.4.4.b) qui devient vite prédominant dans les zones occupées précédemment et il est détecté sur des oiseaux en Amérique du Nord avant de toucher les volailles d’élevage… Puis les vaches, de manière récurrente,les salariés d’élevages… Jusqu’à ce coup de semonce de l’automne et la découverte de fragments du virus dans du lait cru issu d’un troupeau touché par le H5N1 en Californie, (réactivant peut-être le spectre de l’ESB ?). Dans sa dernière mise à jour, et suite aux études menées depuis lors, la Food and Drug administration réaffirme que la pasteurisation du lait reste l’arme la plus efficace mais avoue qu’elle ne sait dire si le virus peut contaminer les humains par ingestion (au cas où le lait ne serait pas pasteurisé). Du côté des élevages laitiers, on comptait ainsi 16 États américains et 917 troupeaux laitiers concernés dans le dernier point disponible (lui aussi du 6 janvier 2025).Il y a aussi eu un passage, remarqué, sur un porc en Oregon, toujours au cours de l’automne. Vous avez là un papier très complet à la fois sur l’histoire du virus et ses caractéristiques…
485 espèces touchées
Cette incursion dans le monde des mammifères n’est pas non plus une première et il n’est plus guère de zones qui sont aujourd’hui épargnées par la circulation du virus et de ses différents variants. Dans un récent point (mars 2024), l’Organisation internationale de la santé animale rapportait ainsi que « 485 espèces de plus de 25 ordres aviaires ont été touchées et 37 nouvelles espèces de mammifères ont été infectées depuis 2021. » L’organisation note également que le passage de la maladie a « entraîné un déclin significatif parmi les populations d’animaux sauvages, y compris celles de mammifères marins en Amérique du Sud » et que cette propagation fait courir le risque d’une crise écologique en cas d’effondrement de certaines populations animales. Plus de 24 000 lions de mer ont ainsi péri entre janvier et octobre 2023 sur le continent sud-américain. Vous avez là le rapport le plus récent sur la question. Bref, pour l’instant, la contamination des humains est essentiellement liée au contact avec des animaux infectés, les ouvriers agricoles en Californie par exemple, État où de nombreux élevages sont touchés. Et les symptômes sont le plus souvent légers, se limitant à des conjonctivites.
Ça circule trop…
Dans son bulletin le plus récent, le Center for Disease Control and Prevention américain (CDC) se veut toutefois rassurant, autant que faire se peut, en expliquant qu’« aucun changement virologique inquiétant ne se propage activement chez les oiseaux sauvages, les volailles ou les vaches, ce qui augmenterait le risque pour la santé humaine. » Mais le risque de mutation existe et la nouvelle de l’infection d’un porc a par exemple allumé tous les signaux, compte tenu de la proximité génétique entre les porcins et les humains. Pour l’heure, et c’est tant mieux, le dernier cas grave en Louisiane n’a pas changé la donne : l’analyse génétique du virus incriminé n’a pas révélé de mutations délétères capables de rendre le virus plus virulent, les changements observés étant probablement dus à la réplication du virus à un stade avancé de la maladie plutôt qu’à la transmission. Vous avez tout là pour ceux qui s’y entendent en récepteurs et acides aminés. Le risque reste pour l’instant qualifié de faible. Mais tout semble en place pour que la situation évolue, le H5N1 circulant beaucoup, partout dans le monde, dans un vaste réservoir d’espèces et de genre…
Bonne méthode ?
« La détection d’un cas humain grave présentant des modifications génétiques dans un échantillon clinique souligne l’importance de la surveillance génomique permanente des personnes et des animaux, de l’endiguement des foyers d’influenza aviaire A (H5) chez les bovins laitiers et les volailles, et des mesures de prévention chez les personnes exposées à des animaux ou à des environnements infectés » écrit le CDC. De quoi pousser largement l’approche « One Health » ou « Une seule santé ». Le dernier éditorial 2024 du Lancet Respiratory Médecine regrette ainsi qu’en l’absence de transmission avérée à l’homme, la gestion des épizooties ne se fait que par des restrictions de mouvements ou de contacts et des abattages. Et qu’il serait temps de tirer les leçons de 2019. En considérant, une bonne fois pour toutes, que les santés des humains, des animaux et de l’environnement en général sont interdépendants. Et qu’il faut agir sur toutes les bonnes articulations en même temps pour contenir les contaminations. L’expérience a déjà été menée à Hong Kong à la fin des années 1990. Avec des résultats probants rappelés dans ce papier très instructif de 2012. Les auteurs concluent à l’efficacité des mesures prises dans le cadre de cette politique mais insistent aussi sur leur impact socio-économique.
La médaille et son revers
« La mise en œuvre de l’approche « Une seule santé », bien qu’éminemment souhaitable, n’est pas toujours exempte de coûts. L’accent mis sur l’élimination du risque d’infection humaine a entraîné des coûts importants pour le secteur de la volaille à Hong Kong ; les avantages que ce secteur a pu tirer des mesures prises pour lutter contre l’IAHP H5N1 ont été secondaires. En fait, une proportion importante de commerçants et d’éleveurs a choisi de ne pas continuer à élever ou à vendre des volailles, en acceptant des offres à titre gracieux du gouvernement pour cesser leurs activités au fur et à mesure de l’introduction des mesures. » Avec, pour conséquence, le développement de la consommation de viande surgelée et le développement d’élevages intensifs. Le revers de la médaille en somme. Au vu de la volatilité et de la circulation du H5N1, cette approche est peut-être la seule qui nous permette aujourd’hui d’enrayer les dégâts colossaux que le H5N1 peut potentiellement infliger à notre écosystème. Vous avez le droit d’en discuter en commentaires !
Sur le sujet, lire aussi : les Actes in extenso du débat, organisé par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le groupe Agri’Culture et Société, « Grippe aviaire : jusqu’où va-t-on y laisser des plumes ? »
Contexte : le samedi 23 septembre 2023, au Lycée Jean Monnet de Vic-en-Bigorre, le Collectif Agri’Culture et Société et la Mission Agrobiosciences-INRAE proposaient d’envisager les conséquences de l’endémisation du virus IAHP, lors d’une rencontre-débat ouverte à tous et toutes. Pensée comme un pas de côté, celle-ci mêlait fiction dystopique, regards croisés sur les enjeux sanitaires et épidémiologiques, et une analyse économique des risques inhérents à l’hyper-filiarisation des productions agricoles.
Télécharger gratuitement les actes de la rencontre en cliquant ICI !