T’as la tech, coco ! (ou pas ?)
Comme dans le domaine des aliments « plant-based » destinés à remplacer la viande (sujet vu ici-même il y a 15 jours), l’euphorie économique née des robots agricoles ou du vertical farming connaît un coup d’arrêt. Les investisseurs ont perdu (par milliards) et certains se demandent si l’on a pas, un peu (trop ?) fait confiance à la techno et pas assez à l’agronomie. C’est le fil du mercredi 18 juin 2025.
Visuel : © archive Yann Kerveno
Après les ratés du marché de l’alimentation à base de plantes, voici que le monde des start-up œuvrant dans le domaine de l’agriculture se met à tousser. Dernier exemple en date, le placement tout récent de Naïo Technologies en redressement judiciaire. Le développeur et fabricant de robots agricoles, un des pionniers français dans ce domaine, aurait souffert d’un net recul de son chiffre d’affaires. Au vu du contexte de l’agriculture française et de son économie l’affaire n’est pas vraiment surprenante.
Pourtant, les analystes tablent toujours sur une croissance importante (optimiste ?) du secteur, avec 148 milliards de dollars envisagés en 2033 contre 6,39 milliards en 2024. Fin 2024, Future Farming a fait le tour des popotes du secteur pour en saisir les tendances, relevant que, si les prévisions sont en effet optimistes, les incertitudes se bousculent un peu au portillon, en particulier celles liées au contexte économique… Les leviers de la croissance attendue reposent en particulier sur les difficultés de recrutement de main-d’œuvre, l’augmentation des coûts de production et le besoin crucial de plus de durabilité. Mais, en attendant, les défaillances sont nombreuses et parfois très spectaculaires. Pour n’en citer que quelques-unes survenues ces derniers mois, on trouve les américains Benson Hill (biotech semences), FarmWise (semoirs intelligents), Gro Intelligence (analyses de contexte), le néerlandais Honest (robot de serre) et, en France, Meropy, ou le site Farmitoo. Voilà pour ce qui se passe au champ, mais non loin de là, là où la terre est remplacée par du substrat et le soleil par des leds, les déconvenues sont tout aussi nombreuses. Le secteur du Vertical Farming, en français les fermes verticales, est un important contributeur à la liste des faillites et redressements judiciaires. On trouve Plenty, placé sous la protection de la loi sur les faillites en mars dernier après avoir levé un milliard d’euros depuis sa création en 2014, la licorne Bowery Farming (700 M$ de levées de fonds) à l’automne dernier, mais aussi AeroFarms ou AppHarvest, Infarm Jungle ou encore Future Crops… Avec, pour ce secteur particulier, des causes d’échec bien identifiées : difficulté du changement d’échelle, coût de l’énergie, gammes trop étroites (salades, herbes aromatiques…). Mais aussi des difficultés opérationnelles.
Fausse route ?
C’est là qu’il faut se plonger dans la réflexion intéressante de @professorbalthazar qui suit de près ces questions liées aux technologies et à l’agriculture, tentant d’aller au-delà des seules causes liées aux débouchés ou au marché. Il avance que la principale raison des échecs réside dans un problème de méthode. « Les investissements massifs dans l’intelligence artificielle ou la robotique ont été des tentatives mal ciblées pour corriger les problèmes inhérents à ces systèmes, au lieu de s’attaquer aux problèmes fondamentaux par le biais de pratiques agricoles saines » assène-t-il. Avant de pointer du doigt ce qu’il considère comme le terreau de ces fourvoiements : « la sous-évaluation chronique de l’expertise agricole au profit de logiciels, de la robotique et de l’IA surestimés. » Reconnaissant que le problème n’est pas limité aux start-up de l’agriculture, il estime enfin que les entreprises sont surtout concentrées sur « la résolution de problèmes hypothétique pour quelques privilégiés », plutôt que de se confronter aux enjeux de sécurité alimentaire et de durabilité qui sont les nôtres aujourd’hui. Le jugement est fort sévère mais il y a des années qu’il prévient. En 2021, il avait alerté déjà sur ce paradoxe qui voit les départements de recherches en agriculture préférer le recrutement de chercheurs ayant une « solide formation en informatique » quand Amazon ou Facebook recrutent des ingénieurs agronomes et en biosystème pour alimenter les recherches en intelligence artificielle notamment. Avant d’estimer que de toute façon, l’IA sera compliquée à développer dans un monde agricole qui peine déjà à se faire à l’utilisation de capteurs. Ça décoiffe.
Consolidation en vue
Sans compter cet autre paradoxe fondamental et temporal relevé par Chris Davis, fondateur de Harvest London, une société anglaise d’agriculture verticale. Il souligne qu’une partie du développement du secteur a été portée par des sociétés de capital-risque, dont l’horizon reste le court terme quand l’agriculture, fût-elle verticale, a besoin de long terme. Une note de McKinsey éclaire judicieusement cette intrication entre start-up et financement (voir la figure 2) et estime à 6 milliards les pertes des investisseurs pour la seule année 2023. De quoi modifier profondément l’approche des financeurs qui, après avoir provoqué une « sécheresse du capital » fatale à de nombreuses start-up en 2022, y regardent maintenant à deux fois avant de mettre une pièce dans la machine. La baisse des investissements du capital-risque est réelle dans les start-up de la tech’agro :1,6 milliard de dollars au premier trimestre (contre 1,7 milliard l’an passé) selon un rapport récent de Pitchbook. L’an passé, le recul avait atteint 25 %. Pour 2025, les prévisions tablent sur 6,4 milliards d’investissements quand ils étaient de 14 milliards en 2021… Et les mouches semblent avoir changé d’âne… Les biotechnologies végétales ont la faveur des investisseurs (1,3 milliard de dollars ces 12 derniers mois), loin devant les drones et l’analyse d’images (787 M$), la robotique et les outils intelligents (684 M$) ou encore les biotechs animales. Bref, comme pour le secteur du « plant based » la consolidation est en vue et les majors sont sur les rangs.