Publié le 15 avril 2019 |
1Systèmes alimentaires et villes : interactions, innovations et leviers pour la durabilité
Par Yuna Chiffoleau, Inra UMR Innovation, et Cécile Fiorelli, Inra UMR Territoires. 1
Cet article rend compte des réflexions qui ont guidé la conception et l’animation de l’école-chercheur « Systèmes alimentaires et villes : interactions, innovations et leviers pour la durabilité », ainsi que des perspectives de développement d’une communauté interdisciplinaire travaillant avec les acteurs à la compréhension et à la conception de systèmes alimentaires plus durables.
Dessin : @akenium
Au cœur des priorités de l’Inra et du Sad
Le lien entre villes et alimentation n’est pas récent, mais il prend aujourd’hui une dimension nouvelle. Dans un contexte où 70 % des terriens vivront en ville en 2050 et où 95 % de la population de plusieurs régions du monde sont déjà sous influence urbaine, une diversité d’acteurs liés aux villes (collectivités, consommateurs, associations, entrepreneurs sociaux, distributeurs, start-ups, citoyens, urbanistes…) inventent, orientent ou soutiennent de nouvelles façons de faire de l’agriculture, de transformer les produits, de les distribuer et/ou de les consommer, de valoriser les déchets ou de réduire les pertes et gaspillages, du champ à l’assiette. Parallèlement, des agriculteurs et des transformateurs se saisissent des nouvelles opportunités liées aux villes et à l’évolution de la demande, entraînée par la généralisation des modes de vie urbains, pour innover. Ces dynamiques dépassent largement le cadre des filières et dessinent, en suscitant de nouvelles interactions entre les différents maillons des chaînes agroalimentaires et avec les territoires, de nouveaux systèmes alimentaires qui concentrent souvent de fortes attentes de durabilité sans que celles-ci convergent forcément.
L’Inra, impliqué dans les recherches visant au développement de systèmes alimentaires sains et durables, a inscrit, dans son document d’orientation 2025, une priorité pour l’étude de ces systèmes, souvent qualifiés de « systèmes alimentaires urbains » et dont l’analyse structure un front de recherche à l’international. Toutefois, ces derniers restent souvent analysés à travers certaines initiatives (agriculture urbaine, jardins communautaires, circuits alternatifs), dans certains espaces (grandes villes, aires périurbaines) et par certaines disciplines en particulier (géographie, food planning). Le champ d’actions associé est pourtant plus vaste et les enjeux, du point de vue de la durabilité, sont multiples, ce qui appelle à la fois à diversifier les regards disciplinaires et à développer l’interdisciplinarité. À l’initiative du département Sad et dans la lignée des actions initiées au sein de l’Institut, l’école-chercheur a été organisée pour aider à mieux comprendre, analyser, accompagner les dynamiques associées plus largement aux interactions entre systèmes alimentaires et villes, afin d’aller au-delà des effets d’une influence réciproque. L’école visait à réunir les différents départements de l’Inra, en élargissant la participation à des chercheurs d’autres organismes mais aussi à des acteurs socioéconomiques et en s’ouvrant aux recherches urbaines. Il s’agissait d’établir collectivement – ce qui est nouveau dans ces dynamiques –, d’analyser ce qui conduit à faire émerger de nos jours cette problématique, mais aussi de la formuler différemment et d’en comprendre les enjeux, présents et prochains, pour la recherche comme pour l’impact, dans une perspective de durabilité.
L’école visait trois grands objectifs : offrir aux participants une meilleure connaissance des enjeux liés aux dynamiques urbaines, actuelles et futures, pour les systèmes alimentaires et, ainsi, mieux voir en quoi leurs travaux pourront être influencés par l’évolution des villes de demain ; faciliter les échanges autour d’une vision systémique de l’alimentation, de l’innovation et de la durabilité, pour poursuivre la structuration d’une communauté de recherche sur les systèmes alimentaires durables ; initier ou renforcer des liens entre recherches sur l’agriculture, l’alimentation, l’environnement et recherches urbaines, pour élargir cette communauté à de nouveaux enjeux et à de nouvelles compétences.
Des hypothèses à l’épreuve d’un programme original
L’école s’est appuyée sur un programme dense et original, qui a alterné apports généraux (c’est quoi, une ville, quelle est l’histoire des systèmes alimentaires ?…) et spécifiques (vidéo maison sur « tout ce qu’il ne faut pas faire quand on mène un entretien qualitatif ! »…), études de terrain thématiques en petits groupes (agri-urbanisme, nouveaux circuits de distribution, précarité alimentaire, valorisation des déchets, approvisionnement de la ville, jardins partagés, transformation locale des produits, cantines scolaires), temps participatifs et cadrages institutionnels, autour de trois hypothèses structurantes : 1) les relations entre systèmes alimentaires et villes se renouvellent ; 2) elles génèrent ou favorisent différents types d’innovations (techniques, technologiques, organisationnelles, sociales…), au niveau d’un ou plusieurs maillon(s) du système alimentaire (production, transformation, consommation…), dans les relations entre maillons, dans l’articulation entre alimentation et autres fonctions urbaines (aménagement, transports, cohésion sociale…) ; 3) ces relations et les innovations associées suscitent des questions de recherche, des méthodes, des collaborations et des partenariats permettant plus largement de faire avancer les recherches sur et pour des systèmes alimentaires durables.
Montpellier, métropole de 465 000 habitants, se prêtait bien à l’étude de terrain au cœur de cette école : signataire du Pacte de Milan, engagée dans un Projet Alimentaire Territorial (PAT), la ville est à la fois le lieu d’une politique alimentaire, initiée en collaboration avec une équipe de l’Inra, et d’un foisonnement d’initiatives. Les visites ont été mises en perspective à travers des présentations et des discussions, en plénière ou en sessions, le dessin d’une fresque à partir des retours de terrain, avec l’appui d’un graphiste scientifique mais aussi, toujours dans l’idée de mieux s’approprier les enjeux associés, d’un apéritif autour de produits symbolisant, pour les participants, l’évolution des relations entre systèmes alimentaires et villes.
Vers une communauté de recherche en société
À travers les interventions introductives de quatre chercheurs et les débats qui ont suivi, chacun a pu saisir, tout d’abord, que la ville est un processus avant d’être un lieu, source de ségrégations que les politiques urbaines peinent à réparer. Être urbain aujourd’hui c’est souvent vivre dans une ville moyenne. La ville est aussi un objet de pratiques : l’urbanisme a longtemps contribué à mettre à distance la ville et l’agriculture ; aujourd’hui les préoccupations environnementales amènent leurs acteurs à vouloir réorganiser le lien entre ville et agriculture, sans toutefois collaborer encore beaucoup avec la recherche agronomique. Parallèlement, l’analyse de l’histoire longue des systèmes alimentaires plaide pour une cinquième transition, orientée vers le développement durable et marquée en particulier par une prolifération d’initiatives locales. Si cette transition suppose, pour certains, la coordination des initiatives, la ville constitue-t-elle pour autant une échelle pertinente ? Dans la perspective du métabolisme territorial, cette transition, doit, de plus, relever deux autres défis majeurs : réduire les flux de matières et organiser la circularité des ressources. Les acteurs liés aux villes innovent-ils en ce sens ?
Autant de questions qui sont venues enrichir les hypothèses structurant l’école. À travers des échanges avec les responsables de la politique alimentaire de Montpellier et une quarantaine d’acteurs de terrain, les participants à l’école ont pu s’approprier ces notions et ces questions. Si les hypothèses de départ ont été globalement validées, par la reconnaissance de systèmes à la fois observatoires et laboratoires d’innovations et de méthodologies (métabolisme territorial, sciences participatives…), elles ont aussi été nuancées, à travers des discussions autour de la durabilité des initiatives ou de leur dimension innovante notamment. Ces discussions ont ainsi permis d’identifier de nouvelles questions de recherche, autour de la résilience de l’approvisionnement des villes par exemple, problématique montante dans les recherches urbaines. Elles ont aussi permis de saisir ou d’interroger l’intérêt d’associer les acteurs à la définition de ces questions et à la production de connaissances d’une part, d’articuler ces questions à des contributions à l’innovation pour produire des connaissances originales d’autre part, à partir des échanges autour des travaux menés à l’Inra sur l’agri-urbanisme, les circuits courts ou bien encore l’approvisionnement local de l’aide alimentaire ou des cantines scolaires. Les éléments d’ouverture proposés en fin d’école, sur l’évolution des terres et de l’alimentation à l’horizon 2050, mais aussi sur la nécessité d’articuler local et global pour modifier en profondeur les systèmes alimentaires, sont venus confirmer l’intérêt d’étudier les interactions entre systèmes alimentaires et villes pour penser à la fois plus loin et différemment.
Des synthèses de l’école, intégrant la synthèse des visites de terrain, sont en cours de réalisation, avec la collaboration de nombreux participants, et seront bientôt disponibles en ligne sur le site dédié à l’événement 2. Cette rencontre n’était toutefois qu’une première étape ! Des suites sont déjà envisagées (diffusion des synthèses, reprise du webinaire #SAUrb organisé par le Sad, interventions croisées dans des journées scientifiques des départements Inra, proposition de sessions de colloque, rédaction d’un article de positionnement…), d’autres sont bienvenues. L’enjeu : aller plus loin dans la structuration d’une communauté de recherche pluridisciplinaire et en société sur les systèmes alimentaires durables !
Fédérer et ouvrir
Structurée avec l’appui d’un comité d’organisation associant six départements de l’Inra (ALIMH, CEPIA, EA, MICA, SAE2, SAD), le Cirad et des chercheurs en recherches urbaines, l’école-chercheur était également ouverte à des acteurs socioéconomiques. Au-delà du comité d’organisation et de quelques invités de la direction de l’Inra et du Cirad 3, elle a réuni plus de soixante-dix participants, composés pour moitié de chercheurs, ingénieurs, doctorants et post-docs issus de huit départements différents de l’Inra. Organisée avec le soutien des directions scientifiques Agriculture et Alimentation & Bioéconomie de l’Inra, des métaprogrammes Glofoods et Did’It de l’Inra et des départements ALIMH, CEPIA, EA, MICA, SAD, SAE2 (Inra), elle a également été réalisée en partenariat avec la délégation Sciences en société de l’Inra, le domaine d’Innovation agriculture et alimentation en villes de l’INRA, la direction Environnements et sociétés du Cirad, la chaire Unesco Alimentations du monde et la Maison des sciences de l’homme Sud. Relever le pari de son programme dense et original n’aurait pu se faire sans l’appui de Karine Tixier, gestionnaire du département Sad, de Juliette Peres, de l’association Fablim, partenaire de l’UMR Innovation, ainsi que de plusieurs collègues, doctorants et contractuels de l’UMR Innovation et de l’UMR Moisa 4.
- Avec le concours actif de Aubry C., Bognon S., Bricas N., Broussolle V. , Darmon N., Giband D., Maxime F., Peres J., Planchot V., Raynaud E., Saucède F., Schwartz C., Soulard C., Steyer J.-P., Tixier K., Wallet F.
- https://journees.inra.fr/ecsavilles/
- Monique Axelos, Louis-George Soler, DS Alimentation & Bioéconomie Inra ; Christophe Roturier, Délégation Sciences en société de l’Inra ; Benoit Dedieu, chef du département Sad de l’Inra ; Sandrine Dury, directrice adjointe département Environnements et sociétés du Cirad.
- Grégori Akermann, Anne-Cécile Brit, Brigitte Nougarèdes, Dominique Paturel, Coline Perrin, Marie Queinnec, Pascale Scheromm (UMR Innovation) ; Marion Thiarrey (UMR Moisa)
Bravo, juste bravo, et enfin, à ce programme.
L’agriculture, née de la ville, n’est qu’un moment copulatoire encore fertile entre alimentation et urbanité.
Amicalement. jm b, agroalimentariste retraité,