Publié le 15 février 2024 |
0Se serrer la ceinture, pour de bon
Cheapflation, shrinkflation, greedflation. Tous les moyens sont bons (pour faire payer plus cher et/ou faire du buzz !), mais toutes les infos sont sur les étiquettes ! Le fil du 14 février 2024.
Visuel : Nous devrions lire plus attentivement les étiquettes © archives Yann Kerveno
L’AFFAIRE REVIENT A INTERVALLE REGULIER DANS LES MEDIAS, comme ces marronniers tout aussi patients qu’intemporels qui attendent leur heure tapis au fond du calendrier. Cette affaire, elle, est tributaire de la conjoncture, qui revient dès que l’inflation montre son nez dans les statistiques de l’Insee et d’ailleurs. Et elle a deux jambes : shrinklation et cheapflation.
Pour faire simple, le premier signifie mettre moins de produits pour le même prix. Le second, conserver la quantité mais se replier sur des ingrédients de moindre qualité. On a récemment parlé de cheapflation quand l’association Foodwatch a épinglé une poignée d’industriels de l’agroalimentaire qui se seraient, selon elle, rendus coupables de telles substitutions d’ingrédients. Et toute la presse (ou presque) de reprendre le titre de la communication de l’association : une nouvelle arnaque aux prix ! C’est malin, ça fleure le complot, c’est vendeur. D’autant plus que les noms cités font partie des grandes entreprises de l’agroalimentaire, qualifiées de « mastodontes » souvent montrées du doigt… Fleury Michon, Nestlé, Mondélez, Findus en font partie. Alors, pour réaliser son enquête, Foodwatch s‘est appuyé sur l’excellent site OpenFoodFacts qui leur a permis de retracer l’évolution des recettes. Et Ô surprise, l’affaire ne daterait pas d’hier et ne serait pas uniquement liée à l’inflation ! L’association le reconnaît dans son texte : « Surtout, nous avons identifié des exemples remontant jusqu’en 2016, bien avant le début de la hausse des prix alimentaires. Le phénomène n’est donc pas récent, mais l’inflation pourrait avoir encouragé les industriels à recourir à ces pratiques » précise-t-elle.
CONTRAIREMENT A CE QUE LAISSE PENSER L’ECLOSION DU SUJET DANS LES MEDIAS, cette technique n’est donc pas nouvelle. Il se pourrait même qu’elle ait toujours existé, depuis que l’alimentation s’est industrialisée puisque c’est un des leviers majeurs qui permet de consolider ou préserver les marges des entreprises. Et la cheapflation a probablement accompagné depuis ses débuts la baisse du prix des aliments, conjointement à l’augmentation de la productivité (un économiste dans la salle pour confirmer ou infirmer cette intuition ?). Et serait peut-être un des facteurs du développement de l’obésité aux États-Unis comme l’évoque John Plassard dans Le Temps. Mais il regarde aussi plus loin et raccroche à un autre sujet d’actualité, celui de la panne de la montée en gamme des consommateurs : « La cheapflation est la dernière trouvaille des distributeurs pour maintenir leurs marges et permettre à leurs clients de « presque » pouvoir toujours manger leurs produits préférés malgré la hausse de l’inflation qui grève leur pouvoir d’achat. La tendance à monter en gamme dans les achats des consommateurs pourrait donc s’inverser face à la progression des prix. » Il détaille le process dans une autre tribune délivrée à LSA…
ET LA SHRINKFLATION ALORS ? Diminuer légèrement les quantités et vendre au même prix, c’est une tactique peut-être plus connue (et plus ancienne ?) qui remonterait, pour sa part, aux années 1950 et permettait donc aux entreprises du secteur agroalimentaire, accrochées à des marges réduites (tiens donc, ce n’est pas ce qu’on entendait sur les barrages d’agriculteurs voici une quinzaine), de surmonter les à-coups du marché, hausse des salaires, flambée des prix des matières premières… C’est en gros ce que disent ces jours-ci les experts du secteur qui prédisent, compte tenu de l’augmentation du prix du cacao, que les barres au chocolat vont rétrécir !
IL N’Y A DONC FINALEMENT PAS TANT DE TRUCS NOUVEAUX que cela dans ce sujet et ces techniques. Après les avoir dénoncées, Foodwatch ne s’étend pas sur les réponses apportées par les industriels, elle signale juste qu’elles sont disponibles en fin d’article. Ces derniers évoquent, en chœur, des problèmes d’approvisionnement (pour les œufs notamment), de volatilité des prix (huile de tournesol) mais précisent que les changements de recettes se font dans le respect de la réglementation en vigueur… La façade est probablement sauve. Mais la question qui reste posée, c’est de savoir si les recettes vont revenir à leur format original une fois l’inflation revenue à des taux soutenables ?
RIEN N’EST MOINS SUR PARCE QUE PEUT-ETRE QUE D’ICI LA, les entreprises auront tâté de la greedflation, autre technique pour laquelle il s’agit de prétexter le poids de l’inflation pour augmenter ses prix alors que les coûts de production n’ont progressé qu’à la marge, si l’inflation repart. Bref, si elles reviennent de temps en temps sur le devant de la scène, ces astuces sont probablement vieilles comme le monde, au moins depuis qu’il fait commerce. Moi-même, pour que cette chronique atteigne le nombre de caractères nécessaires, n’ai-je pas procédé à des « copier-coller » de citations qui me permettent, pour le même prix, de gratter quelques minutes ? Charge peut-être à nous à être plus attentifs aux étiquettes qui embarquent les informations destinées à éclairer nos choix. Mais que peu d’entre nous lisent.