Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Quel heurt est-il ?

Publié le 2 mai 2019 |

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Robots aux champs : bonne pioche ?

Pour Gaëtan Séverac,  ingénieur en robotique et cofondateur de Naïo Technologies, cela ne fait aucun doute : les robots seront de précieux atouts en agriculture pour faciliter le travail des hommes et œuvrer à des modes de production plus durables. Explications [entretien complet en vidéo ici].

Et si nous commencions par une définition ? Quelle différence y-a-t-il entre un robot et un automate ?
Gaëtan Séverac
 : Les définitions scientifiques sont à peu près identiques, à cette différence près : on considère qu’un automate ne fait que répéter un geste, alors que le robot perçoit aussi l’environnement, analyse cette perception et mène une action en fonction. En réalité, ce n’est pas si précis. Une machine à laver qui « décide » de lancer un essorage ou un autre, en fonction de la température de l’eau qu’elle a mesurée, est-ce un robot ou non ? Idem pour la moissonneuse-batteuse. Tout dépend du contexte mais, communément, un robot fait quelque chose tout seul, il a des réactions en fonction de l’environnement. 

Un tiers des agriculteurs gagnent mois de 350 euros par mois, beaucoup sont surendettés. Un robot peut valoir 80 000 euros. Quels types de structures achètent vos robots ? Bref, quel type d’agriculture favorisez-vous ?

Nos clients sont très divers. Ce peut être un ou deux maraîchers installés en périphérie de ville, sur un ou deux hectares, et dont les produits sont vendus en direct. Ou bien des agriculteurs industriels cultivant en quasi-monoculture sur de grandes surfaces. Si ces derniers utilisent plutôt de grosses machines, nous en proposons de plus petites adaptées au maraîchage diversifié. 

Les gros robots coûtent effectivement un peu moins de 100 000 euros et les petits autour de 25 000. Mais notre but n’est pas de surendetter les agriculteurs ! Il s’agit d’un investissement professionnel important – au même titre qu’un camion pour un livreur –, qui doit être rentable sur la tâche du désherbage. Il doit donc permettre de gagner de l’argent par rapport au coût actuel du désherbage mécanique. L’enjeu est donc de connaître le retour sur investissement. Pour cela, nous collaborons avec nos clients, mais aussi avec des centres techniques, comme l’IFV pour la vigne, et avec la chambre d’agriculture de Bretagne pour les légumes. Et, pour l’instant, les résultats sont plutôt très bons. Ce qui est vrai c’est que nos machines coûtent actuellement plus cher que le désherbant chimique. Cela indique que nos clients, qu’ils soient en bio ou pas, cherchent d’abord  à réduire ces produits en quantité non négligeable voire à s’en passer.

Vous parlez de désherbant… La fin du glyphosate fait régulièrement la une de l’actu. Pour certains, l’utilisation de robots ou de drones risque de simplifier l’agroécologie, de la réduire au niveau de la parcelle alors que, par définition, cette approche demande une vision systémique complexe. Que leur répondez-vous ?

On a beau parler d’intelligence artificielle, les logiciels et les robots restent très stupides, dans le sens où ils ne savent travailler que dans des environnements qu’ils connaissent. Nous devons donc structurer, harmoniser l’environnement numérique et physique, par exemple en terminant l’extrémité des rangs au même endroit, en cartographiant les parcelles, etc. 

Reste que, selon moi, les robots et la numérisation vont offrir des possibilités incroyables. Les capteurs, les logiciels d’aide à la décision, les stations météo à la parcelle, les analyses de sol… tout cela  va démultiplier les capacités de travail agronomique. Nous pourrons œuvrer stavec davantage de précision ; sur la vigne, nous serons capables d’aller jusqu’au plant. Le jour où nos robots disposeront d’un outil de semis, nous pourrons géolocaliser chaque grain et suivre la croissance de chaque salade. Imaginez, il sera possible, si besoin, d’apporter de l’engrais ou un traitement sur une seule plante et non plus sur toute la parcelle. Nous pourrons complexifier les itinéraires techniques agricoles, travailler sur des cultures associées, savoir à quelle période semer, quand récolter en alternance…

On entend dans vos propos le rôle d’assistance des machines au service de l’humain. Cependant, lors des Controverses européennes de Bergerac, vous avez dit : «Si la technologie peut faire de la nourriture de qualité sans paysans, pourquoi pas ? » Était-ce une boutade, une provocation ? 

C’était davantage une phrase, dans le cadre de la controverse, pour permettre de changer de point de vue, pour faire réfléchir. Je suis d’accord, sur la forme c’est discutable. Sur le fond, il est important de remettre cette phrase dans son contexte. Au préalable, j’avais dit que si, grâce à des machines et des automates, on arrive à produire une nourriture de qualité avec moins d’intrants chimiques, de manière durable et à des prix abordables, il faut s’en féliciter. Car il va falloir encore nourrir les hommes dans 1 000 ans et il y aura sans doute besoin de moins en moins d’humains pour arriver à le faire, car plus personne ne veut désherber à la main, brin après brin. Ce n’est physiquement plus acceptable dans notre société, notamment à cause des troubles musculosquelettiques. Personne ne voudrait plus construire d’immeubles sans tractopelle. 

Nous avons toujours créé des outils, comme la bêche ou la pioche, mais il est vrai que, désormais, la technique devient extrêmement impactante sur la société. Je ne pense pas qu’il faille en avoir peur, mais nous devrons en débattre collectivement. Énormément de métiers risquent d’être automatisés dans peu de temps, et je pense que cela doit s’accompagner d’une redistribution des richesses, qui ne passera plus uniquement par le travail salarié. Ainsi, ceux qui aiment le lien à la terre pourraient garder une activité de production de nourriture tout en ayant une activité sociale générant un revenu autre. Mais j’aimerais préciser que, à court terme, nos machines vont davantage remplacer les produits chimiques que la main-d’œuvre. Au contraire, cette technique est en train de créer de l’activité, puisqu’on peut relocaliser des cultures abandonnées à cause du coût de la main-d’œuvre. Je pense notamment à la récolte des asperges ou encore au désherbage des carottes. 

Vos robots vont produire des données stockées dans des serveurs gigantesques, ils sont fabriqués avec des terres rares extraites dans des conditions catastrophiques et de l’acier importé. Sont-ils à la hauteur d’une agriculture propre ?

Vaste question ! Je pense qu’il vaut mieux développer les robots pour pouvoir diminuer les intrants chimiques et avoir une agriculture saine plutôt que se passer d’acier. Reste que nous ne voulons pas, pour alléger la tâche des agriculteurs français, exporter le mal au dos chez les enfants chinois. Pour cela, nous nous inscrivons dans une démarche RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), afin d’évaluer si nos matériaux ne créent pas plus de mal qu’ils ne font de bien. Je pense en particulier au choix des batteries, puisque nos robots sont 100 % électriques. 

Pensez-vous que le consommateur, en demande d’authenticité, va adhérer à ce type de culture robotisée ou au contraire le rejeter ?

Certains nous interpellent très directement sur la réduction de l’emploi ou sur la pollution, mais la majorité trouve très intéressante l’idée de produire sainement et localement. Les consommateurs que nous rencontrons préfèrent que les tomates aient poussé chez le petit maraîcher d’à côté, même s’il a un robot, plutôt que sous serres couvertes en Espagne. Mais nous devons davantage encore expliquer. C’est pour cela que nous allons créer des fermes témoins Naïo, où les gens pourront voir en toute transparence comment se déroulent les cultures avec robots.

Portrait-robot.Créée en 2011, à Toulouse, par Gaëtan Séverac et Aymeric Barthès, avec des financements 100 % français, Naïo Technologies compte déjà une quarantaine de salariés. Depuis sa création, près de 140 robots ont été commercialisés, principalement en France ttmais également en Europe. Mieux, en 2019, Oz, Dino, Bob et Ted (les petits noms de ces engins) partiront à la conquête des États-Unis et du Japon, deux géants de la robotique. Leur mission : encore et toujours désherber mécaniquement et automatiquement sans produits chimiques les cultures de maraîchage) et la vigne. 

Voir également la vidéo avec Gaëtan Séverac :
Demain dans les champs, des robots et des hommes ?

Addendum : (janvier 2020)
Naïo Technologies lève 14 millions d’euros et ouvre un atelier aux États-Unis


Lire aussi le papier de Sylvie Berthier

https://revue-sesame-inra.fr/monde-numerique-et-si-on-reprenait-nos-esprits/




One Response to Robots aux champs : bonne pioche ?

  1. alain dit :

    Troisième révolution agricole, l’agriculture 4.0 est celle de la numérisation des moyens de production automatisés, connectés et communicants entre eux, pouvant être pilotés en temps réel et à distance et incorporant de l’intelligence artificielle, avec usage de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée et permettant d’accroitre la productivité et de réduire la pénibilité des travaux agricoles , mais avec les risques associés ! : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/fiches-metier/agriculture-4-0-et-risques-professionnels

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