Publié le 13 décembre 2017 |
0Quel est le juste prix du lait ?
Par Stéphane Thépot.
C’est qui le champion ? A Saint-Denis-de-l’Hôtel, modeste commune de 2 500 habitants sur le bord de la Loire en amont d’Orléans, Emmanuel Vasseneix dirige toujours la petite laiterie rachetée par son grand-père en 1947 à quelques agriculteurs locaux. L’entreprise avait pourtant été vendue à un groupe plus important (Celia) en 1972, avant que la famille n’en reprenne le contrôle quand elle fut de nouveau en vente en 1996. « Nous sommes parmi le dernier indépendant face aux géants comme Lactalis ou Sodiaal », indique le jeune patron de 52 ans. Contrairement à ses puissants concurrents, la Laiterie de Saint Denis de l’Hôtel (LSDH) ne possède pas de marque et ne produit aucun fromage. Mais elle a développé un savoir-faire industriel dans l’emballage et le conditionnement dans la foulée des premiers packs de lait UHT, qui ont permis d’allonger considérablement la durée de conservation du produit. Et les distances entre lieux de production et de consommation.
Un autre pari
« Notre chance est d’être situé à 150 kilomètres d’un bassin de 30 millions de consommateurs », dit Emmanuel Vasseneix, qui décrit la région Centre comme « sinistrée » par la Politique agricole commune. Les producteurs de lait autour d’Orléans disparaissent les uns après les autres, les agriculteurs préférant s’orienter vers les céréales et les grandes cultures, plus rémunératrices. Le patron de la petite laiterie, qui a grandi en se diversifiant au point de devenir un spécialiste des jus de fruits pasteurisés en briques de carton, bouteilles en verre ou en plastique, révèle qu’il a même songé abandonner le lait en 2005. « Mon conseil d’administration m’incitait à arrêter les frais, mais je me suis dit que je n’avais pas le droit de lâcher nos producteurs, nos clients, nos salariés. » Lui qui a travaillé chez Danone et Triballat avant de rejoindre l’entreprise familiale, a fait un autre pari : développer le lait à boire en misant sur la segmentation du marché. « Le lait est la porte d’entrée de tous les produits laitiers. La filière française est la meilleure du monde. On a une excellente image, mais il ne faut pas hésiter à revoir nos modèles économiques en fonction des attentes des consommateurs et des progrès technologiques », proclame ce diplômé de l’IIESIEL (Institut supérieur d’industrie et d’économie laitières).
Recette magique ?
En plus des 350 producteurs collectés en propre par LSDH, Emmanuel Vasseneix conditionne désormais le lait d’une multitude de producteurs régionaux dans son usine du Loiret et celle de Varennes-sur-Fouzon (Indre), cette dernière devenant la principale laiterie de l’entreprise. La cinquantaine de producteurs de la Bresse vendent 99 centimes le litre chez Carrefour sous la marque C’est qui le patron ?! – dont le cahier des charges et le prix ont été fixés par les consommateurs. La production sort des chaînes de fabrication de LSDH. Celle des éleveurs du Cantal, du Lot et de l’Aveyron vendue sous la marque Cantaveylot, et de FairFrance aussi. Le lait bio de Système U, collecté par Biolait, c’est encore lui. « Un lait qui n’est pas équitable n’est pas durable » proclame Emmanuel Vasseneix. Ce patron, proche d’Emmanuel Macron, aurait-il trouvé la recette magique pour concilier les intérêts des petits producteurs et de la grande distribution ? La multiplication de ces marques revendiquant plus d’éthique sur leurs étiquettes est « un boulevard pour les grandes surfaces », bougonne Damien Lacombe. Le président de Sodiaal se déclare pourtant disposé à intégrer les consommateurs au sein des conseils d’administration des coopératives pour jouer la transparence et faire œuvre de pédagogie.
Même prix
« Ce n’est pas aux consommateurs de fixer les prix », estime pour sa part Stéphanie Rives. A seulement 26 ans, celle-ci a emprunté 350 000 euros pour construire sa propre fromagerie dans la nouvelle zone artisanale aménagée derrière le supermarché qui a poussé à l’entrée de Lafouillade, petite bourgade aveyronnaise. « Mes produits sont plus chers qu’à Intermarché, mais mes clients savent bien pourquoi » dit la jeune femme, qui va elle-même chercher le lait dans une ferme bio voisine. « Je veux que mes yaourts soient vendus au même prix dans l’épicerie du coin que dans un supermarché », dit de son côté Pascal Massol, éleveur aveyronnais qui s’est lancé dans la fabrication à la ferme.
Alors, faut-il miser sur les laits locaux ou sur l’exportation pour écouler les 25 milliards de litres de lait de la production nationale ? Eléments de réponse dans deux exploitations laitières éloignées de seulement quelques kilomètres, mais qui semblent vivre sur deux planètes différentes.
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