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Par ailleurs Avocats © Alejandro Duarte

Publié le 10 avril 2025 |

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Quand l’avocat fait sa loi

Les Européens mangent de plus en plus d’avocats. Et pour cause, le marché mondial du fruit ovale, en pleine expansion, a bénéficié d’un plaidoyer inédit faisant exploser la demande. Un article à retrouver dans Sesame 17 (parution mai 2025).

Avec Éric Imbert, chercheur au centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD), spécialiste de l’économie des filières. Propos mis en forme par Romane Gentil.
Dessin © Gille Sire 2024

Avocado toast, guacamole, avocado bowl… En Europe, l’avocat est le fruit roi de nos assiettes. Une mode alimentaire soudaine qui ne doit rien au hasard : elle est le résultat d’un système de communication bien rodé, tout droit venu des États-Unis.

Rembobinons. Depuis le début du XXe siècle, la Californie produit des avocats de la variété Persea americana Hass, ce qui en fait une région pionnière à l’échelle internationale, après l’Amérique du Sud. Pour autant, jusqu’au début des années 2000, l’avocat ne bénéficiait pas d’un grand engouement sur le marché nord-américain, où il était perçu comme extrêmement gras (il contient 14 à 20 % de lipides), donc trop calorique et nocif pour la santé. Si bien que, en 1994, quand les États-Unis ont ouvert leur marché aux productions mexicaines – qui représentent la moitié de la production mondiale aujourd’hui – les producteurs californiens se sont trouvés largement menacés : la demande nationale était trop faible pour supporter l’offre des deux pays.

Mais, plutôt que de s’arc-bouter contre les nouveaux arrivages, les Californiens y décèlent une opportunité. Sous le contrôle du ministère de l’Agriculture nord-américain, tous les avocats commercialisés aux États-Unis, y compris ceux produits localement, se voient appliquer une taxe parafiscale obligatoire : cinq centimes de dollars pour chaque colis mis sur le marché, soit, en 2024, plus de soixante-dix millions de dollars ! S’il existe des programmes de ce type pour d’autres fruits dans le pays, la somme est inédite à l’échelle internationale. Depuis 2002, l’organisme national récoltant ces recettes, le « Hass Avocado Board », les alloue au financement d’un programme de promotion de l’avocat… dans le monde entier. L’objectif ? Communiquer, financer des travaux pour améliorer sa qualité et des études cliniques prouvant ses vertus nutritives. À partir de ce modèle, l’Union européenne crée à son tour, en 2016, la « World Avocado Organization », récoltant deux à trois millions d’euros chaque année sur la base d’une taxe non obligatoire.

Et, de fait, en quelques années, le fruit est devenu aux yeux des Américains, puis aux nôtres, l’aliment sain par excellence, riche en acides gras monoinsaturés. Avec des conséquences économiques quasi immédiates : les volumes ont été multipliés par deux en moins de dix ans sur le marché international, passant de 1,4 million de tonnes en 2015 à 2,8 millions l’année dernière. Soit 9 à 10 % de croissance chaque année, contre environ 1 % pour le marché global des fruits et légumes !

Un tel dynamisme pousse logiquement de plus en plus de producteurs vers la culture de l’avocat. Si bien que le verger mondial est passé de moins de 300 000 hectares en 2012 à presque 500 000 hectares aujourd’hui. En tête, toujours, le Mexique (1,3 million de tonnes exportées), suivi du Pérou (597 000 tonnes) et des producteurs de taille moyenne : Israël, le Kenya et la Colombie, avec 120 000 tonnes au total. Le reste des pays producteurs (dont le Brésil, les États-Unis, le Maroc ou encore l’Espagne) exportent moins de 100 000 tonnes chaque année. À noter que les surfaces plantées ces dernières années suivent des systèmes hautement technologiques : plants clonaux, fertirrigation [1], etc.

Alors, faut-il s’attendre à une saturation du marché ? Pas tout à fait. Car qui dit augmentation des surfaces ne dit pas forcément hausse des volumes : ces dernières années, le changement climatique affecte les cultures d’avocat qui requièrent beaucoup d’eau : déficit hydrique au Michoacán (principale région productrice du Mexique) mais également sécheresse dans les pays méditerranéens. Pour l’instant, juste de quoi ralentir la croissance de la production.


[1] Technique consistant à appliquer des éléments fertilisants solubles dans l’eau par l’intermédiaire d’un système d’irrigation.

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