Par Lucie Gillot.

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Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Quel heurt est-il ?

Publié le 14 septembre 2018 |

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[Qualité nutritionnelle] Faut-il en faire tout un plat ?

Par Lucie Gillot.

On ne compte plus ces derniers temps les émissions et ouvrages dénonçant un appauvrissement de la qualité nutritionnelle de notre alimentation. À tel point que celui-ci a presque fini par s’imposer comme évidence. L’idée est pourtant relativement récente. Dans le courant des années 90, en pleine crise de la vache folle, on débattait de la qualité sanitaire de nos produits. À l’aube des années 2000, c’est la qualité gustative qui occupait le haut de l’affiche. Désormais, ce sont les teneurs en fibres, en oméga-3 et en graisses qui agitent l’arène médiatique. Comme souvent, les informations nous arrivent en vrac sans que l’on sache vraiment ce qui relève de l’avancée des connaissances scientifiques, du message de santé publique, de l’évolution des modes de consommation, du discours marketing ou d’une critique du modèle agroalimentaire industriel. Tant et si bien qu’on finirait presque par en oublier cette question pourtant toute simple : la qualité nutritionnelle d’un aliment c’est quoi ? Une valeur standard pour un composé donné ? Un objectif de santé publique ? Un idéal à atteindre ?


Pour commencer, remontons le fil de l’histoire, à l’aube des années 2000, aux lendemains des (premiers) États généraux de l’alimentation. La nutrition fait son entrée en scène avec le lancement du Programme National Nutrition et Santé (PNNS), lequel fixe les objectifs de santé publique à atteindre en matière de nutrition. On s’inquiète alors de l’augmentation de la prévalence de certaines pathologies (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires) et du poids des régimes alimentaires dans cette affaire. C’est sur ce terreau qu’apparaissent les premiers débats autour de la qualité nutritionnelle des aliments, avec comme points d’accroche la « malbouffe » et le concept de « calories vides ». Celui-ci désigne un appauvrissement de la teneur en fibres, en vitamines ou en minéraux des aliments transformés en regard de leur apport énergétique. A cette époque, la question de la qualité nutritionnelle concerne tout autant la formulation de certains produits jugés trop gras, trop sucrés ou trop salés que certains procédés de transformation comme le raffinement1.

Aliments bruts : le compte n’y est plus ?

Dans le courant des années 2010, la controverse prend une nouvelle dimension et s’étend aux aliments non transformés. Avec cette idée : l’industrialisation des modes de production, caractérisée notamment par l’accroissement des rendements et la forte utilisation d’intrants, a eu pour effet de diminuer la teneur en micronutriments des aliments bruts, particulièrement celle des fruits et légumes (Lire encadré « Fruits et légumes, jusqu’à l’épuisement ? »). C’est la thèse défendue notamment par l’ingénieur agronome Pierre Weill. Dans un ouvrage2, il dénonce sans ambages « l’écroulement » de la qualité nutritionnelle des produits végétaux ET animaux. « Les tomates contiennent de plus en plus d’eau et de moins en moins de lycopène. Les œufs apportent toujours autant de protéines mais de moins en moins d’oméga-3. » Et l’auteur de corréler ce délitement à la forte croissance des compléments alimentaires dans les pharmacies. À ses yeux, « la valeur santé d’un plat, ce n’est pas la qualité de sa formulation, c’est le mode de production de ses ingrédients ». Il y a donc désormais une autre acception de la qualité nutritionnelle, reliée aux modes de culture ou d’élevage.

L’essentiel est dans la matrice ?

Tout récemment, une troisième dimension a fait son apparition : l’effet matrice. Dorénavant, les chercheurs estiment « que la valeur nutritionnelle d’un aliment ne se cantonne pas à la somme des nutriments mais qu’elle varie en fonction de la structure des nutriments », comme nous l’apprend un article de Process Alimentaire3. Il ne s’agit plus seulement de prendre en compte la composition d’un aliment ou son mode de production, mais aussi la forme sous laquelle il est consommé : entier, en jus, mixé, fermenté, gélifié, etc. Une illustration ? « Les amandes contiennent beaucoup de lipides mais une partie d’entre eux restent non absorbés par l’intestin malgré la mastication. Non utilisés, ils ne contribuent donc pas à la consommation d’énergie », explique Marie-Caroline Michalski, directrice de recherche Inra CarMeN. D’autres recherches ont été menées sur le lait, montrant une variation de la biodisponibilité des protéines selon les procédés de transformation.

Pour le nutritionniste Anthony Fardet, l’existence de cette matrice revêt une importance capitale : à composition nutritionnelle strictement égale, « mais avec des matrices différentes, deux aliments n’auront pas le même effet sur l’organisme et donc à long terme sur la santé », explique-t-il dans un récent ouvrage4. Pour lui, l’alimentation ultratransformée, qui repose sur l’assemblage de composés issus du fractionnement de matières premières, a, de ce point de vue, un effet délétère pour la santé humaine. Car la première étape qui prélude à sa fabrication consiste à briser la matrice d’un aliment, là où il faudrait tout au contraire « lui épargner des traitements trop drastiques ». D’où cette proposition d’intégrer le degré de transformation aux recommandations nutritionnelles (voir encadré « Catégoriser l’alimentation »).

Dans la même veine, une étude Inserm-Inra-Université Paris 13 a tout récemment montré qu’« une augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultratransformés dans le régime alimentaire [est] associée à une augmentation de plus de 10 % des risques de développer un cancer au global et un cancer du sein en particulier5». Mais en précisant toutefois que « la moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultratransformés ne serait pas la seule impliquée ».

Si la qualité nutritionnelle de l’alimentation agroindustrielle revient sur le devant de la scène, il n’est plus désormais seulement question de la composition de ces produits, mais aussi de l’impact des procédés de transformation. Un drôle de retour à la case départ qui ne doit pas nous faire oublier cette ultime question : c’est quoi un aliment ultratransformé ?


Fruits et légumes, jusqu’à l’épuisement ?

La qualité nutritionnelle des fruits et légumes a-t-elle baissé en l’espace de cinquante ans ? Pierre Weill n’est pas le seul à avoir mis cette question sur la table. En 2016, plusieurs articles de presse font état des conclusions d’études américaines et anglaises datant des années quatre-vingt-dix, selon lesquelles « les carottes auraient perdu 75 % de leur teneur en magnésium, les épinards 90 % de leur teneur en cuivre ». Si l’information a souvent été reprise telle quelle, plusieurs médias sont venus nuancer ces affirmations, à l’instar d’Agrapresse. Ce dernier fait état des différents facteurs qui influencent la densité en micronutriments : si les modes de production, « la fertilisation intensive » ou la sélection variétale sur le seul critère du rendement ont un effet et peuvent, à ce titre, justifier une possible différence entre les années 1950 et 2000, d’autres facteurs doivent être pris en considération. « La variété, l’exposition du fruit, la date de récolte, la durée de conservation » pèsent eux aussi dans la balance, comme l’explique Catherine Renard, directrice de l’UMR Sécurité et Qualité des produits d’origine végétale à l’Inra. Et ça, « ça n’a pas changé depuis les années 50 » !

Source : Alexandra Pihen, « Densité nutritionnelle des fruits et légumes : une équation complexe », dans Agrapresse, 11 décembre 2016.

Une idée NOVAtrice ?

Elle s’appelle Nova et elle est brésilienne. Nova c’est une classification des aliments établie en fonction de leur degré de transformation et qui constitue désormais la base des recommandations nutritionnelles de ce vaste pays. Établie par le professeur en nutrition de l’université de Sao Paulo, Carlos Monteiro, elle comprend quatre groupes : 1) Les aliments bruts ou peu transformés ; 2) Les ingrédients culinaires comme le sel, l’huile ou le beurre ; 3) Les aliments transformés, typiquement les fruits au sirop, les viandes salées ou les conserves de légumes ; 4) les aliments ultratransformés qui comprennent notamment des ingrédients issus du fractionnement des matières premières (caséine, lactosérum, sucre inverti…). On trouve par exemple dans ce 4e groupe les soupes déshydratées, les nuggets de poulet ou les crèmes glacées.

En apparence, le système est simple : à l’état brut, une pomme entrera dans la catégorie « pas transformée ». Réduite en compote, elle intègrera celle des produits « transformés ». Devenue un jus reconstitué, elle passera dans la 4e catégorie. Dans le détail, la classification présente quelques subtilités pas toujours faciles à appréhender pour les non-spécialistes, avec des résultats parfois surprenants.

Voyez par vous-même. Dans quel groupe placeriez-vous :

Les frites ? Les huiles végétales ? Le saucisson ? Les yaourts nature sans sucre ? Les yaourts aux fruits ?

(Réponses : 3, 2, 4, 1, 4).

Source : Halte aux aliments ultratransformés ! Mangeons vrai, op. cit.

Nutri-Score : la couleur des nutriments

Donner une « information nutritionnelle claire, visible et facile à comprendre par tous », tel est l’objectif du Nutri-Score, cet outil mis en place dans le cadre de la loi de santé 2016 par le gouvernement français. Affiché sur l’emballage des produits, il repose sur une combinaison de lettres et de couleurs. Chaque produit est positionné sur une échelle allant de A (vert), signifiant une « meilleure qualité nutritionnelle », à E (rouge), désignant une « moins bonne qualité nutritionnelle ».

Plusieurs facteurs entrent en compte : d’un côté la teneur en « nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits et légumes) » et, de l’autre, celle en nutriments à limiter tels les acides gras saturés, les sucres, le sel… C’est en fonction de leur part respective qu’est déterminé le Nutri-Score. Précisons en dernier lieu que sa présence sur l’emballage n’est pas obligatoire et qu’elle repose sur la base du volontariat des entreprises. À ce jour, une trentaine d’entreprises se sont engagées à l’utiliser.

Source : dossier de presse du ministère de la Santé, 31 octobre 2017.


 

  1. Ce procédé est notamment utilisé pour séparer les différents constituants d’un produit comme une céréale. Pour le blé par exemple, l’amande est extraite de son enveloppe et débarrassée de son germe, avant d’être moulue. Un procédé courant mais qui affecte la densité nutritionnelle, l’enveloppe et le germe étant riches en micronutriments
  2. Pierre Weil, Mangez, on s’occupe du reste, éditions Plon, 2014, p. 60 et 161.
  3. Pierre Weil, Mangez, on s’occupe du reste, éditions Plon, 2014, p. 60 et 161.
  4. Anthony Fardet, Halte aux aliments ultratransformés ! Mangeons vrai, éditions Thierry Souccar, 2017, p. 172 et 27.
  5. Communiqué de presse de l’Inserm : « Consommation d’aliments ultratransformés et risque de cancer », 15 février 2018.

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