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Bruits de fond

Publié le 5 juillet 2019 |

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« Puisque notre bifteck a une âme »

Par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue

Autour des accidents de chasse…

Sans compter les morts et les blessés, depuis 2015 nous en sommes à 157 habitations touchées par des munitions de chasse, quatre-vingt-dix-neuf véhicules et vingt et une vaches1. Si cela a de quoi exaspérer, notamment les habitants des lotissements pavillonnaires, dans les bois c’est aussi de plus en plus l’angoisse : « Déjà, on ne sait pas si on a le droit de ramasser des champignons (oui, parce que les prés et les forêts, parfois, appartiennent à quelqu’un). Et en plus, habillés aux couleurs de l’automne comme des cèpes ou des grisets, on risque d’essuyer des tirs. Il faudrait circuler avec une veste fluo, peut-être, mais cela attire l’attention. Et on n’est pas sur un rond-point, ici, on n’est pas des Gilets-jaunes. De toute façon ce n’est pas une veste fluo qui va faire la différence. Lorsqu’ils tirent, ils tirent et une balle de Mauser tue un bonhomme à deux kilomètres. Il faudrait abolir la chasse, un point c’est tout. »

Un désert bien encombré

Je résume ainsi, par ces propos imaginaires, les hésitations d’un consommateur standard de surfaces boisées à la saison de la chasse. C’est vrai que, dans les fourrés, autrefois, on ne trouvait que des bûcherons, des charbonniers, des ermites, quelques excentriques et, justement, les chasseurs. Aujourd’hui, en revanche, on y rencontre toutes sortes d’acteurs. C’est ce que le sociologue Jean-Claude Chamboredon appelle « la transformation des usages sociaux de l’espace rural ». Après, il y a la question morale. Depuis qu’on a découvert que notre bifteck a une âme, que son ancien détenteur, avant de prendre cette forme-là, pensait comme nous, souffrait comme nous, se projetait dans le futur tout comme nous, l’idée que des gens s’amusent à tuer des animaux nous indigne. Que l’on puisse militer contre la chasse est la chose la plus naturelle, il y a déjà tellement de violence dans le monde…

Lyncher, oui, mais pour la bonne cause

La violence, parlons-en. Lorsque les médias rapportent quelques accidents de chasse, je ne résiste pas à la tentation de lire les commentaires. Certes, il y en a de bien raisonnables et modérés, mais reconnaissons que souvent ça va loin : si un chasseur meurt, on s’en réjouit. Je cite au hasard deux réactions à la mort d’un vétérinaire tombé dans un ravin en 2015 : « Fais péter le champagne en dansant sur sa tombe. Joie ! Qu’il crève ! Bien fait pour sa gueule ! » voire : « C’est parfait qu’il soit mort ; une saloperie en moins»2 Quand la victime est un promeneur ou un cycliste, on incite au lynchage.

La violence est contagieuse

L’internaute « Grammon 1850 »3  synthétise admirablement cette envie latente de passage à l’acte : « Les chasseurs sont l’avenir de ce pays ? Si c’est ça l’avenir (des connards bourrés et armés) on est foutu. On a le droit de se défendre ou on doit juste prendre des balles sans se plaindre ? » On peut commenter ce désir d’en découdre en rappelant, à la suite de l’anthropologue René Girard, que la violence est contagieuse. Le chasseur, dans ce sens, ne ferait que récolter ce qu’il sème. On peut se dire que ces appels au meurtre, heureusement, ne restent qu’une façon de parler. Mais on peut aussi supposer que cette envie de projeter sa violence sur autrui est déjà présente dans certains esprits (« J’aime les animaux, ce qui ne m’empêche pas de haïr mon prochain »). Grâce à l’action « maïeutique » du chasseur (un chasseur qui « l’avait bien cherché »), cette haine refoulée trouverait un moyen pour s’exprimer.

  1. L’Œil du 20-heures, France Télévisions, 19-12-2018 (les statistiques, entre-temps, ont sûrement évolué)
  2. Cf. le site https://www.demotivateur.fr/article/un-chasseur-de-lions-meurt-en-glissant-dans-un-ravin-lors-d-une-partie-de-chasse-8350. Bien que concernant la chasse d’espèces menacées, cet exemple ne change rien à la question de la violence : des centaines de commentaires haineux, en fait, ont pour objet la mise à mort de chevreuils, cerfs et autres animaux qui, sur le plan statistique, se portent fort bien.
  3. En référence à Grammont qui est à l’origine de la première loi pour la protection des animaux (1850).




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