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Bruits de fond plan azote

Publié le 20 mars 2023 |

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Pays-Bas : azote, le plan de la discorde

Par Martijn Weijtens, conseiller aux Affaires agricoles à l’ambassade des Pays-Bas en France1.

Article rédigé sur la base d’une conversation avec Bastien Dailloux, le 18 janvier 2023, quelques temps avant les récents événements qui agitent les Pays-Bas : l’entrée en force au Parlement du Mouvement citoyen paysan BBB, qui devient dès lors le premier parti de la chambre haute. Caroline van der Plas, sa leader, a invité le gouvernement à revoir sa copie du plan azote, réfutant l’idée que le pays y est contraint par ses engagements internationaux2.

Son nom signifie en grec « privé de vie » … Il faut dire que l’azote, puisque c’est de lui dont il s’agit, contribue bel et bien à l’asphyxie de certains milieux, notamment sous la forme de nitrate ou d’ammoniac. En témoignent ces fameuses algues vertes des côtes bretonnes. En cause ? La pollution attribuée aux effluents d’élevages industriels voisins qui se déversent dans les cours d’eau. Si la législation française est jugée peu contraignante pour lutter contre un tel phénomène, les Pays-Bas, où le secteur agricole représenterait presque la moitié des émissions de ces composés, ont annoncé en juin 2022 le lancement d’un « plan azote » qui entend transformer son modèle de production pour diminuer par deux cette source de pollution d’ici 2030 et ainsi préserver la biodiversité, ainsi que la qualité des eaux et des sols. Une onde de choc secoue alors le pays, qui se trouve face à crise sociale inédite.

Petit pays

Martijn Weijtens

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, tous les secteurs de l’élevage hollandais – volaille, porc et lait – connaissent un fort développement, avec une tendance, continue depuis, à l’accroissement des cheptels. Reste que ce petit pays densément peuplé (17,6 millions d’habitants pour 41 850 km2) se heurtait à un manque de terres agricoles. Pour conserver une dynamique importante de production, il fallait alors viser l’efficacité. Outre la recherche universitaire qui a joué un rôle de premier plan, en particulier la Wageningen University, de nouveaux aménagements sont construits pour pallier la carence en sols :  citons par exemple les polders, ces nouvelles terres gagnées sur la mer où il est possible de mener des activités d’élevage.

Aux commandes ? Un gouvernement qui, à partir des années soixante, stimule l’agrandissement des fermes, des banques qui accordent des prêts pour les moderniser et une industrie agroalimentaire qui incite les éleveurs à produire plus. La réussite du modèle est telle que les Pays-Bas se propulsent aujourd’hui au rang de deuxième exportateur mondial de produits alimentaires, derrière les Etats-Unis.

Un succès à repenser

Sauf que ce modèle agricole particulièrement compétitif n’est pas sans conséquence [Ndlr : c’est la plus forte densité de bétail à l’hectare en Europe] avec par endroits de fortes pressions environnementales – du même ordre que celles que connait la France : gaz à effet de serre, méthane, ammoniac, nitrates qui passent dans le sol et détériorent la qualité de l’eau, pollution olfactive, etc. Sans parler des effets sur le paysage : en s’agrandissant, les fermes typiques hollandaises s’apparentent parfois à de véritables bâtiments industriels. Là n’est pas tout. Car le constat est sans appel : la biodiversité recule dans certaines zones naturelles sensibles, notamment Natura 2000.

« Au regard de ses manquements vis-à-vis des obligations européennes, l’État doit notamment accélérer la réduction des émissions azotées »

Il faut dire que le pays ne respectait plus ou insuffisamment les directives européennes « Oiseaux » et « Habitats » depuis le début des années 2000. D’où notamment, en 2014, le recours en justice d’ONG et de centaines de citoyens. La Cour suprême des Pays-Bas tranche  en 2019 après une longue procédure judiciaire : au regard de ses manquements vis-à-vis des obligations européennes, l’État doit notamment accélérer la réduction des émissions azotées. En clair, pas de nouvelles licences accordées aux fermes ni de nouveaux édifices ou infrastructures tant que la pression environnementale liée à l’azote n’est pas maitrisée. Sommé de prendre des mesures radicales, le gouvernement annonce alors en juin 2022 son fameux « plan azote ».

L’objectif : une diminution des émissions de 50% à l’horizon 2030, avec 74% des zones Natura 2000 qui doivent retrouver un bon état, donc se situer sous un « seuil critique de déposition azotée » – une norme établie au niveau international au-delà de laquelle on estime que les atteintes à l’environnement sont trop importantes. Le secteur agricole étant, devant les transports et l’industrie, le principal générateur d’émissions, via entre autres les engrais et les déjections des animaux, c’est lui que le gouvernement cible prioritairement. Le choix proposé aux agriculteurs concernés ? Soit cesser leur activité et donc vendre leur ferme, soit la déplacer vers des zones moins sensibles, ou bien encore modifier leurs pratiques de façon à diminuer drastiquement les émissions, par exemple en réduisant fortement la taille de leur cheptel.

Examen critique

Un plan qui recueille aussitôt de vives critiques de la part des producteurs et éleveurs : estimant ne pas être les seuls à polluer, ils jugent injuste d’être ainsi visés. Si les revendications divergent d’un collectif d’agriculteurs à l’autre, le sentiment de discrimination est, lui, bien partagé par beaucoup. Conséquence, des tracteurs bloquent les autoroutes ou les centres-villes et, à l’été 2022, le pays doit faire face à des manifestations d’une ampleur exceptionnelle. C’est que le mouvement, que l’on pourrait d’une certaine façon comparer à celui des Gilets jaunes en France, bénéficie d’un large soutien populaire.

Autre source de dissensus, le choix de la méthode des seuils critiques de déposition azotée pour évaluer l’état des zones Natura 2000, sachant que les excrétions d’ammoniac par les animaux ne sont pas mesurées de la même façon aux Pays-Bas que dans d’autres pays européens. Dès lors, l’opposition d’extrême-droite blâme le gouvernement d’avoir créé une « problématique fictive ». Si tout le monde aux Pays-Bas, y compris les agriculteurs, s’accorde pour que l’on prenne de front le problème de la dégradation de la biodiversité, c’est bien la méthode employée et les échéances qui posent problème. Une majorité de citoyens ne souhaite pas nécessairement revenir sur les objectifs du plan mais appelle à un traitement respectueux et non-discriminant des agriculteurs. Et puis, il y a une frange minoritaire de la population qui aspire à une agriculture « romantique », bio et à petite échelle, en lieu et place du modèle industriel actuel.  

Dialoguer pour gouverner

Face à cette crise, tout début juillet, le gouvernement nomme pour médiateur Johan Remkes, ancien ministre des Affaires intérieures et ancien Président de province. En vue d’apaiser la situation, et favoriser le dialogue, il réunit alors tout le monde autour de la table : syndicats agricoles, organismes de défense de la biodiversité et de la nature, etc. C’est en septembre 2022 qu’il rend son rapport, faisant retomber immédiatement les tensions. Car s’il soutient les critères et objectifs formulés par le plan, il signale que la forme choisie par le gouvernement pour sa mise en œuvre aurait mérité quelque peu d’être révisée.

« L’expropriation, on y pense, même si le mot n’est pas encore prononcé« 

Il aurait par exemple fallu commencer par reconnaître le rôle crucial des agriculteurs pour la société, leurs efforts déjà accomplis mais surtout cette idée qu’ils sont avant tout victimes d’un système les ayant fortement incités à s’agrandir. « Au moins, on nous écoute et on reconnaît qu’on a un rôle important à jouer », conviennent-ils. Les visées du plan restent quant à elles inchangées : suite aux discussions menées par les provinces avec les deux à trois mille fermes ciblées, les agriculteurs devront indiquer, à l’automne 2023, quel est leur choix, changer leurs pratiques, déplacer ou cesser leurs activités.

Dans le cas où ces discussions n’aboutiraient pas, le gouvernement pourra se montrer plus restrictif : l’expropriation, on y pense, même si le mot n’est pas encore prononcé. Mais ce qui aide, c’est un budget colossal d’environ 24 milliards d’euros destiné à racheter ces fermes ou compenser les agriculteurs qui devront l’être. D’autres questions restent à présent en suspens : ne pourrait-on pas envisager de mobiliser davantage de technologie, par exemple avec de meilleurs systèmes de filtration dans les bâtiments d’élevage ? Sans oublier cette autre interrogation : faut-il vraiment racheter des fermes et combien ?  Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : l’heure n’est plus aux spéculations, mais bien à la réduction visible des émissions.


  1. Fonctionnaire du ministère néerlandais de l’Agriculture, de la nature et de la qualité de l’alimentation, il a notamment travaillé pour la Commission européenne et été chercheur en épidémiologie à la faculté vétérinaire d’Utrecht.
  2. https://nos.nl/collectie/13923/liveblog/2467601-pvda-en-groenlinks-alles-doen-om-linksom-te-gaan-bbb-in-meeste-provincies-de-grootste

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