Publié le 12 avril 2018 |
0On a 20 ans pour changer le monde : bonne nouvelle ?
Par Anne Judas
Sur France Inter, Nagui et sa Bande originale de chroniqueurs déchaînés recevaient le 6 avril 2018 l’équipe du film documentaire On a 20 ans pour changer le monde : Maxime de Rostolan (ingénieur, Fermes d’avenir1 ), Xavier Mathias (agriculteur) et Hélène Médigue, la réalisatrice. Sortie le 11 avril en salles pour le film, et le 18 avril, chez Larousse, pour le livre éponyme.
A l’heure où la France et les quelque 1,7 millions d’auditeurs de l’émission se mettaient à table, l’équipe du film a détaillé tranquillement un constat très dur de l’état de la nature et de l’agriculture, ainsi que de notre alimentation. Bon appétit ! « Agriculture mortifère, agriculteurs suicidaires, consommateurs empoisonnés », triste constat mais, heureusement, les trois invités, venus avec leurs légumes (!) avaient des solutions. Les propositions qui auraient paru les plus « folles » il y a encore bien peu (« manger local et de saison, redynamiser les campagnes et l’agriculture avec des néo-ruraux, changer de régime alimentaire, aider les conversions ») étaient énoncées et reçues – du moins dans le studio – plutôt comme une évidence, une nécessité et même une bonne nouvelle, parce que « c’est l’occasion de tout changer, de s’y mettre maintenant » et parce que « oui, on peut faire quelque chose ».
C’était du sérieux. Pas moins de deux ministres, Stéphane le Foll, pour l’agroécologie, et Nicolas Hulot, pour la transition, puis Pierre Rabhi, père spirituel des invités, ont été largement cités : sacrés totems dont l’influence ne cesse de s’étendre, aux dires de Maxime de Rostolan.
On a ri tout de même, mais pas seulement. C’est l’intérêt de passer les bons sujets – ici l’agroécologie et la transition écologique, en gros – à la moulinette des humoristes. Des questions pertinentes ont été posées par cette bande d’esprits malins : n’est-il pas paradoxal de vouloir manger bio et de boire de grands crus de Bordeaux (conventionnel) sans y réfléchir ? La réponse est oui, mais on ne va pas renoncer au grand Bordeaux, ni au petit d’ailleurs, trop sensible… Que peut faire un individu urbain moyen et de bonne volonté pour opérer ce changement de monde alors que c’est ailleurs que ça se passe, dans les campagnes principalement ? Que peuvent les politiques (peu) et que peut le consommateur (beaucoup) ? Un vrai fond de débat, l’air de rien.
Evidemment, Daniel Morin a bougonné quelques objections bien senties à cet avenir qui s’annonce sans trop de viande et menacerait notre pinard. « Non, on ne pourra pas nourrir dix milliards d’êtres humains, en tout cas pas comme moi ». Les deux aînés de la bande, lui et Nagui, se sont fait chahuter : leur mode de vie, au bout de tant d’années, aurait abouti à des crises et des impasses majeures. C’était dit, et tant bien que mal – c’était un peu le foutoir, mais aussi le charme du direct – on comprenait que dans un monde dont les ressources s’épuisent, ou ne sont pas infinies, l’équation à résoudre comprendrait immanquablement, pour une population, le nombre d’individus, leur longévité, leur empreinte écologique. Nagui a tenu le rôle ingrat du riche. Selon ses collègues, toujours prêts à balancer, il aurait eu l’intention d’acheter un avion, mais pris de vertu, il aurait renoncé – ses invités, eux, ne prennent plus l’avion (après avoir sillonné la planète). Pas si évident d’être vertueux…
Maxime de Rostolan assumerait sans doute de passer pour un ultra-vert : il ne voit pas de terroir s’exprimer dans les AOC, puisqu’il y voit des pesticides ; il monte au créneau pour défendre ceux qu’on appelle « bobos » et qui sont à ses yeux des citoyens conscients. Il défend, en même temps, les techniques culturales simplifiées2, les investisseurs « verts », la non-interdiction du glyphosate (« l’interdiction serait une connerie, se donner cinq ans, c’est bien »).
En attendant, reste une question : si le consommateur et auditeur décidait de manger bio ou de cultiver son jardin, alors que la conversion à l’agroécologie prendra plusieurs années, que deviendraient les agriculteurs dits « conventionnels », dont le sort le préoccupe au plus haut point ?
Les questions difficiles étaient sur la table pour tout le monde, le 6 avril à midi. Ça ne rigole plus.
- https://fermesdavenir.org/
- Les TCS sont dites aussi TSL (techniques sans labour) ou agriculture de conservation. Près de 35 % des surfaces cultivées en France sont conduites ainsi (semis direct, interventions plus ou moins profondes). Ces techniques visent à limiter les consommations de fuel, réduire les risques d’érosion et stimuler l’activité biologique des sols. L’absence de retournement du sol avec enfouissement des mauvaises herbes implique une gestion agronomique intégrée du désherbage, au risque d’accroître les utilisations d’herbicides (Source Ademe, 2015, Références agriculture et environnement , Fiche n°3, Des TCS pour protéger le sol et économiser l’énergie)