Quel heurt est-il ?

Published on 8 avril 2020 |

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[Obésité infantile] Le poids de la famille

par Lucie Gillot

Parler d’obésité n’est pas chose aisée. Régulièrement à la une des médias, cette question de santé publique divise, engrange les stéréotypes et les superlatifs, suscite nombre de publications « alarmistes ». Parler d’obésité infantile est encore plus délicat. Très vite, le sujet dévie sur le rôle des parents, principaux éducateurs, dans la survenue et la prise en charge du problème. Avec, comme présupposé, l’idée qu’ils en sont les grands responsables. Est-ce si simple ? Enquête sur une pathologie qui met à l’épreuve les liens familiaux, entre méconnaissance et tabous.

Avant d’être une maladie, l’obésité est surtout un stéréotype. Le gros, c’est cet individu glouton, incapable de limiter sa consommation alimentaire, de se contrôler. Un cliché tenace, particulièrement dans nos sociétés occidentales qui ont érigé la minceur et la maîtrise de soi comme règles absolues, reléguant par la même occasion les rondeurs au rang de bourrelets disgracieux. Schématiquement, le corps obèse y est devenu « hors normes » sous toutes les coutures : esthétique et morale, mais aussi médicale, l’obésité ayant été classée comme maladie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en 19971. L’obésité infantile n’échappe pas à ce cliché du mangeur excessif. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les images qui illustrent les articles sur le sujet : on y voit souvent un gamin dévorant un hamburger, sirotant une boisson sucrée aux proportions démesurées ; rarement un bambin souriant dans un parc. S’il est vrai que cet excès de masse grasse résulte d’un « déséquilibre entre les apports et les dépenses alimentaires » et qu’il constitue un facteur de risque de pathologies graves, 2, réduire l’obésité à la question de la « malbouffe » serait une erreur. La recherche, dans de très nombreuses disciplines, a aujourd’hui clairement établi la multiplicité et la diversité des facteurs impliqués dans la survenue de ce déséquilibre (voir « Et pour causes »). Une pathologie bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Chez l’enfant, comme chez l’adulte, les causes sont multiples. Si le facteur génétique a son importance, il ne peut expliquer à lui seul, sauf dans de très rares cas, sa survenue. Il y a vraisemblablement des « gens prédisposés à devenir obèses », explique Arnaud de Luca, pédiatre au CHU de Tours. Mais « le facteur qui va déclencher la prise de poids, c’est l’environnement obésogène », précise-t-il. Le praticien fait ici référence, outre l’alimentation, à « l’activité physique insuffisante, l’état psychologique qui est un facteur majeur (dépression, stress…), le sommeil. Tous ces aspects sont intriqués et aboutissent, in fine, à la prise de poids. » Conséquence : quand il rencontre pour la première fois un enfant, le pédiatre va passer au crible tout un panel d’éléments, des antécédents familiaux aux pratiques alimentaires, en passant par l’activité physique, la durée du sommeil sans omettre les aspects psychologiques tels que « l’estime de soi et les relations avec les autres enfants ». Enfin, il retrace la courbe de prise de poids et détermine un certain nombre d’indicateurs tels que l’Indice de Masse Corporelle (IMC), afin d’établir le degré et le type d’obésité. Car non seulement l’obésité est multifactorielle mais elle est, en outre, plurielle (voir « Faire bonnes mesures »).

Mal au ventre

Difficile, dans ce cadre, d’en détailler toutes les causes au risque d’être caricatural. Aussi, concentrons-nous sur deux aspects saillants de la question : le poids de l’ascendance et le rôle des parents dans la construction des comportements alimentaires. Commençons avec le terrain biologique. Premier indice donné par les études épidémiologiques : avoir un parent obèse est un facteur de risque de survenue de l’obésité pour la descendance. Bien. Pour autant, « seules 5 % des obésités sont d’origine strictement génétique », révèle Christophe Breton 3, de l’unité de recherche Environnement périnatal et croissance (Lille 1). Question : si les gènes ne sont pas en cause, ou si peu, quels sont dans ce cas les mécanismes en jeu ? Réponse : l’épigénétique. La différence entre les deux est subtile : alors que la génétique se définit comme la science des gènes, l’épigénétique s’intéresse à la  manière dont notre environnement va modifier leur expression sans pour autant les altérer. La séquence génomique reste identique mais la transcription du gène va être plus ou moins active. Plusieurs travaux de recherche montrent ainsi que l’obésité va modifier la machinerie épigénétique qui sous-tend une expression plus ou moins marquée d’un certain nombre de gènes. Plus surprenant, ces changements peuvent être transmis à la descendance, aussi bien par le père que par la mère. Ce mécanisme peut donc expliquer le fait que l’obésité parentale « va prédisposer la descendance à l’obésité ». Et ce possiblement sur plusieurs générations.

Dans ce cadre, les chercheurs s’intéressent également de très près à la période dite périnatale, correspondant aux tout premiers jours de la vie d’un petit, y compris in utero. En effet, celle-ci conditionnerait la survenue d’un certain nombre de pathologies à l’âge adulte. Pour l’expliquer, procédons d’abord à un saut dans le temps. Pays-Bas, 1944. Pendant six mois, l’armée allemande bloque une partie du pays, provoquant une importante famine, avec des apports alimentaires quatre fois inférieurs aux quantités nécessaires. Parmi les survivants, des femmes enceintes qui donneront naissance à des enfants ayant de faibles poids de naissance, inférieurs à 2,5 kg. Jusque-là rien de très étonnant à ce que les nourrissons aient eux aussi pâti de ces restrictions. Reste que, longtemps après, à l’âge adulte, ces individus présenteront un risque élevé de mortalité précoce. Les chercheurs posent l’hypothèse d’une origine fœtale de ce risque, plus précisément d’une réponse adaptative ou prédictive du fœtus à ces conditions de vie extrêmes. Au moment de la vie in utero, le fœtus va calibrer son métabolisme sur les apports maternels transmis par le placenta. Si ceux-ci sont faibles, le fœtus va avoir tendance à « épargner » ses besoins. La situation devient problématique dès lors que, une fois né, le nourrisson reçoit une alimentation plus riche que celle qu’il a connue durant neuf mois.

Obésité et programmation fœtale

Les apports dits « prédictifs » (in utero) ne coïncident pas avec les apports postnataux : l’organisme va stocker l’excès. « Il existe un lien entre l’obésité et le modèle de programmation fœtale », explique Patricia Parnet, directrice de l’unité de recherche Phan-Inra. Plus précisément, des études chez l’animal et via des cohortes humaines établissent un lien entre un faible poids de naissance, le fait de grossir rapidement pendant la première année de vie et un risque accru d’avoir un IMC élevé plus tard. Sont concernés par cette problématique les nourrissons présentant un Retard de Croissance Intra-Utérin (RCIU), une complication qui survient dans « 80 000 grossesses par an en France ». Dans les pays occidentaux, l’enjeu consiste notamment « à comprendre l’impact du RCIU sur le développement de pathologies chroniques et à concevoir des moyens de prévention par l’alimentation de la mère et du nouveau-né », révèle la chercheuse (voir aussi « Un paradoxe planétaire »).

Toutes ces recherches, montrant l’importance de l’épigénétique et de la vie in utero, ont donné lieu à la théorie dite des « 1000 premiers jours ». Son credo : la santé d’un enfant (et de l’adulte qu’il deviendra) est influencée par l’alimentation et l’hygiène de vie de ses parents, avant même sa conception. « S’il est bien établi que l’obésité se développe à la faveur de la sédentarité et d’un déséquilibre nutritionnel excédentaire, sous l’influence de facteurs génétiques, l’environnement joue aussi un rôle. L’alimentation, le métabolisme, l’état psychoaffectif ou la condition sociale de la mère peuvent ainsi transmettre des influences non génétiques à l’enfant au cours de la grossesse et de l’allaitement »,détaille un dossier de l’Inra 4.Une théorie qui concerne également les pères 5.

L’enfant par le menu

Venons-en au second point, celui du rôle des parents – sujet houleux par excellence. Que sait-on scientifiquement de l’influence des pratiques alimentaires familiales au-delà du constat, général, d’un accroissement de la consommation d’aliments caloriques ? Chercheuse en psychologie du développement, Natalie Rigal s’intéresse depuis longtemps à la question de la régulation des prises alimentaires chez l’enfant et à son façonnage par l’éducation. D’abord ce constat : alors qu’un nourrisson dispose d’une capacité innée à autoréguler la quantité d’aliments ingérés, comment expliquer que celle-ci s’amoindrisse chez certains enfants, qui vont manger au-delà du sentiment de satiété ? Clairement, en matière d’appétit, nous ne sommes pas tous égaux. « Dès la naissance, on voit des bébés qui ont plus de plaisir à téter que d’autres », explique cette spécialiste de la construction des comportements alimentaires. Rien de très anormal, au contraire, « l’être humain étant programmé pour avoir du plaisir à manger parce qu’il en a besoin pour se développer ». Mais il a également la faculté de s’autoréguler, c’est-à-dire d’arrêter de manger lorsqu’il est rassasié. Du moins dans les premiers temps. Très vite, « les parents, en tant qu’éducateurs principaux, vont avoir un impact sur le plaisir de manger mais aussi sur la capacité d’autorégulation ». Comment ? En forçant par exemple leur enfant à finir son assiette alors qu’il n’a plus faim ou, à l’inverse, en le restreignant en permanence. « Des pratiques trop insistantes ou trop contrôlantes peuvent avoir un effet délétère sur la capacité d’autorégulation. Beaucoup de parents poussent à la consommation. D’autres, à l’inverse, freinent les consommations de l’enfant, ce qui peut s’avérer contreproductif. Restreints cognitivement, ces enfants vont avoir tendance à manger en plus grande quantité, notamment lorsque que les aliments sont en libre accès ou qu’ils peuvent manger en dehors du contrôle parental ». D’ailleurs, de plus en plus de chercheurs alertent sur les effets délétères d’une trop forte restriction cognitive, typique de certains régimes, au regard des phénomènes de compensation qu’elle génère.

Taille de portion

Il y a ensuite, selon N. Rigal, cette zone d’ombre : la taille des portions servies. Souvent, la problématique de l’obésité est abordée par le prisme de la qualité de l’alimentation (trop calorique) ; plus rarement sous l’angle de la quantité. Les rares enquêtes menées sur ce terrain indiquent pourtant qu’il y a bien un lien entre la quantité de nourriture servie et celle ingérée par les enfants : « La taille des portions consommées par les enfants est en grande partie déterminée par la taille des portions données par les parents. Plus ceux-ci donnent des quantités importantes, plus l’enfant mange des quantités importantes ». Cette tendance est plus marquée « dans les familles où les mères n’ont pas le baccalauréat ». Pour en comprendre les ressorts, Natalie Rigal s’est focalisée sur les représentations de chacune d’elles 6, en les questionnant par exemple sur les critères d’élaboration des menus. L’une de ses conclusions est que « les mères qui n’ont pas le bac font plus attention que les autres à faire plaisir à leur enfant alors que celles qui ont le bac seront plus sensibles à la question de la santé ».

Pour autant, la chercheuse se garde bien de tout jugement car « il est très compliqué pour un parent de savoir quelle portion donner à son enfant ». Elle remarque en outre que le Programme National Nutrition et Santé (PNNS) recommande de ne pas manger trop gras et trop sucré. « Les gens entendent “gras”, “sucré” mais “trop” ils ne savent pas ce que cela veut dire. » Voilà pourquoi elle préconise d’une part de ne surtout pas renier le plaisir de manger et, d’autre part, d’apprendre aux enfants à « ressentir le rassasiement ».

À la peine

Il est souvent tentant, au regard des faits, du poids de l’épigénétique comme de l’influence des pratiques alimentaires, de charger les principaux concernés – les parents. En avril dernier, se tenait à Glasgow le 26e Congrès Européen de l’Obésité (ECO). L’une des conclusions de ces journées, selon « Sciences et Avenir » 7, peut être ainsi résumée : le principal obstacle à une prise en charge précoce de l’obésité réside dans le « déni » des parents à reconnaître que leur enfant puisse être en surpoids. « Déni », un terme lourd de sous-entendus qui interroge forcément. Plus surprenant : pour les membres du Congrès, les enfants eux-mêmes, comme les médecins, se voileraient la face. Vraiment ?

« Le déni renvoie à la notion de refoulement. Or ce n’est pas tout à fait cela. Les gens ne s’en rendent tout simplement pas compte », nuance Arnaud de Luca, pour qui le terme est mal approprié. Non pas un déni, plutôt une méconnaissance de la pathologie, y compris chez les médecins. Sans arrière-pensée aucune, il pointe par exemple cette difficulté dans le diagnostic de l’obésité infantile. « Contrairement à l’adulte chez lequel la maladie est visible, elle ne se voit guère chez l’enfant notamment ceux ayant entre 4 et 10 ans qui ont l’air maigres. […] Les personnes qui n’ont pas un œil exercé peuvent voir un enfant de corpulence normale alors qu’il peut, du point de vue de l’IMC et des courbes, être en surpoids » (voir « Faire bonnes mesures »). Autres raisons avancées par le médecin, « le manque de temps des professionnels » ou encore le fait que les enfants et leurs parents viennent consulter pour d’autres motifs. « Aborder cela alors que la personne vient pour une autre raison, c’est délicat ».

Plus que le déni, c’est sans doute la souffrance 8 qui illustre le mieux ces rapports familiaux. Celle des enfants tout d’abord, confrontés à la stigmatisation sociale 9 mais aussi familiale, des parents ou de la fratrie. Souvent pétris de bonnes intentions, ils ont tendance à multiplier les remarques maladroites et autres injonctions « à se bouger ». Mais celles-ci s’avèrent souvent, là encore, contreproductives. La stigmatisation peut, en effet, inciter l’enfant à manger pour « calmer les émotions négatives et contribuer à l’autoréalisation de la prophétie [NDLR du gros] », explique Natalie Rigal. Fort du stéréotype qu’on lui a collé – celui d’un gosse inapte à contrôler ses prises alimentaires – « l’enfant va faire ce que l’on attend de lui : il va manger ». Du côté des parents, beaucoup se sentent également coupables de la situation, particulièrement ceux qui sont obèses.

Difficile dans ce cadre de ne pas faire de cette question familiale un axe dans la prise en charge de l’obésité infantile. Arnaud de Luca l’a bien compris. Lors de la première consultation, il préfère rencontrer toute la famille, y compris la fratrie. « Cela permet de dédramatiser, de comprendre que tout le monde n’a pas le même problème mais aussi d’avoir une meilleure adhésion de la famille à des mesures qui vont concerner chacun de ses membres ». Exemple cité, les mesures diététiques qui doivent être adoptées par tous et non pas seulement par l’enfant souffrant d’obésité. « Rien n’est pire que d’avoir le repas spécial pour le “gros” ». Au-delà des kilos, c’est donc bien sur le terrain de l’acceptation qu’il faut œuvrer. Et le pédiatre de lâcher : « Si on reste sur les côtés très factuels de la prise de poids et des chiffres, on passe à côté de la prise en charge. »

Et pour causes

Si l’on s’en tient à la définition posée par l’OMS, les choses sont relativement simples. « L’obésité est un excès de masse grasse entraînant des problèmes de santé » avec, pour origine, un déséquilibre entre les apports et les dépenses alimentaires. La situation se corse dès lors qu’il s’agit d’en expliquer les causes. Primo, de très nombreux facteurs sont impliqués, d’où le consensus scientifique pour qualifier la maladie de « multifactorielle ». Sont ainsi associés à un risque d’obésité : la sédentarité, le manque de sommeil, une alimentation trop calorique, le stress, la prise de certains médicaments, avoir un parent en surpoids, subir une trop forte restriction cognitive, la quantité d’adipocytes – les cellules qui stockent le gras –, l’accouchement par césarienne, la composition du microbiote – la flore bactérienne qui peuple notre intestin – et encore bien d’autres. Deuxio, il n’est pas toujours facile de déterminer le rôle de chacun d’eux. Un exemple ? Lors d’un accouchement par voie basse, le nourrisson traverse la filière utérovaginale et acquiert les microbes contenus dans le vagin de la mère, « très proches de ceux hébergés dans son tube digestif », explique Jean-Michel Lecerf (« Le surpoids, c’est dans la tête ou dans l’assiette ? », Quæ, 2019). On sait désormais que ce microbiote « peut jouer un grand rôle dans l’obésité ». Dans le cas d’une naissance par césarienne, le nourrisson ne traverse pas ; il ne bénéficie donc pas des effets potentiellement protecteurs du microbiote. Statistiquement, la femme obèse accouche plus fréquemment par césarienne pour des raisons médicales. Deux facteurs de risque vont donc potentiellement coexister chez ces enfants : la voie d’accouchement et l’ascendance parentale.
L’obésité revêt enfin une forte dimension socioéconomique. Il y a une relation « quasi linéaire entre la prévalence de l’obésité chez l’adulte et le niveau de revenus », rappelait Nicole Darmon, nutritionniste dans l’unité Moisa-Inra, lors du Workshop Psychofood (Paris-Saclay, 10 mai 2019). Chez l’enfant, ces inégalités se retrouvent tout autant. « Seuls 1,3 % des enfants de cadres sont obèses à l’âge de 10 ans, contre 5,5 % des enfants d’ouvriers », détaille un article du « Monde » (« L’obésité touche quatre fois plus les enfants d’ouvriers que ceux de cadres », 9 février 2017). Où l’on voit que l’obésité agit aussi comme un révélateur des inégalités sociales de santé.

Faire bonnes mesures

Il existe deux grands types d’obésité : l’obésité commune qui représente près de 95 % des cas et l’obésité dite secondaire, c’est-à-dire liée à une autre pathologie, qu’elle soit d’origine endocrinienne, iatrogène (liée à des médicaments) ou génétique. Pour poser le diagnostic, les professionnels de santé s’appuient sur l’Indice de Masse Corporelle (IMC), que l’on calcule en divisant le poids (en kilogrammes) par la taille au carré (en mètres). Chez l’adulte, les valeurs de l’IMC sont fixes : entre 18,5 et 25, la corpulence est dite « normale » ; entre 25 et 30, l’individu est en surpoids et, au-delà de 30, obèse. Chez l’enfant, les choses sont différentes. « La courbe de l’IMC varie avec l’âge. Chez un tout petit, il est normal de gagner en corpulence au cours de la première année, de diminuer ensuite, puis de réaugmenter au moment de la puberté », détaille le pédiatre Arnaud de Luca.
Dès lors, pour poser le diagnostic, les médecins s’appuient sur des indicateurs complémentaires et observent l’allure des courbes de croissance de poids et de taille, pour voir, par exemple, si la prise de poids est progressive, si elle survient précocement ou, autre cas, brutalement, comme en réponse à un événement particulier. En outre, « les enfants qui prennent du poids grandissent également plus vite que la moyenne. Lorsque ces deux indicateurs (poids et taille) augmentent de concert, nous sommes quasiment sûrs qu’il s’agit d’une obésité commune. Par contre, si l’enfant grandit moins bien [NDLR : qu’il ne grossit], nous allons rechercher une obésité secondaire. » Enfin, concernant la prise en charge, il indique qu’il n’est nullement question de faire perdre du poids aux enfants, car cela risque de stopper la croissance. La stratégie est tout autre. Puisque l’enfant va continuer à grandir, l’objectif visé est une stabilisation du poids afin que la corpulence s’affine.

Un paradoxe planétaire

Si la restriction calorique n’a (presque) plus court dans nos contrées, elle demeure en revanche très problématique dans les pays à faibles revenus. Patricia Parnet, unité de recherche Phan-Inra, en détaille les effets ravageurs, en prenant comme exemple le cas de l’Inde. Les femmes, y compris pendant la grossesse, vont nourrir prioritairement leurs enfants et leur mari, reléguant au second plan leurs besoins. Ces « restrictions induisent un retard de croissance pendant la grossesse, avec des nourrissons de petit poids », explique la chercheuse. De fait, l’organisme de ces enfants une fois qu’ils sont exposés à des apports caloriques nettement supérieurs, va forcément en pâtir car il sera métaboliquement mal adapté à cet excès d’alimentation.
« Autrefois considérés comme des problèmes spécifiques des pays à haut niveau de revenu, le surpoids et l’obésité sont désormais en augmentation dans les pays à revenu faible ou intermédiaire », alerte l’OMS 10 qui en a fait une priorité de santé publique. « En 2016, plus de 340 millions d’enfants et d’adolescents âgés de 5 à 19 ans étaient en surpoids ou obèses ; 41 millions pour les enfants de moins de 5 ans. » Conséquence : « De nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire sont aujourd’hui confrontés à une “double charge de morbidité” », induite à la fois par la dénutrition et l’obésité. Au rythme où vont les choses, « d’ici 2022, le nombre d’enfants et d’adolescents obèses dans le monde sera supérieur à celui des enfants dont le poids est insuffisant ».
Qu’en est-il dans les pays de l’OCDE ? Si l’on se réfère à la dernière enquête 11, « près d’un enfant sur six est en surpoids ou obèse »en leur sein. Reste que les situations sont disparates d’un pays à l’autre : alors que la prévalence reste relativement stable en France depuis près de dix ans (4 % d’obèses pour les enfants de 6 à 17 ans) 12, elle s’est considérablement accrue en Angleterre ou aux États-Unis. À l’horizon 2030, près de la moitié de la population adulte des États-Unis est susceptible d’être constatée obèse (47 %), 35 % en Angleterre.



  1. La classification du corps gros comme « malade » divise. Pour certains, on peut être obèse et en bonne santé ; pour d’autres, l’obésité est une maladie chronique aux répercussions multiples, qui ne sont pas seulement métaboliques mais aussi psychologiques.
  2. À savoir principalement : le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et certains cancers. Les enjeux sanitaires chez l’enfant sont principalement liés au fait qu’entre deux tiers et 90 % des enfants obèses le resteront à l’âge adulte. Avec le risque de développer des pathologies survenant normalement à des âges plus avancés.
  3. Intervention lors de la 1re journée Animation Nutrition Grand Ouest, vendredi 5 avril 2019.
  4. http://www.inra.fr/grand-public/alimentation-et-sante/tous-les-magazines/developpement-prenatal-la-sante-de-l-adulte-se-forge-des-les-premices-de-la-vie
  5. Signalons sur ce point que le gouvernement envisage de lancer, dès le 4e mois de grossesse, « un parcours des 1 000 jours » pour « guider les futurs parents » et les sensibiliser à l’importance de cette période pour leurs enfants. https://www.franceinter.fr/enfants/boris-cyrulnik-prend-la-tete-d-un-comite-pour-elaborer-le-parcours-1000-jours-de-la-petite-enfance
  6. Pour ce faire, elle a adressé un questionnaire aux deux parents. Reste que les pères n’ont pratiquement pas répondu.
  7. « Urgence Obésité », dans Sciences et Avenir, n° 868, juin 2019.
  8. « Obésité, des familles en souffrance », dans Le Pèlerin n° 7117, repris par La Croix.
  9. Stigmatisation : processus de discréditation et d’exclusion qui touche un individu considéré comme anormal ou déviant. Concernant l’obésité, ce phénomène de stigmatisation se traduit par une moindre mobilité sociale des personnes, souvent freinées dans leur carrière professionnelle. Un phénomène qui explique aussi le fait que l’obésité soit associée aux statuts sociaux inférieurs.
  10. « Principaux repères sur l’obésité et le surpoids. En 40 ans, les cas d’obésité chez l’enfant et l’adolescent ont été multipliés par dix », site de l’OMS.
  11. « Obesity Update », 2017,Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE).
  12. Étude Esteban, 2014-2016, chapitre « Corpulence : stabilisation du surpoids et de l’obésité chez l’enfant et l’adulte », juin 2017.

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