Bruits de fond

Published on 21 janvier 2021 |

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Normes sur les résidus de pesticides : mangue et tais-toi ?

Par Ousmane Z. Traoré1 et Lota D. Tamini2.

Comment le zèle des pays développés à édicter des normes concernant les résidus de pesticides dans l’alimentation, afin de rassurer leurs consommateurs, peut-il compromettre le développement des producteurs africains ? Quelques éléments pour éclairer la décision publique…

Ces dernières années, l’application des mesures de Limites Maximales de Résidus (LMR) de pesticides (insecticides, herbicides et autres fongicides) s’est renforcée dans les pays développés, afin de contrôler l’utilisation de ces produits dans la production agricole et de promouvoir les échanges internationaux de denrées alimentaires sûres et de qualité (Beghin et al. 2015, UNCTAD/MAST, 2012). L’enjeu pour les États ? Protéger les consommateurs contre les effets nocifs des résidus de ces substances présents dans les aliments, qu’ils soient produits localement ou importés. 

C’est l’accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS)3 de l’OMC qui régit l’utilisation des LMR pour les pesticides par les États membres. Bien qu’il encourage ces pays à utiliser les normes recommandées au niveau international, par exemple celles du Codex Alimentarius4, ce texte offre un cadre non contraignant. En conséquence, plusieurs États membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) ont défini des normes qui leur sont propres, plus nombreuses et souvent plus restrictives que celles des cadres internationaux et, selon Li et al. (2017), le taux de résidus doit être extrêmement bas (aussi nommé score de sévérité). C’est le cas, par exemple, de l’Australie, du Japon, des pays de l’Union européenne, de la Turquie et du Canada, dont la réglementation s’avère plus dure que le Codex. 

Par ailleurs, les données du Global MRL5 indiquent que la plupart des pays africains disposent peu de mesures LMR ou, s’ils en disposent, les alignent le plus souvent sur les normes du Codex. Ainsi, cette base de données montre que les pays africains ont mis en place des LMR pour à peine quarante-deux pesticides, alors que la majorité des pays de l’OCDE ont normalisé plus de 600 substances. 

Des conséquences économiques importantes…

Il faut savoir que la plupart des producteurs africains utilisent des techniques à base de pesticides pour le traitement des insectes de quarantaine (par exemple, les mouches à fruit). Ces types de traitement non contrôlés non seulement exposent  nombre de producteurs aux risques presque certains de dépassement des LMR en vigueur dans les pays de l’OCDE, mais ils leur font en outre supporter des coûts supplémentaires de production, comme le prix de ces produits phyto et de la main-d’œuvre qualifiée nécessaire pour les utiliser. Le double enjeu pour les producteurs ? Le contrôle de ces insectes et redes résidus de pesticides. Car il faut savoir aussi que la présence des insectes de quarantaine dans les aliments et celle des résidus de pesticides au-delà des limites autorisées entraînente automatiquement, dans un cas comme dans l’autre, sle rejet des smarchandises aux frontières. Par exemple, il ressort dans le rapport des pays du Système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux (RASFF), édité en 2014, que les violations des LMR de pesticides ont constitué environ 70 % des rejets aux frontières de l’UE des exportations africaines de fruits et légumes entre 2008 et 2013. Notons par ailleurs que, au-delà des problèmes de refus ou de rejets d’importation de produits, l’augmentation des coûts de production induite par les investissements de mise en conformité aux normes se solde, en premier lieu, par la réduction du niveau de la production agricole et crée des incertitudes pour les exportations des pays africains. Les effets commerciaux se font surtout sentir dans les filières à fort potentiel d’exportation, telles que la mangue, objet de mon étude. En 2016, les pays membres de l’OCDE représentaient les principales destinations pour l’exportation de ce fruit, soit plus de 71 % de leurs exportations totales (World Integrated Trade Solution, WITS). Dans le même temps, nous constatons que ces pays développés rejettent plus fréquemment les exportations en provenance des pays africains en raison de non-conformité avec leurs exigences de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. Par exemple, en 2011, les pays de l’UE ont rejeté quatre-vingt-cinq conteneurs de mangues, exportées par sept pays membres de la CEDEAO6, considérées comme étant non conformes à leurs normes phytosanitaires (ECOWAS-TEN, 2011).

Pas de consensus

Problème, les effets des mesures LMR sur le commerce international de produits agroalimentaires sont contrastés dans la littérature empirique, cette dernière s’appuyant sur l’expérience, l’observation et non sur la théorie. En effet, certaines études, par exemple celle de Otsuki et ses collaborateurs, montraient, en 2001, que l’harmonisation des limites de résidus d’aflatoxines – une mycotoxine qui peut être très présente dans des aliments tels que les arachides, le riz ou les fèves de cacao – dans les pays membres de l’UE allait réduire les exportations des pays africains de 64 %, soit une perte de 670 millions de dollars américains.  En revanche, d’autres auteurs, notamment Xiong et al. (2011), ont trouvé, eux, que cette harmonisation n’a constitué aucun obstacle aux exportations d’arachides des pays africains. De leur côté, Disdier et al. (2010) ont montré que les LMR d’antibiotiques imposées sur les crevettes par les États-Unis, l’UE, le Canada et le Japon ont réduit leurs importations pour ces produits mais que, en revanche, ces mesures ont permis d’augmenter le bien-être7 de la plupart de ces pays développés. Beghin et al. (2012) ont trouvé un résultat similaire. Par ailleurs, Xiong et Beghin (2014) indiquent que les mesures LMR de pesticides peuvent réduire l’offre d’exportation et augmenter la demande d’importation. 

Reste que, si  dans leur majorité ces études ont modélisé les coûts des normes pour les exportateurs, aucune d’entre elles n’a considéré explicitement les coûts supportés par les producteurs en amont. Or, ces manques à gagner peuvent être prohibitifs pour les producteurs de fruits et légumes dans la majorité des pays africains (Kareem et al., 2020) et compromettre leurs exportations vers des pays exigeant des normes strictes.

Éclairer la décision publique

Pour conclure, nos résultats révèlent que les mesures LMR de pesticides des pays de l’OCDE représentent des freins à la production des mangues de qualité et sûres en Afrique. Autant d’obstacles qui se présentent sous la forme de coûts de production élevés chez les producteurs en amont, de réduction de chances de produire des fruits conformes aux normes et de baisse de quantités de production. Par ailleurs, il se trouve que ces mesures favorisent la demande d’importation de la part des pays de l’OCDE via l’amélioration de la perception des consommateurs sur la qualité. En conséquence, le renforcement de politiques de LMR de pesticides est susceptible de garantir des produits sûrs aux consommateurs et de favoriser la demande d’importation, mais il peut porter préjudice aux producteurs des pays exportateurs. Autant d’éléments qui pourraient éclairer la décision publique.

À ce prix ?

Cet article s’appuie sur mon travail de thèse, qui cherche à démêler théoriquement et empiriquement les effets de la conformité aux mesures LMR pour les pesticides sur la production, l’offre d’exportation et la demande d’importation, via un modèle prenant en compte la réalité des structures organisationnelles des filières agroalimentaires dans les pays africains. sIl met ces effets en perspective avec les coûts et avantages associés aux normes de qualité et de sécurité sanitaire des aliments. Ce cadre se différencie des modèles existants, car il prend en compte explicitement les coûts de conformité aux normes chez les producteurs, en amont.

Mes analyses théoriques montrent que les mesures LMR de pesticides affectent négativement la probabilité de produire des denrées alimentaires de qualité et sûres ainsi que les quantités produites. En revanche, l’effet net des LMR de pesticides sur le commerce est instable : il peut être positif, nul ou négatif, selon que l’effet bénéfice (effet d’une qualité perçue) est supérieur, identique ou inférieur au coût économique supporté chez les producteurs en amont. On peut résumer cette équation par une question sociétale : quel prix est prêt à mettre un consommateur occidental pour un produit sûr et de qualité au regard des coûts supportés par des producteurs des pays en développement ?

Enfin, il ressort de mes investigations empiriques qu’un renforcement des LMR de pesticides dans les pays de l’OCDE, accompagné d’une amélioration du niveau de qualité perçue par les consommateurs, par exemple via des labels ou tout autre moyen d’information concernant la sûreté et la qualité de ces produits, se traduirait par deux effets : une augmentation nette de 0,077 % de la probabilité des pays africains d’exporter des mangues répondant aux normes et une hausse de 1,492 % de la demande d’importation de mangues de qualité en provenance d’Afrique. Malgré les apparences, ces chiffres se révèlent significatifs pour les producteurs concernés. 

  1. Université Laval
  2. Centre de Recherche en économie de l’Environnement, de l’Agroalimentaire, des Transports et de l’Énergie (CREATE)
  3. https://www.wto.org/french/tratop_f/sps_f/spsund_f.htm
  4. Codex : cadre de réglementation internationale qui établit, entre autres, les limites maximales autorisées de résidus de pesticides. Il implique les experts de l’OMS et la FAO. Consulté sur le site http://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/home/en/
  5. https://www.globalmrl.com/home/
  6. La CEDEAO désigne la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest
  7. Les auteurs mesurent le bien-être du pays importateur par la somme des surplus économiques des producteurs et des consommateurs en tenant compte du coût du préjudice sanitaire chez les consommateurs. Le surplus pour un agent correspond au gain économique issu de la différence entre le prix qu’il est prêt à payer pour un bien et le prix auquel il l’obtient.

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