[Microferme] « Je n’étais plus du tout avec ma famille »
Nous avions rencontré Guillaume Boitel1 dans le tout premier numéro de Sesame, au printemps 2017. Il nous avait présenté, dans la Meuse, une microferme solide, bien organisée, qui semblait indéboulonnable… Et pourtant, l’histoire a pris une autre tournure. Entretien.
Suite du dossier « Retour sur les « microfermes » », pour le 17ème numéro de la revue Sesame (mai 2025)
Photographie : Guillaume Boitel dans sa microferme en 2017 (prise par Yann Kerveno)
Vous avez aujourd’hui rejoint les rangs de l’enseignement agricole, qu’est-ce qui a présidé à cette bifurcation alors que tout semblait rouler ?
En fait, juste après notre rencontre, il y a eu deux bifurcations, en 2018, l’année où j’ai cessé la production. Je ne pouvais plus continuer, mais cela n’avait rien à voir avec la ferme ni avec sa viabilité, puisque tout tournait bien. Mais j’étais bien trop dedans. Pour être précis, ce n’était même pas une question de charge horaire parce que je tournais à environ quarante heures par semaine, avec des pics à cinquante. Sur l’année, je faisais 1 800 heures sur la ferme mais, comme le disait mon épouse, j’oubliais d’ajouter les à-côtés… C’est-à-dire 200 heures de formation et 600 heures consacrées aux organisations professionnelles, l’agriculture bio, l’Amap, la Confédération paysanne. Pour les proches, quand on passe de 1 800 heures à 2 600 heures, ce n’est plus la même chanson. En plus, ma fille avait grandi, elle réclamait de pouvoir partir en vacances comme ses amies avec ses parents. Question vacances, Noël ça allait, pour février, si c’était tôt dans le mois, on pouvait mais, au printemps, c’était trop difficile de quitter la ferme. J’arrivais tout juste à conserver une semaine l’été. Bref, je ne parvenais plus à tout gérer.
Quel a été le déclic ?
Ah, c’est un petit événement. Nous sommes partis deux semaines en vacances en famille à La Réunion et une tempête a frappé la Lorraine. Je savais que des serres tunnels avaient été endommagées et l’ami que j’avais envoyé en reconnaissance chez moi ne m’a jamais transmis les photos que je lui avais demandées. Je me suis alors dit que c’était parce que tout était par terre et qu’il ne voulait pas gâcher nos vacances. J’ai passé quinze jours à gamberger, à imaginer le pire, je n’étais plus du tout avec ma famille.
Une fois la décision prise, que s’est-il passé ?
Ça a été une période difficile, il a fallu que je mette de la distance, j’ai changé de métier, j’ai basculé dans la cartographie. Il m’a fallu deux ans pour surmonter cette épreuve, assumer cette décision que, sincèrement, je regrette un peu aujourd’hui. Pour vendre la ferme aussi, c’était dans le projet de départ de vendre l’exploitation, même si j’avais plutôt visé la retraite, sans perdre trop d’argent. Deux ans pour que je parvienne à transmettre à un autre maraîcher. Mais les nouveaux propriétaires ont laissé l’usage de la grange à l’Amap dont je faisais partie.
Fort de ce parcours, quels conseils dispenseriez-vous aujourd’hui ?
Le premier, c’est de ne pas s’installer seul. Et pas non plus avec son conjoint. Parce que c’est important de garder du temps pour les loisirs, la famille, d’organiser des coupures, c’est une question d’équilibre personnel. Pour préserver ce dernier, échapper un peu à la charge mentale, j’en viens même à me demander si c’est une bonne idée de vivre sur la ferme. Le deuxième, c’est d’investir intelligemment. Avec un bon outil de production, on peut rester en bonne santé physique (car on en porte, des kilos !) et psychique. Sans les bons outils, c’est le corps qui prend et on perd en rentabilité. Avec ce bémol toutefois : quand je me suis installé en 2010, avec 35 000 euros on pouvait avoir un outil convenable. Aujourd’hui, pour la même chose, il faut compter entre 70 000 et 100 000 euros. Ça amène à se pencher sur la question de l’emprunt. Le troisième conseil, c’est de bien réfléchir à la question foncière. Est-il vraiment nécessaire d’être propriétaire alors qu’on est bien protégé avec les baux ruraux ? Par ici, en Lorraine, les terres atteignent 10 000 euros l’hectare… Économiser ce poste permet de financer autre chose.