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Bruits de fond

Publié le 20 février 2023 |

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Les histoires d’amour avec l’animal (sauvage) finissent mal en général  

par Sergio Dalla Bernardina1

Départs fusionnels. Je ne parle pas de la zoophilie, argument scabreux largement traité par les psychiatres et les juristes. Je parle des amours platoniques, des amitiés exclusives que certains humains entretiennent avec les bêtes sauvages. Cela peut marcher tant qu’on est gamin, et encore. C’est beau de fraterniser avec Baloo et Bagheera, de dîner chez les ours à la manière de Boucle d’or, de converser avec les renards comme le Petit Prince. C’est beau de s’imaginer à la place de Tippi, héroïne d’une série documentaire qui, au cours de ses « Voyages extraordinaires», côtoyait nonchalamment les fauves les plus inquiétants (« Je suis gentille, ils sont gentils, nous sommes tous très gentils… »). Mais après, il faut choisir. C’est le rôle de l’initiation : à un certain moment, l’enfant doit quitter le monde de la nature, auquel il est symboliquement associé, pour gagner celui de la culture. Il doit arrêter d’être une bestiole pour devenir un membre de la communauté.

Nostalgie des origines

Certes, la tentation de revenir à ce paradis perdu où les frontières s’estompent est toujours là. Le soldat d’« Une passion dans le désert»,de Balzac, oublie, dans une contiguïté proche du rêve, que la panthère dont il partage le refuge appartient à une autre espèce. Patricia, la figure principale du roman « Le Lion», de Joseph Kessel, trouve tout à fait normal de donner rendez-vous à son ami carnassier au pied du Kilimandjaro. Timothy Treadwell, immortalisé par Werner Herzog dans « Grizzly Man», sympathise avec Rowdy, un ours de 300 kilos, et apprend aux profanes la bonne manière de l’approcher. Mais ces mythes – parce qu’il s’agit bien de mythes qui nous parlent de l’ordre des choses – montrent le caractère utopique de ces cohabitations. À la fin du récit de Balzac, le soldat, incertain des intentions de la panthère, la transperce d’un coup de poignard. Pour le lion de Kessel, ce sera un coup de fusil. Et on sait bien que l’ours Rowdy fera une seule bouchée du pauvre Timothy en remettant sérieusement en cause leur amitié. Morale de l’histoire : on n’est pas au cirque, quoi… ni au zoo. 

Des yuccas à quatre pattes

On peut toujours se rabattre sur des bêtes plus petites et moins dangereuses. Les Européens gardent à la maison 500 millions d’animaux exotiques2. Leur raisonnement est simple : « J’ai bien le droit d’héberger des plantes tropicales dans mon appartement, pourquoi pas des caméléons, des iguanes ou des singes-écureuils ? L’important est de comprendre leur psychologie, de les soigner avec sollicitude… et moi, en matière de “care”, j’ai tout ce qu’il faut. » Après, bien sûr, il faut se documenter. Ceux qui ne se documentent pas font des erreurs. Ils peuvent croire par exemple que, si le caméléon qu’ils viennent d’acheter tend à grimper sur leur tête, c’est qu’il les aime beaucoup, alors que c’est parce qu’il cherche à s’éloigner d’eux le plus possible. Ils peuvent oublier que l’animal sauvage a besoin d’un espace où exprimer sa sauvagerie. Ils peuvent sous-estimer les zoonoses, et contribuer, par le bichonnage de leurs protégés, à la transmission de maladies d’une espèce à l’autre. 

Pour toutes ces raisons, l’Union européenne limite la circulation des animaux exotiques et sauvages. Ça ne plaît pas à tout le monde mais c’est comme ça. C’est une initiative bien sage et réaliste mais qui va aussi dans le sens du mythe : elle cherche à sauvegarder l’ordre des choses, à endiguer l’hémorragie, à restaurer la frontière entre le domestique et le sauvage.

  1. ethnologue
  2. . Selon une étude de l’association hollandaise Animal Advocacy and Protection




One Response to Les histoires d’amour avec l’animal (sauvage) finissent mal en général  

  1. Berthier Sylvie dit :

    Je suis globalement d’accord avec Sergio, notamment sur la question de la psychologie, voire de la conscience des animaux qui est largement débattue au sein de la communauté scientifique. A ce titre on peut lire « Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? », livre érudit et éclairant de Frans de Waal, psychologue et primatologue.
    En revanche, cet argument de « l’enfant doit quitter le monde de la nature, auquel il est symboliquement associé, pour gagner celui de la culture » ne me convainc pas. Il est devenu éculé. On sait aujourd’hui que les humains font partie de la nature et que les animaux développent des cultures.

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