Bruits de fond

Published on 15 septembre 2023 |

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Vandalisme, l’art et la manière

par Valérie Péan

vandalisme
©Samson

« Je créai le mot pour tuer la chose », écrivait en 1837 l’abbé Grégoire dans ses Mémoires, à propos du vandalisme. Ben, c’est raté.

Non seulement le phénomène n’a jamais cessé, mais il est même revivifié depuis quelque temps par l’activisme écologique. Une version édulcorée toutefois que cet « éco vandalisme » dont certains s’inquiètent : une tarte à la crème projetée sur la Joconde, les Tournesols de Van Gogh éclaboussés de soupe à la tomate, les Meules de Monet aspergées de purée, toutes œuvres d’art dument protégées par des vitres… On est quand même très loin du sac de Rome ou des bibliothèques entières ravagées par les flammes. C’est que le mot créé alors par l’abbé Grégoire dit peut-être autre chose aujourd’hui.

Déjà, à l’origine, il y a eu comme une exagération. Ou tout au moins une fort mauvaise réputation, celle d’un peuple germanique, les Vandales qui, au début du Ve siècle, traversèrent la Gaule, vécurent un temps en Espagne avant de s’établir au nord de l’Afrique, d’où ils prirent possession de la Corse, de la Sicile et autres îles. Dans leur sillage, un parfum de saccages et comme un plaisir à razzier. Mais, peu étayée, cette image sulfureuse fut en partie fabriquée par des clercs catholiques contre ces barbares d’obédience arienne, laquelle était jugée hérétique.  

Reste que le mal est fait. Et au début du XVIIIe, sous la plume de Voltaire, le nom des Vandales perd sa majuscule, devenant synonyme de rustres pilleurs. Quelques décennies passent et nous voilà au cœur du mois d’août 1792 qui voit la monarchie détrônée. Un été enflammé par les violences et les attaques de tout ce qui symbolise les richesses colossales de l’ancien Régime. Mobiliers, Monuments, œuvres d’art, tout y passe. 

Devant la Convention, le citoyen et député Grégoire, fervent anti-monarchiste et défenseur de l’instruction publique, s’émeut de cette « ignorance destructrice » qui prive la Nation de ses richesses culturelles. Et s’en indigne dans son « Rapport sur les destructions opérées par le Vandalisme ». Le mot est né, repris plus tard par Hugo pour vilipender les destructions du Paris médiéval en 1832 : « Le vandalisme est entrepreneur de travaux pour le compte du gouvernement. Chaque jour quelque vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit.» Finie la révolte du peuple : ce vandalisme a pour lui les bourgeois, ajoute-t-il.

Car des vandales, il y en eut tout le temps, partout et pour une foule de raisons. Geste isolé de malades mentaux, pillage frénétique par des régimes autoritaires ou, plus près de nous, destructions aveugles de l’État islamique, vandalisme « créatif » des années 1970, geste revendicatif durant l’épisode des Gilets Jaunes à l’Arc de Triomphe… Vandalisme d’alerte aujourd’hui, pour dénoncer une société où les artefacts sont mieux protégés que le vivant. Pas d’« ignorance destructrice » chez ces iconoclastes-là, tout conscients qu’ils sont de la valeur des œuvres qu’ils visent. Les barbares sont à chercher ailleurs.

Le conseil de lecture :

« Du vandalisme d’œuvres d’art: Destructions, dégradations et interventions dans les musées en Europe et en Amérique du Nord depuis 1970  », signé de la sociologue Anne Bessette et publié en 2021 chez L’Harmattan, qui lui a décerné le prix scientifique dans la série Doctorat.

Retrouvez tous les [mots] ICI.

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