Par Valérie Péan.

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Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Bruits de fond

Publié le 26 juin 2017 |

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[Le mot] Transition

Par Valérie Péan.

Energétique, écologique, numérique, alimentaire, démographique, citoyenne… la transition, brandie comme un impératif est décidément collée à toutes les sauces. Pourtant, souvenez-vous… Dans les années 70, pour toute une génération d’élèves, quand on commençait à vous parler de transition, ce n’était pas vraiment bon signe. Si tu continues, tu vas finir en classe de transition… Une voie de garage qui, à partir de la 6ème, vous acheminait vers l’apprentissage que vous le vouliez ou non. Et voilà qu’aujourd’hui, invoquer la transition est devenu classe. Pourquoi un tel succès ? Car après tout, il y a belle lurette que les théories de la transition ont fleuri dans le domaine des sciences sociales, sans pour autant accéder à la popularité. Dès les années 30, la sociologie s’est en effet emparée de ce concept pour décrire le décalage entre la diffusion rapide des innovations techniques et la lenteur de la transformation des dispositifs culturels par ces dernières. Repris en 1945 par Franck Notestein, il s’est appliqué à un modèle démographique, pour rendre compte de l’évolution des taux de natalité et de mortalité lorsqu’on passe d’une société traditionnelle à une société moderne. Avec là aussi l’idée d’un décalage temporaire, entre la chute rapide du taux de mortalité et la relative inertie des taux de natalité.

Mot-valise

Ce n’est pourtant que dans les années 2000 que la transition accède au rang de mot-valise.
Ainsi que le rappelle le philosophe Patrick Viveret, interviewé par Libération il y a déjà presque deux ans, le mot en politique « apparaît surtout avec le mouvement des bilans de transition en 2006, avant d’être repris dans le pacte écologique de Nicolas Hulot et par les 14 organisations qui se reconnaissent dans le Collectif pour une transition citoyenne ». Une transition souvent entendue comme un processus linéaire et progressif, flirtant volontiers avec la résilience. Répété en boucle par les pouvoirs publics, les médias et un certain nombre d’acteurs, le mot paraît s’autosuffire : dites transition et celle-ci semble déjà en marche, tout effort gommé. L’invoquer, c’est comme acter que nous faisons au présent un pas dans le monde de demain. Nul besoin de réforme radicale, oubliés le décalage, le déséquilibre, la viscosité ou l’inertie dont la transition rend normalement compte. Ce mot « est en effet moins fort que d’autres, c’est un concept intermédiaire », estime P. Viveret. En tout cas, pas forcément le meilleur pour qualifier ce moment que nous vivons, où toute transformation des systèmes et des organisations existantes demande une sacrée volonté.

Métamorphose ?

Quel mot plus pertinent choisir, alors ? P. Viveret suggère le terme de « métamorphose » utilisé par Edgar Morin : « Il sous-tend une mutation radicale qu’il faut absolument intégrer dans le processus de transition ». C’est bien le problème… Pas sûr que la métamorphose connaisse le même succès médiatique, tant la transition a de vertus apaisantes. Dans cette vaste opération d’euphémisation, elle a comme un air de transit intestinal. Elle digère tous les obstacles, enrobe de sucs pour éviter les crispations, trie ce qui encombre, assimile le meilleur, élimine les déchets de nos modèles éculés. Seulement un passage, donc mais au fait, un passage vers quoi, déjà ? A l’origine, trans ire, aller au-delà, conduisait tout droit au trépas. Et la transition eut un temps, pour les premiers Chrétiens, le sens de l’agonie.

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