Publié le 20 avril 2017 |
0L’Agrexit, drôle de guerre
par Thomas Lines.
Pendant cette drôle de guerre brexitienne, nous sommes toujours dans l’attente. L’action commencera bientôt, certes, mais on en devine à peine le caractère et les conséquences.
Dans l’agriculture pourtant, il y a de l’impatience pour un nouveau départ, pour en finir avec une politique agricole que le pays n’aurait franchement jamais choisie de son propre gré. En 1973 la PAC était là, toute faite, obligeant le gouvernement d’Edward Heath d’abandonner la politique Made in England qui fonctionnait fort bien depuis un quart de siècle. Dans la hausse des prix alimentaires qui s’ensuivit, après plus d’un siècle du cheap food, on trouve les germes de la grande décision du 23 juin dernier.
Un nouveau départ, donc. Mais pour aller où ? Voilà ce que l’on ignore. Il y a des idées, des propositions, un sentiment que les premières décisions compteront pour beaucoup, mais rien de clair, ni au gouvernement ni ailleurs. Le retour au système d’après-guerre est exclue : ni l’intervention voire le remplacement absolu des marchés qu’il comprenait, ni la dépendance des fournisseurs historiques ne sont plus possibles.
55 % du revenu agricole
Quoi alors ? Peut-être recréer le marché libre, se débarrasser des règles qui contraindraient les exploitants et tenter d’imiter l’échelle américaine ? « La plupart des agriculteurs ne veulent pas recevoir une subvention » – tel est le jugement bien fondé, cité par le Financial Times, de Minette Batters, présidente adjointe du syndicat agricole unique (le NFU) et locataire d’une exploitation de bœufs de boucherie près de Salisbury. Elle a voté, comme beaucoup d’agriculteurs, pour quitter l’Union européenne.
Mais comment vivre sans subventions, quand la PAC en 2015 fournissait 55% des revenus agricoles au Royaume-Uni, qui étaient en chute libre avec un déclin réel de 24% en un an ? Cela entraînerait la fin d’une kyrielle d’exploitations, qui s’étaient déjà réduites en nombre de 4% de 2010 à 2014.
D’aucuns verraient en toute sérénité la mort d’une grande partie des fermes, ce qui permettrait aux campagnes de retrouver leur écologie d’origine. Après tout, l’agriculture britannique ne représente que 0,7% du PNB et 1,1% de l’emploi et ne fournit plus que 60% des besoins alimentaires du pays. Nombre des habitants de ces îles, citadins depuis des générations, ne voient dans le monde rural qu’un lieu agréable pour les randonnées, les résidences secondaires et les pubs rustiques.
L’Agrexit reste confus
D’autres préconisent la promotion d’une agriculture biologique ou de conservation, bien éloignée du productivisme de la PAC. L’Oxford Real Farming Conference, une expression de cette tendance, est vite devenue la plus grande assemblée agricole du pays, avec 850 participants. Reste que ces idées suscitent peu d’intérêt aux plus hauts niveaux du syndicat et du gouvernement.
Chez ces derniers, on manque également d’enthousiasme pour un autre changement qui trouverait certainement un écho populaire : si les subventions continuent, les concentrer sur les petites exploitations plutôt que les grandes. Mais ceci n’intéresse ni les aristocrates fonciers ni les entreprises agro-alimentaires, sans parler du syndicat agricole, qui représente surtout les agriculteurs les mieux nantis. Neuf mois après le référendum, l’Agrexit reste tout aussi confus que le Brexit en général. George Eustice, ministre responsable de l’agriculture, né dans une famille fermière et ancien candidat de l’UKIP (Partie pour l’indépendance du Royaume Uni), ne semble plus très confiant en ses rêves d’une politique de la terre brûlée. A coup sûr, s’engage une drôle de guerre de bien longue haleine…
Thomas Lines est un spécialiste britannique du commerce agricole. [Son site]