La ville à la campagne
Ce n’est pas un tsnunami, ni même une vague, mais le contexte est porteur pour que les communes deviennent exploitantes agricoles et certaines ont déjà sauté le pas. Comment ? Pourquoi ? C’est dans le fil du mercredi 19 mars 2025 !
Peu à peu, au fil des réformes de la décentralisation, les collectivités territoriales et locales se voient dotées de compétences nouvelles qui, sans verser abruptement dans le domaine agricole, leur ouvrent des portes en la matière. Au point que certaines communes ont désormais sauté le pas et sont, mêmes, devenues « agricultrices ».
C’est cette évolution, et toutes les conséquences qui en découlent, qui furent au centre des dernières rencontres du droit rural ourganisées par AFDR Droit Rural, 22e du nom, tenues à Paris le 30 janvier. François ROBBE, avocat au barreau de Villefranche-sur-Saône et maître de conférences à Lyon 3, précisait que la toute première incursion des collectivités locales dans la gestion du monde agricole remontait… à leur création. Très vite en tout cas avec la mise sur pied de la police rurale, sous responsabilité municipale, et les premiers textes qui serviront de socle au Code rural. Mais il faudra ensuite longtemps, deux siècles, avant que les collectivités se voient dotées de pouvoirs plus étendus, notamment celui de l’aménagement de l’espace urbain et rural, jusqu’aux premières lois de décentralisation en 1983 puis la loi SRU de 2000 (évolution des schémas directeurs en schémas de cohérence territoriale, des plans d’occupation des sols en plans locaux d’urbanisme…).
Au-delà des communes, les départements sont aussi concernés par la question agricole depuis une vingtaine d’années : « Ils ont hérité au milieu des années 2000 de compétences dont ils se seraient bien passé, celle de l’aménagement foncier (l’ancien remembrement), des usines à gaz procédurales dont l’État s’est délesté au passage et, peut-être, parce que les questions d’aménagement foncier ne sont plus autant un enjeu étatique comme elles pouvaient l’être dans les années soixante ou soixante-dix » a expliqué l’avocat. Les Régions ont, pour leur part depuis 2017, un rôle important dans la gestion des fonds européens du FEADER, accordé au titre du deuxième pilier de la Politique agricole commune et depuis 2023 la possibilité en plus d’en préciser les modalités d’attribution pour les adapter au territoire.
Internalisation
Comment et par quels moyens s’effectue ensuite la transition vers la collectivité « agricultrice » ? En règle générale, le pas est franchi quand il s’agit de répondre à un besoin propre, interne le plus souvent, telles les cantines scolaires de la collectivité. Cantines qui ont, loi Egalim oblige, l’obligation d’incorporer une fraction importante de produits de qualité, locaux ou bio dans les menus servis aux enfants. « La montée en puissance d’une politique de l’alimentation en parallèle de la politique agricole, l’injonction nationale à la mise en œuvre de systèmes alimentaires territorialisés ont conduit les collectivités à réinterroger la nature de leurs relations avec les agriculteurs » opinait Raphaele-Jeanne Aubin-Brouté, Maître de conférences en droit privé à l’université de Poitiers. C’est par cette proximité récente qu’est née, notamment dans les collectivités les plus engagées dans la transition alimentaire, « la volonté d’internaliser l’offre de produits agricoles en prenant en charge l’acte de production.» Et ce, précisait-elle, en dépit du fait que les communes ne sont pas dotées de cette compétence particulière mais grâce à la « compétence générale » qui leur est accordée et leur permet de régler « toutes les affaires qui les concernent. »
Plonger dans la production est aussi un moyen de satisfaire aux exigences de la loi sans déroger aux règles de la commande publique, lesquelles, même récemment assouplies, ne permettent pas toujours d’arriver à ses fins. La juriste indiquait ensuite que le modèle le plus répandu en France est celui de la régie simple, dont le budget n’a pas d’autonomie et est intégré au budget de la collectivité. Au-delà de la maîtrise et de la simple satisfaction de ses besoins propres, la commune pourrait aussi aller proposer ses produits sur le marché concurrentiel, « à condition qu’il y ait un intérêt public » pour pallier par exemple l’absence d’offre du privé. C’est le cas également dans l’éventualité où les communes souhaitent ouvrir un commerce.
Concurrence ?
Cette implication nouvelle a de quoi nourrir toutes les rumeurs dans le monde agricole alentour avec, précisait-elle, des « craintes idéologiques, peu rationnelles, la peur de l’entrisme rouge, le retour des Sovtkhozes ou encore la fonctionnarisation des agriculteurs qui viendrait battre en brèche tout le travail mené par la profession pour justement faire reconnaître à l’exploitation agricole sa qualité d’entreprise « comme les autres ». Enfin, difficile d’écarter la notion de concurrence. « Un nouvel entrant, c’est un nouveau concurrent sur le marché, Mais aussi pour l’accès aux ressources finies, comme le foncier par exemple » soulignait-elle. Pour autant, on est loin du grand remplacement : il existerait aujourd’hui 35 régies en France, qui exploitent, en moyenne, 3,5 hectares.
Au-delà de l’exploitation directe d’une ferme, les collectivités, et en l’essence principalement les communes et intercommunalités, se sont vues confier un outil supplémentaire pour leur permettre de peser un peu plus sur l’organisation de l’agriculture. Les Projets alimentaires territoriaux (PAT). Après avoir rappelé l’apport théorique de Jean-Louis Rastoin à propos des systèmes alimentaires territorialisés, Luc Bodiguel , directeur de recherche au CNRS, détaillait les tenants et les aboutissants des PAT. « Le PAT, c’est quelque chose d’un peu particulier c’est ce qu’on appelle un dispositif à nature hybride. D’un côté, on a l’État qui veut piloter une stratégie de l’alimentation et puis, de l’autre côté, il dit au territoire, allez-y prenez la main. On est donc dans cette espèce de tension entre le local, le territoire qui doit agir et le national qui donne quelques orientations jusqu’à présent, pas forcément très importantes, sauf quand il y a de l’argent en jeu. Si on regarde l’évolution du nombre de PAT, il en existe 464, on voit bien que l’accélération de leur augmentation correspond au moment où on a attribué les aides du plan France Relance. »
Coordinateurs de filières
Pour autant, pas question de voir dans le PAT un outil contraignant, à l’inverse des SCOT précise-t-il. « D’un côté, on a des outils réglementaires, de l’autre le PAT est un outil à la disposition des collectivités, de tous les acteurs privés ou publics et tout le monde peut s’en saisir. C’est une proposition, une suggestion d’action. »C’est dans le cadre des PAT que les communes, ou les intercommunalités (95 % des dispositifs sont pilotés par des communes) peuvent devenir en quelque sorte des coordinateurs de filières. Pour autant, les PAT existants ne couvrent pas forcément l’ensemble des acteurs : les distributeurs sont systématiquement absents, les transformateurs n’y participent pas souvent, la mainmise d’une obédience syndicale ou autre est souvent prégnante, expliquait-il en résumé. « C’est un lieu où on pourrait avoir l’occasion de discuter ensemble, où les collectivités pourraient effectivement avoir un rôle de coordination, mais pas dans le sens d’imposer. On n’est pas du tout dans une vision descendante mais dans une logique de collaboration. » Avec, pour épée de Damoclès, un risque juridique patent, au regard du droit de la concurrence de ce type d’organisations : « À partir du moment où la filière est coordonnée, les apports organisés, cela constitue de fait un bloc de sociétés qui vont se heurter à l’interdiction de constituer des ententes »…De quoi peut-être agacer par exemple, au bout d’un moment, les distributeurs…