Publié le 12 mai 2019 |
0La biodiversité dans les défis sociétaux
Par Agnès Hallosserie1
Du 29 avril au 4 mai 2019, s’est tenue la 7e session plénière de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques. On s’attendait à une discussion à bâtons rompus entre décideurs et scientifiques afin d’identifier les enjeux les plus cruciaux et les meilleures opportunités pour mieux intégrer la biodiversité dans nos modes de développe- ment. Il faut dire que le bilan de ces dix dernières années est plutôt mitigé…
Une alarme montante : un printemps pas si silencieux. Si l’on sait que, de l’échelle internationale à l’échelon local, la lutte contre le changement climatique est aujourd’hui un élément incontournable de l’action politique et qu’elle concerne tous les secteurs, certains mesurent moins que l’érosion de la biodiversité et la dégradation des écosystèmes représentent un enjeu global tout aussi important en termes de menaces sur nos modes de vie actuels. Des menaces qui passent souvent inaperçues et semblent se poursuivre inexorablement dans l’indifférence quasi générale. Les scientifiques qui travaillent depuis des décennies sur cette question, qu’ils soient écologues, sociologues, anthropologues ou encore économistes, unissent leurs voix pour alerter les politiques, mais aussi les collectivités, les entreprises et les citoyens, sur l’état de la bio- diversité, ses perspectives d’évolution à moyen terme, selon différents scénarios, et sur les solutions pour atteindre des futurs plus désirables pour nos sociétés. Réunis au sein de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, les experts présenteront en mai 2019, à Paris, aux représentants des 131 États membres de la Plateforme, les résultats de trois années de travail de compilation de l’ensemble des connaissances existantes.
D’Aichi à Paris, un bilan mitigé.
Cette Évaluation mondiale de la biodiversité et des services éco- systémiques arrive à point nommé, alors que l’agenda international converge pour redonner à la lutte contre l’érosion de la biodiversité une place qui doit être majeure dans la prise de décision. Force est de constater que le bilan des dix objectifs que s’était fixés en 20102 la communauté internationale, lors de la conférence des parties (COP) de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) à Aichi, au Japon, sera plus que mitigé. À moins de deux ans de leur échéance, le rapport de l’IPBES apportera les premiers éléments d’évaluation, mais le rapport régional pour l’Europe et l’Asie centrale, publié en 2018, donne déjà le ton : les subventions néfastes pour la diversité biologique (objectif 3) n’ont pas été éliminées et les incitations positives en faveur de sa conservation et de son utilisation durable peinent à émerger. Ainsi, l’Union européenne dépense, chaque année, plus de trois milliards d’euros pour subventionner l’industrie de la pêche, ce qui lui permet de réduire ses coûts d’opération et de maintenir un niveau de pêche élevé, alors même que les stocks de poisson sont en déclin. Si l’objectif 11 d’Aichi sur les aires protégées semble atteint au-delà des ambitions (25 % des terres protégées en Union européenne contre un minimum de 17 % suggéré par la CDB), les experts de l’IPBES notent, toutefois, que la perte des habitats naturels et le déclin des espèces sauvages et domestiques se poursuivent. Les mesures politiques prises au cours de la dernière décennie ont permis de ralentir la dégradation de la biodiversité sans pour autant stopper son érosion. À la lumière de ces constats, la CDB, qui se réunira fin 2020 en Chine, devrait renouveler ses ambitions, et surtout proposer des moyens de mise en œuvre plus efficaces afin que des actions concrètes et des engagements soient pris par les acteurs et les États.
Urgence absolue.
Avec l’érosion continue de la biodiversité, c’est l’ensemble du Programme des Nations Unies pour le développement durable qui vacille : les fameux ODD3 (Objectifs de Développement Durable) reprennent en partie ceux de la CDB pour ce qui concerne la biosphère terrestre et marine. Or, si ces objectifs ne sont pas atteints, il sera d’autant plus difficile d’espérer parvenir aux autres ODD, dont ceux touchant aux urgences humanitaires, économiques et sociales, telles que l’éradication de la faim dans le monde, l’accès à l’eau potable ou la santé pour tous, qui dépendent du bon fonctionnement des écosystèmes. Que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas là que de préoccupations de pays en voie de développement ; en France, également, la santé humaine est étroitement liée à la santé environnementale, la biodiversité joue sur les questions de bien-être en ville, mais aussi sur l’emploi : le tourisme rural, fondé sur la préservation des paysages et de la biodiversité locale, permet de diversifier les activités des petites et moyennes exploitations agricoles et représente 10 à 20 % des revenus ruraux en Union européenne. A contrario, la dégradation des terres et la perte de fertilité des sols peut causer des pertes d’emploi dans le secteur agricole. La préservation des écosystèmes marins et côtiers a quant à elle des effets directs sur l’emploi dans le secteur de la pêche. Autant de liens multiples qui devraient également être mis en évidence dans le rapport de l’IPBES.
Faire dialoguer science et politique
Si les précédents rapports de la Plateforme, sortis entre 2016 et 2018, se penchaient sur des thématiques particulières telles que la pollinisation ou la dégradation des terres, une série de quatre rapports régionaux a également été publiée, portant respectivement sur l’Afrique, les Amériques, l’Asie-Pacifique, l’Europe et l’Asie centrale. Un travail et une expertise qui commencent à porter leurs fruits au niveau des politiques internationales, européennes et nationales : lorsque l’IPBES confirmait qu’« il a été démontré que les pesticides, et en particulier les insecticides, ont de nombreux effets létaux et sublétaux sur les pollinisateurs », le débat sur l’article concernant l’interdiction des néonicotinoïdes dans la loi pour la reconquête de la biodiversité battait son plein au Sénat. Le rapport de l’IPBES sur la dégradation et la restauration des terres indique quant à lui: « Les actions visant à réduire l’impact de l’urbanisation sur l’environnement prennent en considération les problèmes liés à la dégradation des terres urbaines et, par ailleurs, améliorent sensiblement la qualité de vie tout en contribuant à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ces changements. » Ce message a trouvé un écho dans les objectifs du Plan biodiversité publié en juillet 2018 sur le développement de la nature en ville et l’objectif de zéro artificialisation nette. L’IPBES semble donc bien remplir la fonction qui lui a été attribuée, à savoir renforcer l’interface entre la science et la politique, faire dialoguer ces deux sphères pour qu’elles se soutiennent mutuellement dans leurs efforts en faveur de la préservation de la biodiversité.
Poser les bases…
La 7e session plénière de l’IPBES, qui se tiendra du 29 avril au 4 mai 2019 à Paris, donnera probablement lieu à une discussion à bâtons rompus entre décideurs et scientifiques afin d’identifier les enjeux les plus cruciaux et les meilleures opportunités pour mieux intégrer la biodiversité dans nos modes de développement.
L’objectif, au sortir de cette discussion technique à huis clos, est de présen- ter un Résumé à l’intention des déci- deurs qui servira alors de référence universelle pour savoir d’où l’on part (l’état actuel de la biodiversité), où l’on souhaite aller (pour un développement harmonieux avec la biodiversité) et comment s’y rendre (avec un ensemble d’instruments et d’outils de politiques publiques et privées). À chacun de se saisir des conclusions de ce rapport qui, par son exhaustivité géographique et thématique, concernera forcément l’ensemble de la société.
… d’un avenir durable.
En France, la biodiversité est un sujet politique qui prend une importance croissante. Les acteurs de la recherche, mais également ceux de la sphère économique, multiplient les travaux pour concilier développement et préservation de la biodiversité, repenser les relations entre les humains et leurs écosystèmes… Dans les mois qui encadrent la plénière de l’IPBES et jusqu’en juin 2019, ces acteurs organisent de nombreux événements4 en métropole et outre-mer pour faire partager leurs réflexions. La plupart sont ouverts à tous. En raison de la diversité des enjeux qui lui sont associés, la biodiversité nous touche tous, d’une manière ou d’une autre. Les connaissances que nous accumulons nous permettent d’en explorer les multiples facettes. Il est grand temps de les utiliser pour faire bouger les lignes politiques, économiques et citoyennes si nous voulons encore découvrir toutes les surprises que la biodiversité nous réserve pour nous aider à faire de notre futur un avenir durable.
La Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) fournit une analyse des principales thématiques5 qui seront abordées dans l’évaluation mondiale de l’IPBES. Au cours de la plénière, elle publiera un suivi de l’événement en ligne sur son site6. Autant de moyens de suivre les conclusions de cet important événement et de s’approprier les enjeux et défis de la biodiversité.
- Fondation pour la recherche sur la biodiversité
- https://www.cbd.int/sp/targets/
- https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/ objectifs-de-developpement-durable/
- https://www.frb-ipbes.fr/
- https://www.frb-ipbes.fr/comprendre-biodiversite/
- http://www.fondationbiodiversite.fr/fr/