Je t’aime, moi (non ?) plus !
La politique brutale mise en œuvre par l’administration Trump provoque des retours de bâtons cinglants chez les agriculteurs du pays, qui sont pourtant parmi les plus fervents de ses supporters. Au point de provoquer un début de désamour ? Possible. C’est le fil du mercredi 8 octobre 2025.
Photographie : Minnesotta 1999 © archives Yann Kerveno
Ils étaient de ceux qui l’attendaient comme un nouveau messie, pour la deuxième fois. Le monde agricole américain a plébiscité Donald Trump lors de chaque élection, 78 % des agriculteurs ayant voté pour le candidat républicain l’année dernière. Mais depuis, l’heure est au désenchantement tant les promesses sont balayées par les effets indirects (certains diront pervers et le terme est largement mérité) de décisions n’ayant a priori rien à voir avec l’agriculture… C’est le cas de celui sur les taxes sur les produits étrangers, entrées en vigueur le 2 avril dernier. Le président américain avait alors promis un « grand soir » : « Produisez et soyez prêts à vendre vos produits sur le marché américain » clamait-il alors. Mais c’est bien le contraire qui se produit, la guerre des tarifs avec la Chine a provoqué un arrêt net des exportations de soja dont le pays est si friand (il achetait ses dernières années un quart de la production américaine !) pour nourrir ses élevages. Le soja doit d’ailleurs être au centre de la prochaine rencontre à la fin du mois entre Trump et Xi Jinping, le président chinois, alors que les Argentins, dont le président Milei est largement soutenu par Trump, viennent de lever les taxes à l’exportation (26 %) portant sur les céréales. De quoi permettre aux Chinois d’acheter illico la bagatelle de 2,3 millions de tonnes via 35 bateaux et ne pas avoir à taper dans ses réserves stratégiques avant de commencer à discuter…
Hurry up !
Le temps presse, fait remarquer la presse américaine, car si la récolte bat son plein dans le Midwest, tout retard de quelques semaines dans le rétablissement des flux commerciaux vers la Chine mettrait les producteurs américains en concurrence avec la nouvelle récolte sud-américaine. Or trouver des débouchés nouveaux relève du casse-tête pour les exportateurs. Il n’est pas simple de vendre un quart de la production américaine sur le marché domestique ou à proximité quand les tensions persistent, en plus, avec deux autres clients majeurs, le Canada et le Mexique… Le soja n’est pas le seul produit à rencontrer des difficultés, d’autres décisions ont également eu un impact délétère sur le commerce des produits agricoles… La fermeture de l’agence américaine pour le développement international (USAID) et ses plus de deux milliards d’aides alimentaires distribuées dans le monde a privé les producteurs d’un débouché majeur : l’agence en question était l’un des principaux acheteurs de céréales américaines… Tout comme manque à l’appel une partie des marchés destinés aux banques alimentaires locales. Que dire encore du renchérissement des coûts de production induits par la mise en place des taxes douanières qui font progresser les prix des engrais, des produits phytos, des matériels et, dans un effet ciseau, vient entamer un peu plus la rentabilité des fermes ? Sans même attendre la baisse des cours redoutées par les analystes, les producteurs de céréales estiment perdre aujourd’hui 100 à 200 $ par acre (240 à 482 euros par hectare).
Paradoxe
Fin juin, le nombre de fermes américaines mises en redressement enregistré en 2025 avait déjà dépassé le total de 2024, les fermes laitières et de productions de céréales étant les principales concernées. Macroéconomiquement parlant, l’année 2025 ne devrait pourtant pas être si mauvaise pour l’agriculture des États-Unis, les pertes enregistrées par le secteur des céréales et oléoprotéagineux étant largement compensées par la progression des productions animales selon les dernières projections du ministère de l’agriculture. Sans faire évoluer sa lecture du dossier, l’administration Trump essaie de calmer les esprits et travaille aujourd’hui au déploiement d’un plan d’aide à 10 milliards pour les producteurs de soja… Un précédent existe, en 2019 et 2020, quand l’administration avait accordé 22 puis 46 milliards de dollars d’aide au secteur agricole lors de sa « première » guerre tarifaire avec la Chine. D’ailleurs, avant même que l’on connaisse les modalités de ce train d’aides, les paiements directs de l’État vers les exploitations agricoles devraient atteindre plus de 40 milliards de dollars cette année, soit un modeste bond de 30 milliards par rapport à l’année passée, lié notamment à la progression de la dotation des fonds de calamités agricoles. Des aides pour le moment suspendues en raison du « shutdown » de l’administration faute d’accord sur le budget. Jennifer Fahy, de l’ONG de défense des agriculteurs américains Farm Aid, craint, dans Newsweek que ces tourments ne soient pas passagers et que les conséquences, les pertes de parts de marché en particulier, soient durables et impactent l’agriculture sur le long terme. Elle fait même le parallèle avec la crise des années quatre-vingt qui avait fait disparaître 300 000 fermes du paysage et provoqué une consolidation du secteur par agrandissement des exploitations restantes.
Cerise et gâteau
Mais ce n’est pas le seul point de crispation entre le monde agricole et la deuxième administration Trump… Cerise sur un gâteau multicouche, il y a aussi celui de la politique migratoire qui a défrayé la chronique en début d’été. Pourquoi ? Parce que la main-d’œuvre agricole est grandement composée de populations immigrantes et que la nouvelle politique déployée depuis janvier 2025 a changé la donne. Le volant de main-d’œuvre disponible pour les travaux des champs a ainsi reculé de 7 % entre mars et juillet de cette année, soit, excusez du peu, 155 000 travailleurs de moins. Le pari, c’était que priver les entreprises de la main-d’œuvre illégale allait provoquer, à moyen ou long terme, une hausse des salaires, propres à motiver les travailleurs américains et un recours accru à la technologie et la mécanisation, comme l’envisage une note de l’American entreprise Institut publiée ce printemps. Note qui précise que l’issue reste toutefois aléatoire et que la transition, à savoir le sevrage de l’agriculture américaine de sa dépendance aux immigrés illégaux qui sont un des facteurs majeurs de sa compétitivité, ne se fera pas sans casse… Parce que les travailleurs sans papiers pourraient, selon le ministère de l’agriculture, représenter jusqu’à la moitié de la main-d’œuvre agricole employée dans le pays.
Amours.
En attendant, tout l’été, la presse s’est fait l’écho des difficultés des producteurs contraints de regarder leurs récoles pourrir sur pied, faute de bras pour s’en charger, en Californie ou au Texas. Jusqu’à 70 % des salariés ne se sont plus présentés dans les entreprises qui les emploie de peur des raids, parfois pour le moins brutaux, de la police de l’immigration. Jusqu’à possiblement provoquer des faillites et des dommages sérieux à l’ensemble de l’agriculture, comme le souligne une étude publiée au cœur de l’été. Là encore, l’administration tente de trouver un moyen d’atténuer le choc qui a privé nombre de fermes des bras dont ils ont besoin mais la promesse faite début août tarde à se concrétiser. De quoi alimenter – un peu plus – la colère dans les campagnes ou dans le monde des affaires. « M. Trump, vous m’avez regardé et dit « je vous aime ». M. Trump, j’ai maintenant besoin de voir le fruit de cet amour » résume Chris King, un agriculteur de l’Arkansas rencontré par Newsweek. L’automne n’est pourtant guère réputée pour être la saison des amours mais plutôt celle des grandes marées de problèmes ?