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Bruits de fond

Publié le 21 janvier 2019 |

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Huile d’olive : la Tunisie sous pression

Par Mustapha Jouili, chercheur associé au laboratoire d’économie rurale, Inra Tunis.

Autrefois activité vivrière traditionnelle, la culture de l’olivier en Tunisie a connu un tournant avec la colonisation française (1881). Car, dès lors, c’est l’exportation qui fut privilégiée. Au point que, aujourd’hui, 75 % de la production nationale est destinée à l’étranger, avec des conséquences coûteuses. 

Le coup d’accélérateur ? L’accord d’association, en 1995, avec l’Union européenne, qui autorise un quota dédouané d’exportation de 56 000 tonnes/an. Résultat, sur la période 2010-2017, l’Europe représente 80 % des débouchés, Italie et Espagne en tête (35 % chacune). Et ce n’est pas fini. Au printemps 2018, l’UE a octroyé à la Tunisie un quota supplémentaire de 30 000 tonnes sur deux ans. Un cadeau ? Pas vraiment. Car c’est d’abord pour pallier le recul prévisible de la production en Italie, en Espagne et en Corse, où sévit la bactérie tueuse d’oliviers, Xylella fastidiosa. Ensuite, parce que 90 % de l’huile d’olive tunisienne est expédiée en vrac et à bas prix : trois à quatre euros le litre. Une fois conditionnée par les Européens, elle est parfois vendue jusqu’à dix fois plus cher, moyennant quelques entourloupes. Ainsi, le quotidien italien « La Repubblica » révélait en 2011 que quatre bouteilles sur cinq d’huile d’olive extravierge made in Italy contiennent en fait un mélange avec de l’huile étrangère bon marché, notamment tunisienne. Ce sont donc les transformateurs européens qui s’accaparent l’essentiel de la valeur ajoutée, tout en s’assurant un approvisionnement stable et à bas coût. Une perte pour la Tunisie, en termes de devises et d’emplois, faute de conditionnement local. 

Olives Vs Soja

Pire, sur le marché intérieur, l’huile d’olive, devenue très chère, est inaccessible à la majorité des Tunisiens dont le pouvoir d’achat se détériore. Résultat, pour satisfaire la demande nationale, le pays importe, à coups de subventions, des huiles de soja et colza ! C’est en 1962 qu’est amorcée cette politique devenue structurelle. Cette année-là, une pénurie d’huile d’olive sur le marché mondial a incité les pouvoirs publics à importer de l’huile de soja à meilleur marché, pour la mélanger avec l’huile d’olive locale. Un moyen certes de satisfaire les besoins de consommation intérieure mais aussi d’accroître l’excédent exportable en huile d’olive et par là les recettes en devises. Sauf que ces dernières sont en grande partie absorbées par l’importation des huiles de graines… Ainsi, sur la période 2010-2017, 70 % des recettes d’exportation d’huile d’olive (367 millions d’euros/an) ont servi à financer l’achat des huiles de graines étrangères. Si l’on y ajoute les subventions à l’export et à l’import, le bilan devient même nettement négatif. 

Un goût amer

Enfin, cette substitution de l’huile d’olive par les huiles de graines s’accompagne d’une dégradation de l’état de santé de la population. Durant les deux dernières décennies, alors que la Tunisie est le troisième producteur au monde, la consommation d’huile d’olive par habitant a diminué de près de 27 % pour atteindre un des niveaux les plus faibles de la région méditerranéenne (3,7 kg/personne en 2015 contre 9,2 en Italie, 10,4 en Espagne et 16,3 en Grèce). Résultat : une prévalence des maladies liées à une alimentation déséquilibrée, riche en sucre rapide et en graisse non saturée. Bien que les exportations d’huile d’olive aient assuré au pays une entrée plus au moins stable des devises, le bilan socioéconomique et nutritionnel de la politique exportatrice laisse un goût amer. D’autant que l’on assiste depuis quelques années, avec l’appui du gouvernement tunisien, à l’extension de l’oléiculture irriguée alors même que les ressources en eau se font de plus en plus rares. 

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