Feux de tout bois
Une fois le feu passé, vient le temps de l’après. Entre érosion, évolution des populations de végétaux, impact du changement climatique, interventions humaines ou bride laissée sur le cou de Dame Nature, le futur des forêts brûlées pose une foule de questions pour le moins complexes… C’est le fil du mercredi 10 septembre 2025.
Photographie : Coustouges (Audes) septembre 2025 © yann kerveno
Quand les fumerolles se dissipent, la forêt brûlée ne ressemble plus, au sens strict du terme, qu’à l’ombre d’elle-même. Un désordre de troncs pathétiques élançant leurs espoirs passés vers le ciel, forcément indifférent. Puis quand vient l’heure de la reconstruction, c’est une forêt de questions qui surgissent dont deux occupent l’espace. Faut-il reboiser artificiellement ? Faut-il laisser la nature faire ? La question ne manque plus de se poser en France après une série d’été particulièrement dense en grands incendies, dont le dernier, survenu dans l’Aude à Ribaute, a marqué les esprits de ceux qui l’ont combattu ou vécu. Alors comment faire ? Dans l’Aude, le contexte de forêt méditerranéenne n’incite pas à la replantation, c’est plutôt l’hypothèse de la régénération naturelle qui est privilégiée, à partir du stock de graines épargnées par les flammes ou par rejet des arbres au pied des souches. Il faut ajouter aussi une question de gros sous. Non loin de Ribaute, le feu a dévasté plus d’un millier d’hectares de forêt dont 700 sur la commune de Monze. C’était en 2019 et, depuis, un seul petit hectare a été replanté, le reste est laissé aux bons soins de Dame nature. Il en coûterait, selon le maire, un million d’euros par centaine d’hectares, donc une facture autour de 7 M€ pour la commune qui compte 243 habitants au pied de l’Alaric.
Il y a pourtant de quoi plaider pour accélérer le mouvement, au moins pour limiter l’érosion. Un tout récent papier revient justement sur cette question et signale que les incendies de forêt sont un des facteurs majeurs de dégradation des sols, avec un cercle vicieux et infernal lié à l’augmentation de la fréquence des feux : la forêt brûle, le sol reste nu le temps que les plantes colonisent de nouveau les espaces brûlés, avant possiblement d’être de nouveau éradiquées par un nouveau passage des flammes… Avec, au fur et à mesure, une réduction de la capacité de régénération des milieux notamment par la réduction du stock de graines. Une étude menée en Australie sur Eucalyptus delegatensis met en évidence le risque fort « d’immaturité », donc de fragilité face au feu, liée au changement climatique et envisage, à terme, une modification de la répartition spatiale de l’espèce. Jusqu’à sa disparition dans certaines zones très vulnérables à ce type d’aléas, zones particulièrement sèches, bords de route…
Aux États-Unis, il y a longtemps qu’on ensemence les parcelles ainsi écorchées, le plus souvent par dispersions des graines de graminées à partir d’avions. Graminées parce que leurs racines sont très efficaces pour infiltrer l’eau dans le sol tout en le maintenant en place. Cela avait été fait dans les années 1970 et l’expérience fut renouvelée il y a une vingtaine d’années après le feu North 25 de 1998, dans l’État de Washington (3 200 hectares détruits). Pour limiter l’effet de l’érosion, 1 160 hectares ont été ainsi ensemencés… Avec des taux de couverture intéressants, un quart des zones traitées atteignant le taux nécessaire, 60 à 70 % de l’espace, au cours de la première saison de croissance et une progression régulière ensuite. De quoi limiter l’exportation de sols qui peut atteindre 110 tonnes par hectare par an en cas de fortes pluies et de pentes suffisantes. Pour éviter de bousculer le biotope indigène, il était alors recommandé de mettre en œuvre des céréales ou des hybrides de graminées stériles pour qu’elles laissent la place à la végétation locale à l’issue de leur cycle. Conclusion des chercheurs, si la technique peut se révéler en partie efficace, elle dépend aussi d’un coup de pouce du destin, en l’occurrence des précipitations qui s’abattent sur la zone dans les semaines et les mois qui suivent les semis… Une étude plus récente, et menée sur un plus long laps de temps, montre par ailleurs que les sols les plus exposés à l’érosion traités par paillage et ensemencement connaissent une modification de l’abondance et de la diversité des plantes vivaces indigènes, parfois sur le long terme.
La question de la régénération, naturelle ou pilotée par l’homme, se pose naturellement aussi dans nos contrées, on se souvient des chamailleries qui ont suivi le grand incendie de Gironde en 2022. Le Portugal, qui souffre chaque année de perdre plus de 100 000 hectares des forêts replante après chaque feu autour de 23 500 hectares, essentiellement des forêts de production, le reste étant laissé aux bons soins de la régénération naturelle. Seul 1,2 % des surfaces, estimation, fait l’objet d’une restauration écologique. Une étude récente résume les difficultés posées par les deux options. Le reboisement avec de jeunes arbres issus de pépinières coûte cher, la disponibilité des plants nécessaires n’est pas forcément assurée, le nombre d’espèce est réduit et le patrimoine génétique des plants « est souvent homogène », pas forcément bien adapté aux conditions locales. La régénération naturelle dépend pour sa part de l’intensité du feu, de l’importance de la banque de graines, de la proximité de zones non parcourues par le feu, de la capacité des plantes indigènes à se relever du traumatisme et de l’activité des disperseurs naturels (vents et animaux)… Sans parler des questions de dormance et de germination induites par les incendies. Pour ceux que le sujet intrigue ou intéresse, il faut lire cette vaste étude qui tente de faire le tour du sujet avec plusieurs espèces dans différentes zones géographiques…
En filigrane, mais c’est un autre sujet, se pose aussi la question du peuplement et des essences dans les forêts de production ou les forêts naturelles. Au Portugal, pays largement exposé aux feux, un mouvement tente de limiter les plantations d’Eucalyptus destinées à l’industrie (papier toilette notamment) qui représente un quart de la superficie occupée par les forêts dans le pays. Le gouvernement a depuis interdit les nouvelles plantations, renforcé les règles de sécurité entourant les parcelles mais n’a pas exigé l’abattage des arbres existants, pris qu’il est entre deux feux, c’est le cas de le dire, le développement durable des zones rurales et le maintien d’une industrie majeure dans le pays…