Chaud patate
Les incendies de Los Angeles nourrissent les polémiques mais éclairent tout autant le défi à venir des villes : se poser la question de leur interface avec la nature pour minimiser le risque de voir les flammes se glisser dans les encoignures les plus secrètes. À toute vitesse. C’est le fil du mercredi 22 janvier 2025.
Photographie : © Archives Yann Kerveno 2015
Ce n’est malheureusement pas la première fois que la Californie est aux prises avec des feux destructeurs. Mais que la ville de Los Angeles soit rongée dans ses abords par les flammes a saisi, le terme est bien choisi, l’opinion. Autrefois cantonnés aux zones naturelles, les feux de forêt s’invitent aujourd’hui jusque dans le tissu urbain. Avec, à la clé, un train de polémiques aussi beau qu’une nuée de canadairs venant écoper la Méditerranée. En plus, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les feux ne sont toujours pas éteints, ni même contenus. Le feu de Palisades a déjà brûlé plus de 10 000 hectares et n’est contenu qu’à 65 % ce mercredi. Sur son chemin meurtrier, il a détruit près de 6 400 bâtiments et tué onze personnes. Non loin de là, le feu d’Eaton est lui contenu à 89 % après avoir tué 17 personnes, détruit 9 400 bâtiments en parcourant environ 7 000 hectares. Et quand on consulte la presse sur le sujet, c’est bien l’image d’un gigantesque chaos qui s’impose, comme si la ville avait basculé dans une autre dimension, infernale à bien des égards. Il y a le feu dans les faubourgs mais aussi dans la société. Les autorités sont contraintes de mettre sur pied des patrouilles anti-pilleurs dans les quartiers évacués parfois depuis deux semaines.
Grande habituée
Et puis, plus de deux semaines après leur éclosion, on ne sait toujours pas pourquoi les feux ont démarré, mais la justice a demandé à l’électricien Southern California Edison de conserver toutes les données, équipements et preuves liée au feu d’Eaton, suite à une mise en cause attribuant l’origine aux installations électriques. Installations électriques qui sont d’ailleurs souvent pointées dans les incendies en Californie. La compagnie Pacific Gas and Electricity (PG-E) a tout récemment réglé une amende de 45 M$ pour sa responsabilité dans le départ du Dixie Fire (2021). Elle a aussi réglé 125 M$ pour le Kincade Fire à Sonoma, plaidé coupable de 85 chefs d’accusations pour le feu de Camp (85 tués) en 2020 et réglé encore 50 M$ pour l’abandon des charges de responsabilité pour le feu Zoog… Un feu d’artifice d’additions !
Fake news brûlantes
Revenons à 2025. Avec ces feux de début d’année, survenant dans une période habituellement tranquille, on a beaucoup entendu parler des pénuries d’eau qui ont frappé la ville de Los Angeles et empêché parfois les pompiers d’aller combattre les flammes. Les rumeurs sont allées bon train, jusqu’aux plus farfelues ou celles instrumentalisées par Donald Trump lui-même. Lequel a accusé le gouverneur de Californie d’avoir cédé aux écologistes et à la protection d’un « poisson inutile » et empêché l’eau « fraîche et pure » de couler à travers la Californie. La désinformation est telle que le gouverneur de l’État, largement mis en cause, a ouvert une page spéciale pour répondre, point par point, à ses détracteurs. Parmi ces derniers, certains l’accusaient d’avoir mis le feu volontairement pour cacher les tunnels secrets des pédophiles (ça ne vous rappelle rien ?), d’autres de préparer des vastes opérations immobilières sur les terres débarrassées de végétation… Et surtout, on lui reproche un manque de pompiers et d’eau… Sauf que, selon le gouverneur, les réservoirs de la région étaient pleins. Et le système d’adduction est conçu pour amener de l’eau dans les foyers et non pour lutter contre des feux de cette ampleur avec des débits importants et une pression suffisante. On n’alimente pas une piscine de Malibu comme une lance à incendie (proverbe californien, circa 2025).
Interface urbain/nature
Mais il faut aussi voir dans la structure même de la région les facteurs aggravant un climat déjà rendu sensible par deux années de sécheresses et la puissance du vent. Les zones ravagées par le feu sont essentiellement des zones résidentielles riches, vastes maisons individuelles (en bois à cause des tremblements de terre) dotées de jardins, avec une végétation abondante pas forcément adaptée et un étalement qui n’a jamais pris en compte les risques liés à l’interface urbain/nature comme l’écrit Cynthia Ghorra-Gobin dans la revue Urbanisme Sans compter le non-respect des obligations de débroussaillement, dont on sait dans le sud de la France combien elles sont essentielles dans la préservation du bâti et des vies humaines. Les conséquences ? Elles sont terribles pour la ville, la faune et la flore et peut-être à long terme pour les populations avec la contamination potentielle de l’eau potable par des produits chimiques cancérigènes. Mais cette catastrophe met aussi en lumière l’équation qu’il faudra maintenant résoudre dans ces interfaces alors que le changement climatique vient augmenter drastiquement le risque d’incendies de ce genre.
5600 vs 100
En Californie, ce sont 1,4 million de maisons qui ont été construites dans ce type de zones résidentielles où s’entremêlent habitat et végétation entre 1990 et 2020… À titre de comparaison, le feu Tubb de 2017 a détruit 5 600 maisons et structures et tué 22 personnes. 53 ans auparavant, un autre incendie avait parcouru exactement la même zone dans les mêmes conditions de rapidité avec pour bilan…une centaine de maison détruites et aucun décès. À 10 000 km de nos régions, les feux de Los Angeles amènent sans le vouloir de l’eau au moulin des zones méditerranéennes et de son agriculture qui réclame un aménagement de la PAC pour que soit pris en compte le rôle majeur de coupe-feu que peuvent jouer les cultures aux abords de villes et villages. Et pour qu’un système de primes permettent de compenser la faible rentabilité des productions dans ces zones de plus en plus sèches. Nous aurions certainement tort de regarder ailleurs même si Mulholland Drive n’a pas été touché et que David Lynch avait peut-être vu juste.