Les échos & le fil visuel invasorisme

Published on 20 mars 2024 |

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Et si les cannibales avaient raison ?

À défaut de “bouffer du curé” comme les cannibales d’autrefois, on peut quand même faire revenir l’envahisseur dans un poêlon. Et contribuer par là même à tenter de maîtriser les populations des espèces invasives. Prêts pour l’Invasivorisme ? C’est le fil du mercredi 20 mars 2024.

Visuel : slurp. © archives Yann Kerveno

LA FIGURE DU CANNIBALE OCCUPE UNE PLACE UN PEU A PART dans nos mythologies occidentales : on ne compte plus les récits de ces missionnaires proprement assaisonnés et bouffés par les autochtones pendant les grandes phases d’évangélisation du Pacifique au XIXe siècle. Et là, vous vous demandez si la revue Sesame, après avoir abondamment couvert les novels foods, va se lancer dans un plaidoyer douteux quitte à transgresser un des interdits majeurs ! Non, là n’est pas le propos. En revanche,  le parallèle est évident avec notre sujet du jour puisqu’il s’agit de « bouffer l’envahisseur ».

ENGLOUTIR L’ENVAHISSEUR. L’exemple le plus récent est celui du crabe bleu, une « saloperie » venue des Caraïbes qui défonce les écosystèmes des lagunes méditerranéennes où il règne en super-prédateur. Arrivé en France voici quelques années, il est aujourd’hui endémique des lagunes espagnoles. Mais il y a un avantage à son désavantage, sa chair est réputée excellente et s’il n’était pas jusque-là au menu des Européens, il est prisé en Asie, aux États-Unis ou encore en Australie. Au point que la restauration a fini par s’en saisir partout où il crée des problèmes. En Tunisie, où il est surnommé « Daesh » (sic), il est même aujourd’hui la base d’une économie en plein développement, en particulier via l’exportation, au point de remplacer en bonne partie la pêche traditionnelle dont les ressources ont été éradiquées par l’arrivée de Callinectes sapidus,  il y a une douzaine d’années. En 2022, il s’est ainsi exporté 8 116 tonnes de crabes bleus pour un chiffre d’affaires d’environ 30 M€.

IRONIE DE CETTE HISTOIRE DE CREATION DESTRUCTRICE que n’aurait pas reniée Schumpeter, les pêcheurs tunisiens de crabes bleus craignent aujourd’hui sa disparition à cause de la… surpêche ! En Espagne, où il a été découvert en 2004, sa consommation est l’outil de la régulation des populations mais il sert aussi de sentinelle, bien malgré lui et en raison de sa place élevée dans la chaîne trophique, pour surveiller la pollution… Et il ne devrait pas tarder à débarquer dans les assiettes italiennes, pays où il menace gravement les palourdes du delta du Po et les spaghettis al vongole ! Bon, cela dit, si le crabe bleu a envahi la Méditerranée, le crabe vert, originaire d’Europe, a lui colonisé avec succès toutes les côtes est et ouest de l’Amérique du nord. Et là-bas aussi il passe à la casserole.

MAINTENANT QUE JE VOUS AI MIS EN APPETIT, on peut entrer dans le vif du sujet. L’ « invasivorisme » propose en effet de mettre dans nos assiettes les espèces envahissantes. C’est une idée « conceptualisée » en 2004 par Joe Roman dans un papier fondateur dans lequel il propose justement de retourner notre appétit vers ces espèces indésirables… Si le papier est passé relativement inaperçu à sa sortie, l’idée a percolé jusqu’à envahir l’esprit d’un chef, Bun Lai, qui concocte dès 2005 un menu uniquement basé sur ces espèces invasives dans son restaurant de sushi. Non sans sarcasme de bon aloi puisque son invitation est ainsi libellée : « Vous, membre de l’espèce de prédateur envahissante la plus destructrice qui soit, dévorerez plus d’une décennie et demie de recettes originales de Miya sur les espèces envahissantes, afin de faire un premier pas vers une alimentation qui contribue à la régénération des écosystèmes. » Le menu a de la gueule et est appétissant, il y cuisine de l’armoise, du poisson-chat, de la méduse boulet de canon, du crabe bleu, de la carpe asiatique, de la rascasse de Floride, de la rhubarbe des marais… Ailleurs et depuis, on peut aussi goûter de l’écureuil au Royaume-Uni et les recettes ne manquent pas de par le monde.

ALORS, ON NE PEUT QUE LOUER L’INTENTION, MAIS COMME SOUVENT LA MEDAILLE a son revers. Rendez la consommation d’une espèce populaire et vous favoriserez son expansion puisqu’il y a de l’argent à gagner. La consommation est une incitation des plus puissantes qui soit, préviennent même les précurseurs de la discipline, ainsi que le relève un passionnant papier de Michael Synder dans Scientific American publié en 2017. Sans compter, raconte-t-il aussi, que parfois ces espèces ont du bon. Tel le sanglier introduit à Hawaï qui permet de nettoyer les sols des herbes qui servent de combustibles aux incendies. Il serait toutefois insensé de mettre dans nos assiettes tous les espoirs de restauration (vous l’avez ?) des écosystèmes comme l’explique Joe Roman « L’invasivorisme ne sauvera pas la planète et ne résoudra pas tous nos problèmes. C’est un outil dans la boîte à outils. Mais il faut être prudent ». Et ce qui est valable pour les animaux l’est aussi pour les plantes… Alors si vous avez un petit creux et envie d’allier aventure gastronomique et petit geste pour la préservation de la planète, vous pouvez vous appuyer sur le site eattheinvaders et ses idées recettes. ! Bon app’ !

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