Publié le 7 mars 2024 |
0Emballé c’est pesé ! (Ou pas)
« Vous m’en mettrez deux barquettes ! » Et bien non. Loi Agec et PPWR veulent bannir les barquettes en plastiques pour les remplacer par des emballages sans plastiques et plus durables. Mais quand on regarde derrière les étiquettes… C’est le fil du mercredi 6 mars 2024.
Le paradoxe de la barquette
En effet, à première vue, que l’on bannisse le plastique dont elles sont faites, est une bonne nouvelle, elle a, comme toute médaille, a un revers plus compliqué. Si la barquette en plastique qui permet de conditionner les fruits est un jour bannie, c’est à cause de la loi AGEC. Loi qui fait couler de l’encre parce qu’elle est un casse-tête sans nom. Vous allez comprendre mais il va falloir être un peu attentif.
Flash-back : La loi AGEC, acronyme pour Anti-Gaspillage pour une Economie Circulaire a été promulguée en 2020 pour servir de cadre au déploiement de l’économie circulaire en France : le recyclage, la réparation, la revente d’occasion, l’écoconception… Elle compte 130 articles qui échelonnent l’entrée en vigueur des nouvelles règles de 2021 à 2040. Depuis le premier janvier 2024, ces nouvelles règles touchent les emballages de fruits et légumes, au grand dam des producteurs qui protestent, arguments à l’appui depuis des mois. En 2023, à la première entrée en vigueur de la loi, ils ont même porté l’affaire devant le Conseil d’État qui leur a donné raison et contraint le gouvernement à revoir la copie de son décret d’application. L’État s’est donc fendu d’un nouveau décret l’été dernier, décret lui-même retoqué par la commission européenne en décembre 2023, quinze jours avant son entrée en vigueur…
La France n’a pas respecté la procédure, les professionnels protestent
Ça fait désordre, mais la Commission indique que la France n’a pas respecté la procédure comme indiqué à l’article 6 de la directive 2015/1535. Sans compter que l’Union européenne travaillait elle-même à l’élaboration d’un texte sur le sujet, texte connu sous l’acronyme PPWR qui vient tout juste de sortir du trilogue, instance finale des institutions européennes chargée de faire la synthèse entre les propositions de la Commission, du Conseil des ministres et celles du Parlement européen. Mais ne nous égarons pas dans les arcanes de l’Union et revenons en rayon, aux fruits et légumes. Et à la loi AGEC qui prévoit que le plastique est désormais proscrit pour les unités de vente consommateurs inférieures à 1,5 kg. Et c’est là que cela se complique.
Les professionnels des fruits et légumes protestent depuis qu’ils ont eu vent du contenu de la loi comme le faisait Bruno Vila, vice-président de Les producteurs de légumes de France et patron de Rougeline en 2021, arguant que les fruits et légumes ne représentent que 1,5 % de la consommation des emballages plastiques et que 50 % des produits sont déjà vendus en vrac. D’autres arguments portent peut-être plus et sont répétés en boucle pour les filières françaises mais aussi européennes puisque PPWR est largement inspiré d’AGEC.
Le fait que les plastiques utilisés par les fruits et légumes sont déjà produits en plastiques recyclés (RPET) et qu’ils ne rajoutent donc pas de plastiques supplémentaires. Le fait que le coût des produits de substitution est deux à trois fois plus élevé, qu’il existe des problèmes de disponibilité de ces produits (barquettes en carton, films biosourcés), qu’ils sont moins adaptés à embarquer des fruits et légumes et surtout à les protéger (ils absorbent l’humidité), qu’il faut parfois changer les machines sur les lignes de conditionnement, qu’ils occasionnent des pertes de productivité… Est aussi posée la question de la durabilité de la production de carton ou de filets en coton destinés à remplacer les plastiques. Ce sont les fondements scientifiques de la loi qui sont parfois mis en cause. N’en jetez plus.
Et ailleurs ?
Il y a le cas canadien et cette étude « dévastatrice » menée, à dessein, par l’association Canadian Produce Marketing, en l’absence d’études conduites par le gouvernement d’un pays qui s’est aussi engagé dans la voie du bannissement du plastique dans l’alimentation. Cette étude estime que l’abandon du plastique va faire augmenter les prix des produits alimentaires de 34 %, en diminuer la disponibilité par deux, faire augmenter le gaspillage de plus de 50 % parce que les produits se conserveront moins bien… Alors bien entendu, les producteurs de fruits et légumes ne sont pas les seuls à protester. Les exceptions accordées à certains fruits ou légumes, fragiles ou cueillis mûrs, font s’étrangler les promoteurs du zéro plastique ou les associations de consommateurs qui regrettent le « manque d’ambition du gouvernement français » sur la question.
En attendant, la bagarre est loin d’être terminée. Des juristes, convoqués sur le sujet par les fabricants d’emballages, estiment que les futures règles européennes sont peut-être « incompatibles » avec la législation communautaire… Mais à quelques semaines du début de la campagne, le casse-tête est total dans les stations de conditionnement de fruits à noyau par exemple. Devant le congrès de la fédération nationale des producteurs de fruits tenu tout récemment à Perpignan, Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, interpellé par Bruno Darnaud, président de l’AOP Pêches Nectarines de France, avait exclu d’abroger le décret en question, tout en promettant de « sécuriser les entreprises… »