Elle est là Xylella
Xylella fastidiosa pourrait bien être le phylloxéra du XXIe siècle en Europe. Avec une différence majeure, sa gourmandise avérée pour un grand spectre du monde végétal. Et elle est déjà chez nous… C’est le fil du mercredi 26 novembre 2025.
Photographie : © archives Yann Kerveno
Le nématode du pin a beaucoup fait parler ces dernières semaines après sa découverte dans la forêt landaise du côté de Seignosse. Mais ce n’est pas le seul désastre qui frappe à nos portes pour le monde végétal, Xylella fastidiosa concourt également au championnat du monde des calamités. Cette bactérie, on devrait plutôt d’ailleurs parler de famille de bactéries, provoque d’immenses dégâts en Italie dans les vergers d’olivier des Pouilles. Mais on connaît plus de 600 espèces végétales appartenant à 80 familles botaniques dont se régalent ses différents avatars, chacun d’eux étant plus ou moins délétère pour leur cible. Elle est endémique sur le continent américain où elle provoque la maladie de Pierce sur la vigne et a été détectée pour la première fois en Europe du sud, dans les Pouilles dont nous parlions, voici 12 ans déjà. Depuis, elle a été également repérée chez nous en France, en Espagne et jusqu’au Portugal. Vous avez au bout de ce lien la carte de la présence de la bactérie en France mise à jour par l’Anses le 17 novembre dernier. Et le suivi zone par zone par l’Union européenne. La bactérie est transmise d’un végétal à un autre par les insectes piqueurs – suceurs qui se nourrissent de sève. La liste des vecteurs potentielle est longue comme un jour sans pain.
Quatre puis neuf
Xylella fastidiosa, de la famille des Xanthomonadaceae, compte en outre quatre sous-espèces, fastidiosa fastidiosa qui prospère sur la vigne, les amandiers et le caféier, fastidiosa multiplex qui attaque également les amandiers mais aussi le genre Prunus et d’autres espèces de feuillus ; fastidiosa pauca, plus attirée par les agrumes mais que l’on retrouve aussi sur les oliviers, le romarin, le laurier-rose. Ces quatre sous-espèces sont flanquées, sinon ce ne serait pas drôle, de neuf souches (fastidiosa ST1 et ST2, multiplex ST6, ST7, ST81 et ST87, pauca ST53, ST80, sandyi ST76). Et comment ça marche ? Une fois dans sa future victime, la bactérie se développe dans le xylème (un tissu conducteur qui transporte l’eau et les nutriments dans les plantes) jusqu’à en obstruer les vaisseaux et bloquer le flux de sève ascendante un peu à la manière d’une embolie. Et comme si le tableau n’était pas assez compliqué comme ça, les signes cliniques sont « peu spécifiques » et vont des flétrissements aux brûlures foliaires en passant par le dessèchement des rameaux, du nanisme ou encore des défauts d’aoûtement (quand les rameaux de l’année s’endurcissent) qui peuvent avoir d’autres origines que la bactérie, comme les carences métaboliques ou le stress hydrique. Tout cela pour dire que des plantes sans symptômes peuvent être contaminées et que l’inverse est tout aussi vrai.
Cultivars fragiles
C’est fastidiosa pauca (notamment la très virulente souche ST53) qui défonce les vergers d’oliviers italiens depuis 2013 et occupe aujourd’hui une surface de 8 000 kilomètres carrés, avec trois vecteurs principaux repérés, les insectes Philaenus spumarius (cercope des prés), Philaenus italosignus et Neophilaenus campestris. Et quand on dit défoncer, ce n’est pas pour un effet de style. Demandez à votre moteur de recherche de vous dégoter des photos de vergers d’oliviers touchés, vous verrez, c’est comme si la sécheresse avait duré des décennies. La propagation de la bactérie a bénéficié de facteurs grandement encourageants. À savoir, la présence quasi exclusive dans les vergers de deux cultivars traditionnels des Pouilles (Ogliarola Salentina et Cellina di Nardò) particulièrement vulnérables au micro-organisme, et des conditions climatiques favorables à la fois au cycle de la bactérie et à celui des vecteurs… En 13 ans, le microbe a ainsi gagné 150 kilomètres vers le nord en provoquant la mort de 10 millions d’arbres et en a infecté 21 millions. De nouveaux foyers ont été découverts l’an passé, en 2024, au-delà de la limite constatée de contamination dans la province de Bari. Deux foyers impliquant en plus deux nouvelles souches, fastidiosa fastidiosa (génotype ST1 responsable de la maladie de Pierce dans les vignes) et multiplex (génotype ST26) sur le plateau des Murges. Et elle a encore fait un bond vers le nord cette année. En France c’est principalement multiplex (ST6 et ST7) qui est présente à l’exception d’une foyer de pauca à Menton.
Le tiroir-caisse
Compter en arbres, c’est bien, mais une fois que c’est traduit en euros on comprend mieux, si nécessaire, le risque encouru. Une étude du Joint Research Center et de l’EFSA, publiée en 2019 lors de la conférence européenne sur Xylella, a chiffré les pertes potentielles d’un scénario où la bactérie se répandrait partout. L’Italie et l’Espagne enregistreraient des pertes de production (en grande majorité en huile d’olive 90 % et agrumes 7 %) de 40 % et la Grèce de 16 %. Soit un manque à gagner moyen de 5,5 milliards d’euros par an. Quand, c’est l’objet de la démonstration des chercheurs pour motiver les financeurs (l’Union européenne), le coût de la surveillance qui permet de contenir l’extension de la bactérie atteignait à peine 5 millions d’euros. Et là, il n’est question que d’argent, or c’est aussi, ont-ils calculé, près de 300 000 emplois concernés, 70 productions agricoles couvertes par des signes de qualités exposées, tout comme plus de 18 plantes faisant partie de sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité…
Réviser les critères ?
Les producteurs d’olive italiens ne sont pas restés les bras croisés et les travaux de prévention menés depuis l’apparition de la bactérie ont permis, avec le temps, de ralentir la course vers le nord. Le remède est radical : labour des sols pour tenter de contrôler les stades juvéniles des vecteurs, traitement chimique d’avril à octobre pour tenter de contrôler les vols et les générations, arrachage et destruction de tout arbre dans un rayon de 50 mètres autour d’un arbre infecté. Ces progrès sont aussi à mettre au crédit de quatre cultivars tolérants dont la plantation a été autorisée par les autorités italiennes. Pour autant, et c’est là que le sujet devient intéressant parce qu’il recoupe en gros toutes les problématiques des maladies émergentes, les producteurs italiens demandent maintenant une révision des critères appliqués, puisqu’en 13 ans, la connaissance de la bactérie et les millions de contrôles réalisés permettent d’envisager la bactérie autrement. Par exemple, que soit réétudiée l’obligation d’arrachage des oliviers touchés par la souche multiplex alors qu’il n’est pas prouvé, selon les producteurs, qu’elle concerne les oliviers, indique par exemple le pépiniériste italien Agromillora au terme d’une longue synthèse.
Allez hop, au tribunal
Une demande qui fait suite aux controverses surgies ces dernières années sur la responsabilité de Xylella dans la mortalité des oliviers. Controverses nées notamment de l’abattage d’oliviers patrimoniaux et qui ont donné lieu à plusieurs actions en justice à l’initiative du très actif Comitato Ulivivo. Les organisations plaignantes dénoncent « L’opération Xylella », c’est-à-dire la « destruction d’un habitat entier constitué par la forêt d’oliviers du Salento ; l’utilisation de faux idéologiques et matériels, l’escroquerie, l’alerte injustifiée, la perception indue de fonds publics… ». Autant de délits présumés consignés par la police judiciaire dans un dossier de 7 000 pages appelé au tribunal le 28 octobre dernier. La justice n’a pas, pour l’instant, fait part de sa décision quant à la poursuite des poursuites mais le consensus international reste lui campé sur ses positions : c’est bien Xylella ST53 qui est responsable du déclin rapide des arbres…
