Publié le 26 novembre 2019 |
0Droits et personnalité juridique des animaux : pour une Déclaration des Droits (2/3)
Par Anne Judas, revue Sesame
Le 22 octobre 2019, la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) organisait le colloque « Droits et personnalité juridique de l’animal à l’Institut de France » (voir ici). Deux tables rondes y réunissaient des juristes, dont Robert Badinter, et une philosophe, Florence Burgat, directrice de recherche à l’INRA. C’était passionnant.
Il pourrait sembler bien naturel à l’homme héritier des Lumières que les animaux, en tant qu’êtres vivants et doués de sensibilité, aient le droit de vivre et de ne pas souffrir inutilement (voir l’intervention de Florence Burgat ici). Mais faire entrer ces droits dans le droit positif, c’est-à-dire l’ensemble des lois qui peuvent s’appliquer à leurs cas, c’est bien autre chose, tant le droit peut comporter de contradictions. D’où le débat entre les juristes qui se tint ce jour-là.
Les droits de l’animal, un devoir de l’homme
Par humanité, l’homme doit à l’animal une amélioration de sa condition. Voilà comment Louis Schweitzer, président de la LFDA et ancien président du comité d’éthique de l’INRA, pose son introduction. C’est pourquoi la Fondation défend la nécessité d’une Déclaration des Droits de l’animal (texte ici).
« La déclaration des droits de l’animal a été rédigée en des termes de droit positifs juridiquement valides et effectivement applicables afin d’être adoptée telle quelle par les législateurs. Elle constitue une liste de principes en cohérence parfaite avec l’opinion très majoritaire des citoyens de notre pays. Il reste à convaincre les élus de la nation de suivre l’avis majoritaire en ce qui concerne les animaux. »
Une déclaration des droits ̶ et des questions
Pour Jean-Paul Costa, professeur de droit qui a présidé la Cour européenne des Droits de l’Homme, il existe une convergence entre les droits de l’Homme et les droits de l’animal, ainsi que des conflits possibles1, du moins tant que toute la planète n’est pas végétarienne.
Ces droits différents ont des fondements communs : le respect dû à l’être sensible, la notion de souffrance à éviter…
Une Déclaration des Droits de l’Animal aurait donc, comme celle des Droits de l’Homme en 1948, une valeur si ce n’est universelle, du moins symbolique, solennelle, politique et morale. Ces droits politiques entraînent ensuite une mécanique « quasi-juridictionnelle », des conventions et des chartes… Les déclarations ont un effet d’encadrement et d’entraînement. Elles sont un levier pour le législateur.
Reste une question difficile : quels animaux ont ces droits ? Qui sont ces êtres sensibles dont parlent les articles 515-14 de notre Code civil2 ou l’article 13 du traité de Lisbonne sans les définir ? Les scientifiques sont-ils unanimes sur les espèces sensibles, conscientes ? Ces frontières (nécessaires pour le juriste) sont discutées.
Du droit de tuer les moustiques et du droit des moustiques à vivre
Olivier Duhamel (professeur de droit à Sciences Po) a porté non sans malice les questions du Candide. N’a-t-on pas mieux à faire que de s’occuper du droit des animaux ? Eh bien, pour Jean-Paul Costa, en droit on peut tout à fait avancer sur deux fronts. N’est-on pas arrêté par « l’incapacité » animale en droit ? Eh bien non, des individus ont des droits sans capacité. Ne va-t-on pas glisser vers un « extrême droit » de l’animal, cette crainte devant nous retenir de lui en donner ? Eh bien non, faisons confiance à la sagesse du législateur. Quid des animaux non-sensibles ? Eh bien la notion de frontière dans la sensibilité évolue avec les progrès de la science, et qu’il y ait ou non sensibilité de l’animal, toute cruauté est à bannir. Mais alors, quid de notre droit humain à chasser voire éradiquer les moustiques, et à chasser d’autres bêtes, tout court ? A expérimenter sur l’animal pour éradiquer une maladie ? Réponse : toute cruauté est à bannir.
Enfin, vouloir instituer une telle déclaration ne participe-t-il pas d’une certaine frénésie normative ? L’éthique n’y suffirait-elle pas et en particulier, des devoirs éthiques de l’Homme envers les êtres vivants ?
A cela Jean-Paul Costa a répondu que la Déclaration, outil pédagogique et outil d’entraînement pour les consciences, portait une charge symbolique et oui bien sûr, incluait aussi des devoirs pour l’être humain puisque l’institution de droits institue pour l’Etat une responsabilité, celle de garantir ces droits, donc d’empêcher et de punir leur violation.
Louis Schweitzer a quant à lui fait remarquer qu’émanant d’un constitutionnaliste, ces critiques ne portaient pas sur le texte lui-même. Donc le texte de la Déclaration « passe », en a-t-il conclu avec satisfaction.
Des droits pour quels animaux ?
Un biologiste est revenu sur la question de ce que veut dire « sensible » pour un animal. Scientifiquement il a existé le concept d’irritabilité, a fait remarquer Florence Burgat. Il existe les notions de nociception (sensibilité nerveuse à la douleur), de conscience3, et aujourd’hui de sentience4. La définition par les scientifiques de la sensibilité des animaux, de ses frontières, ne cesse donc de s’élargir, et de s’étendre à de plus en plus d’animaux au fil des ans, c’est un fait. Aujourd’hui tous les vertébrés entrent dans cette définition, mais cela reste à clarifier pour les poulpes et pour bien d’autres.
Louis Schweitzer a alors précisé que des articles de cette Déclaration s’appliquent à tous les animaux, d’autres à des groupes (animaux détenus par l’homme, animaux sensibles, êtres vivants).
Conflits de droits, et de valeurs
A la question « n’est-il pas paradoxal de donner plus de droits quand pullulent les dérogations ?», J.P. Costa a répondu que les juges, en cas de conflit de droits, tranchaient en mettant en balance des valeurs, comme, dans le cas de l’abattage rituel, l’intérêt de l’animal vs. la croyance religieuse.
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- Par exemple dans le cas de l’abattage rituel, voir le colloque de l’OABA dans Sesame ici
- En France, l’article 515-14 du Code civil, créé par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, dispose : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »
- voir l’interview de Pierre Le Neindre dans Sesame ici
- Selon le Larousse 2020 : pour un être vivant, capacité à ressentir les émotions, la douleur, le bien-être, etc. et à percevoir de façon subjective son environnement et ses expériences de vie