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Bruits de fond

Publié le 17 janvier 2019 |

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Des touristes et des clones

Par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue.

« Les gens, les personnes qui ont besoin d’autres personnes, sont les gens les plus chanceux dans le monde », chantait Barbra Streisand dans Funny Girl, comédie musicale des années 60. Ce n’est pas très original. Platon avait déjà exprimé cette idée dans le mythe de l’androgyne (Le Banquet. Apologie de Socrate, Les Belles Lettres, 2014). À l’aube de notre histoire, les humains étaient complets. Tous ronds et tous beaux, ils avaient deux visages, quatre mains, quatre jambes, etc. Ils étaient tellement fiers de leur complétude qu’ils osèrent défier les dieux. Ceux-ci, pour les punir, les coupèrent en deux comme des poires. Depuis ce jour, chaque moitié cherche compulsivement son autre moitié. Morale : pour retrouver l’unité et le bonheur des origines, comme le rappelle Barbra Streisand, chaque personne « Need People ». Cependant, malgré son hymne à la complémentarité, pour reproduire sa chienne disparue en 2017, la chanteuse a choisi le clonage. Pas besoin d’autres moitiés, dans le cas de Samantha. « C’est qu’elle l’aimait beaucoup », souligne la presse, comme pour justifier cet acte à la fois insolite et très coûteux (environ 100 000 euros). 

Tourisme et clonage

Mais pourquoi s’excuser, finalement ? On bouture bien les végétaux, pourquoi ne pas bouturer les animaux ? En janvier 2018, la revue « Futures » a publié une étude sur les bienfaits virtuels du clonage en matière de tourisme. On y découvre que cette technique appliquée à des animaux rares aurait des effets positifs sur les plans culinaire (chez les restaurateurs cela faciliterait l’approvisionnement de la salamandre géante par exemple, de la tortue verte ou de la chèvre markhor), cynégétique (on pourrait continuer à chasser l’oryx et le nyala sans craindre les ruptures de stock) et récréatif (convoyés dans les parcs nationaux, les adeptes du safari-photo pourraient avoir accès à toutes sortes d’animaux en voie de disparition ou déjà disparus)1.

Et l’aura ? 

On peut néanmoins s’interroger sur les effets collatéraux du clonage animal. Un premier doute concerne le statut symbolique des « copies conformes » ainsi obtenues. Dans son célèbre essai, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Walter Benjamin déplorait la perte d’« aura » à laquelle sont soumises les œuvres en série. C’est le sentiment que nous éprouvons chez le pépiniériste lorsque, en choisissant « notre » cactus, nous découvrons que tous les cactus sont parfaitement identiques. D’autres perplexités peuvent surgir à la lecture de ces quelques lignes de Wikipédia consacrées au bouturage : « Tous les végétaux à reproduction sexuée bouturés sur de nombreuses générations perdent progressivement leurs facultés reproductrices sexuées (devenue accessoire) générant de moins en moins de dépenses dans cette direction […] ». 

Si on regarde bien

Pour les animaux c’est peut-être autre chose. Avec un peu de chance, les écotouristes particulièrement intéressés par les manifestations intimes de la vie animale (les « écovoyeurs », pour ainsi les appeler) auront encore le plaisir d’assister aux prouesses du lapin de garenne, aux accouplements stéréophoniques du cerf, aux câlins languides du lion de mer. Mais puisqu’il s’agira de l’accouplement de deux clones, à savoir du même avec le même, il faudra établir dans quelle catégorie ranger ces étreintes d’un nouveau genre : narcissisme ? inceste ? autoérotisme ? 


  1. Source : Madeleine Lesage, « Le clonage des animaux, un soutien pour le tourisme en 2070 ? » Veille, Centre d’études et de prospective, 12 mars 2018. http://veilleagri.hautetfort.com/archive/2018/03/12/le-clonage-des-animaux-un-soutien-pour-le-tourisme-en-2070%C2%A0-6034425.html

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