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Quel heurt est-il ?

Publié le 29 octobre 2020 |

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[Covid-19, sciences en société] Un débat pathétique

Pour Marylin Maeso, philosophe attentive aux évolutions du débat public, l’indignation, amplifiée par la caisse de résonance des réseaux sociaux, a pris le pas sur la réflexion, le pathos sur le logos.

L’indignation constitue un élément marquant de notre époque. Combinée à la mécanique des réseaux sociaux et des médias, elle facilite le développement de polémiques vaines et empêche tout échange constructif. Ainsi, les sujets de fond disparaissent au profit de la mise en scène tonitruante de la conscience scandalisée, mise en scène qui devient par ailleurs une fin en soi. L’important n’est pas ce que l’on dit mais le fait qu’on s’en indigne et qu’on le fasse publiquement.[…]
Dans les débats, on a de plus en plus tendance à privilégier le pathos sur le logos. En lieu et place d’une discussion sur les idées ou les faits qui peuvent être universellement constatés, on va faire appel aux émotions. En rhétorique, cela correspond à un procédé littéraire appelé captatio benevolentiae, que l’on pourrait littéralement traduire par « captation de la bienveillance ». Elle consiste à convoquer une image propre à émouvoir le lecteur, à le marquer immédiatement là où l’argumentaire, et donc l’intellect, implique une prise de distance. Prenons le cas du professeur Raoult. Je ne discuterai pas du fond du débat, à savoir la pertinence du recours à l’hydroxychloroquine – ce n’est pas mon domaine. Intéressons-nous plutôt à la rhétorique déployée. D’un point de vue scientifique, celle-ci pose problème car elle fait appel à l’émotion, avec des accents populistes : « Faites un sondage et vous verrez que les gens pensent comme moi », a-t-il déclaré. Ce n’est pas parce que quelqu’un qui n’a pas fait médecine est d’accord avec vous que vous avez forcément raison ! Il y a, dans la rhétorique de Raoult, des élans de pathos (« Regardez tous ces gens que je soigne, comment pouvez-vous être contre ça ? ») doublés d’un appel au « bon sens ». Le « bon sens » c’est l’intuition cueillie au doigt mouillé qui se fait passer pour la quintessence de la raison. C’est l’idée que, sans avoir à réfléchir ou à argumenter, tout le monde sait que telle chose est vraie. Néanmoins, ce qui est évident pour l’un ne l’est pas pour l’autre ; ce qui est évident à une époque ne l’est pas à une autre, etc. L’évidence n’est jamais donnée : elle est construite.
Ajoutez à cette équation le contexte actuel d’hypercommunication et vous voyez les possibilités de l’indignation et de son expression se démultiplier. Nul temps de débattre quand les occasions de s’indigner sont légion et quand la réaction affective l’emporte sur le recul réflexif.

Pour aller plus loin, lire l’interview in extenso publiée sur le site de la Mission Agrobiosciences – INRAE : « Aujourd’hui, les moyens pour éviter le débat sont mille fois plus nombreux que ceux permettant qu’il ait lieu. »

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