Bruits de fond

Published on 14 juin 2022 |

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Dans les forêts mexicaines, l’effet papillon

Par Margarita C. Escobar Sandoval1

Au Mexique, le séjour des papillons Monarque (Danaus plexippus) revêt une signification profonde. C’est en effet par millions qu’ils voyagent près de deux mois, depuis le sud du Canada et les États-Unis vers leurs sites d’hivernage dans le centre du pays, dans les États du Michoacán, de México et plus récemment de Guanajuato. Selon les traditions culturelles et mystiques, les Monarque sont les esprits des êtres chers qui reviennent rendre visite à leurs proches à l’occasion du Jour des morts. Chaque année, ils sont présents en grand nombre les 1er et 2 novembre exactement, une visite aussi précise qu’une horloge.

Là, jusqu’en mars, ils se concentrent en haute montagne entre 2 400 et 3 600 mètres d’altitude, où les températures clémentes oscillent entre 0 et 15 °C. Sur les pentes boisées, accrochées au feuillage des Oyamel (Abies religiosa) les grappes qu’ils forment submergent les arbres. 

Extinction en cours ?

Malheureusement, au cours des vingt-cinq dernières années, le nombre de Monarque hibernant au Mexique a considérablement diminué, faisant craindre l’arrêt des migrations et l’extinction de l’espèce. Les raisons ? L’exploitation légale et illégale du bois, la déforestation, l’utilisation massive d’insecticides et d’herbicides, sans oublier le changement climatique. Car, paradoxalement, le réchauffement global perturbe leur capacité à migrer depuis leurs sites de reproduction, dans la partie nord-américaine, et l’augmentation des précipitations diminue leurs capacités à supporter les périodes les plus froides. En outre, les plantes de la famille des asclépiades dont se nourrissent les chenilles voient leur phénologie et leur distribution affectées, ce qui réduit leur survie, perturbe la croissance des larves et affaiblit la fécondité des Monarque.

Face à cet enjeu et au regard de la formidable migration du Monarque, c’est toute une chaîne de coopération qui doit se mettre en place, depuis les pays nord-américains jusqu’à nos montagnes. Pour protéger ses différents habitats au long de son parcours, des liens étroits sont ainsi tissés entre des associations, des communautés indigènes et locales et des organisations de conservation. Au Canada, où il est déjà officiellement une espèce en voie de disparition, l’ONG Conservation de la Nature Canada (CNC) restaure l’habitat du papillon par des semis et des plantations d’asclépiades.

Zones de protection

Aux États-Unis, s’il est un peu moins menacé, des organisations interviennent toutefois dans le Midwest et le Nord-Est. Dans l’Ouest, l’association des agences de protection de la vie sauvage (WAFWA) élabore un plan de conservation. Partout, des bénévoles enthousiastes aident à sa reproduction et le relâchent. Au Mexique, il s’agit de contrôler l’utilisation des terres et de développer des pratiques sylvicoles et de gestion forestière plus favorables. C’est ainsi que des accords ont été conclus pour lutter contre la dégradation de son écosystème, assurer un suivi des populations, reboiser et conserver les pins et le sapin Oyamel. Des zones de protection ont été créées par décret présidentiel en 1980, 1986 et 2001. Enfin, en 2000, le WWF et le Fonds mexicain pour la conservation de la nature ont créé le Fonds pour le Monarque. 

Enfin, signalons les récentes expérimentations des scientifiques mexicains pour sélectionner de nouveaux arbres d’altitudes basses et intermédiaires ainsi que pour tester des migrations assistées vers des altitudes plus hautes afin de pallier le réchauffement affectant les conditions de survie et de croissance des fameux lépidoptères. Toutes ces mesures suffiront-elles à freiner la détérioration de l’habitat du Monarque ou seront-elles rattrapées par le changement climatique ? Pourrons-nous encore admirer ce papillon qui semble fleurir les montagnes du Mexique ?

  1. docteure en sciences forestières, Tapachula, Chiapas

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