Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Croiser le faire

Publié le 5 février 2020 |

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Climat et agriculture : changer vite. Oui mais.

Entretiens avec Jean-François Soussana1 et Thierry Caquet2. Où l’on se rend compte de l’ampleur des virages à prendre et de l’urgence de les prendre.

Jean-François Soussana : « La question brûlante, c’est la course de vitesse »

« C’est la course de vitesse entre l’agenda des solutions qu’on commence à connaître et leur adoption qui reste le facteur limitant. » Photo Yann Kerveno

Si nous ne faisons rien, vers quel type de situation nous dirigeons-nous ?

On peut la décrire de la manière suivante : si nous étions 10 milliards sur terre avec des modes de consommation de type occidental, non seulement nous serions dans une impasse sur les émissions de CO2 mais aussi clairement dans une impasse pour la sécurité alimentaire mondiale dans ses liens avec le climat, la biodiversité et la dégradation des terres… Pour décarboner le secteur énergétique, il nous faudrait avoir recours à grande échelle aux bioénergies, tout en étant contraints d’augmenter les superficies consacrées à l’agriculture pour satisfaire une consommation alimentaire déséquilibrée sur le plan nutritionnel et incluant une part importante de gaspillage. Avec, pour corollaire, le renforcement de ce que nous observons déjà, à savoir la déforestation tropicale, la dégradation des terres et la désertification. Nous aurions mis le pied dans un cercle vicieux où, pour satisfaire des besoins, on accentuerait les émissions de gaz à effet de serre, la perte de biodiversité, la dégradation des terres et nous serions pratiquement dans l’incapacité d’assurer la sécurité alimentaire mondiale. 

Ce n’est guère réjouissant…

C’est un scénario qui ne semble pas impossible parce que c’est le scénario tendanciel. D’ailleurs, les modèles numériques ne convergent pas pour assurer de manière durable la sécurité alimentaire mondiale en 2050 à 10 milliards tout en stabilisant le climat dans la limite de 1,5 °C de réchauffement global. Le rapport spécial du Giec sur le secteur des terres, adopté en août 2019, a permis de montrer que nous avions devant nous une palette d’options cohérentes, des méthodes de gestion durable des terres mais qui ne porteront leurs fruits qu’à condition de provoquer également des changements dans les chaînes de valeurs y compris dans les modes de consommation. Je pense à la réduction des pertes et des gaspillages alimentaires, à l’évolution des régimes alimentaires qui doivent se rapprocher des recommandations nutritionnelles de l’OMS. Face à ces risques, la communauté internationale da trouvé un accord sur les objectifs du développement durable, mais nous sommes très loin des cibles de l’Agenda 2030 voté en 2015, et il semble probable que nous ne les atteindrons pas. Nous travaillons déjà dans le cadre du GIEC sur les cibles 2050, année considérée comme la période charnière où nous serons dans l’impasse si nous restons sur les tendances actuelles.

Comment faire ?

Pour ce qui relève de la gestion durable des terres, il s’agit de l’agroécologie, de la protection et la restauration des forêts, de la protection des sols… Il ne s’agit donc pas tant de développer des technologies radicalement nouvelles – même si on a besoin de technologie pour l’augmentation des rendements, qui est indispensable – que d’avoir un cadre organisé de transformation. C’est un nexus3 nutrition, santé, agriculture et environnement, un ensemble qui doit bouger en même temps. Ce constat, tout le monde le comprend, il y a consensus entre tous les États. La question brûlante, c’est la course de vitesse entre l’agenda des solutions qu’on commence à connaître et leur adoption qui reste le facteur limitant.

Le contexte politique, en particulier aux États-Unis et au Brésil, ne semble pas aller dans le bon sens…

Nous sommes en effet confrontés à des risques importants de montée en puissance du déni, ce qu’on appelle le post-truth aux États-Unis, qui conduit à ne plus vouloir regarder les faits, à faire l’autruche… C’est un risque très sérieux, c’est présent, mais en même temps je veux témoigner de ce que l’ensemble des délégations  présentes, cet été, pour la plénière d’adoption du rapport du Giec sur les sols rassemblaient des gens très compétents. Au niveau technique, les administrations des différents pays partagent le diagnostic et aussi les solutions dans les grandes lignes, même s’il y a des points de crispation comme les bioénergies.

Au fond, il y a des affichages politiques, des postures, mais je ne pense pas qu’il y ait vraiment d’oubli de ces problèmes par les administrations de ces grands pays. La recherche peut justement être l’un des accélérateurs nécessaires pour ne pas prendre trop de retard.


Thierry Caquet : « De maximiser à stabiliser »

« On ne vise plus l’immédiateté mais le moyen terme, on cherche à s’insérer dans un schéma où c’est le système de production qui doit s’adapter. » Photo Yann Kerveno

L’agriculture a toujours été sous la contrainte de la météo, qu’est-ce qui change aujourd’hui ?

Jusqu’ici les agriculteurs ont toujours su s’accommoder des fluctuations de la météo en déployant des stratégies d’adaptation incrémentales, des savoir-faire rtransmis par la tradition, par l’apprentissage. On a cherché le phénotype, le cultivar, l’espèce ou la race qui donnent la meilleure production dans un environnement largement contrôlé avec des intrants. Ce qui change, aujourd’hui, c’est qu’on est aux limites de ce système de contrôle par les intrants. La variété « élite », qui donne les meilleurs rendements, n’est pas forcément la meilleure dans une année anormale du point de vue météorologique.

Si les limites sont atteintes, il faut donc évoluer vers autre chose ?

Aujourd’hui, sans abandonner les adaptations tactiques, on doit glisser progressivement vers une adaptation stratégique. Les années ne sont pas forcément « anormales », mais elles sont de plus en plus différentes les unes des autres. Il est difficile de dire à coup sûr que telle variété en particulier sera performante. On doit repenser la manière de faire de l’agriculture pour éviter de placer tous ses œufs dans le même panier… C’est ce à quoi l’Inra s’emploie : on ne vise plus l’immédiateté mais le moyen terme, on cherche à s’insérer dans un schéma où c’est le système de production qui doit s’adapter.

S’adapter ou se transformer ?

La troisième étape qui peut s’imposer très rapidement,  c’est la transformation. Cela peut vouloir dire délocaliser des productions, planter de nouvelles espèces, en abandonner d’autres. Mais cette transformation ne peut fonctionner que s’il y a l’organisation d’une chaîne de valeurs derrière, c’est-à-dire l’émergence de nouvelles filières, de nouveaux produits alimentaires, de nouveaux débouchés et, peut-être, l’abandon de certains autres. C’est une transformation qui peut avoir un impact agricole, environnemental mais aussi social. On est peut-être un peu – je ne l’espère pas – dans une crise qui pourrait ressembler à celle du phylloxéra à la fin du XIXe siècle. Il faut que nous gardions à l’esprit que nos paysages et, au-delà, le fonctionnement socioéconomique, donc les relations sociales, peuvent être complètement bouleversés dans la France de 2050.

C’est donc un changement de nature qui va s’opérer ?

Le paradigme aujourd’hui, c’est que nous allons passer d’une production que l’on cherchait à maximiser à quelque chose qui sera de l’ordre de la stabilisation. C’est-à-dire que, en moyenne, nous aurons un système pouvant assurer une certaine pérennité à l’exploitation, avec un revenu moyen que l’on peut espérer stabiliser. Dans la trajectoire que nous essayons de développer, l’agroécologie est un des leviers. Nous nous inspirons des processus naturels grâce auxquels un écosystème non cultivé, diversifié, est spontanément plus résilient aux aléas et nous cherchons à adapter cela à des systèmes de culture. La diversification permet vraisemblablement, sur une échelle de plusieurs années, de stabiliser la production en moyenne et d’avoir des revenus plus stables.

  1. Vice-président chargé de la politique internationale à l’Inra. Ce spécialiste reconnu de l’écologie des prairies et des cycles du carbone et de l’azote est notamment membre, depuis 1998, du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC).
  2. Directeur scientifique environnement de l’Inra,
  3. Un nexus est une connexion, généralement là où de multiples éléments se rencontrent.

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2 Responses to Climat et agriculture : changer vite. Oui mais.

  1. TERRENOIRE dit :

    Bonjour,

    pour l’association PARC NATIONAL ZONE HUMIDE EN BOURBONNAIS.
    Il semble que nous allons vers un projet de Parc NATIONAL URBAIN pour les zones humides.
    Un début de création. Voir article de Gibert Cocher dans votre revue en juin 2020 et l’interview de Gilbert Cochet lundi sur France Culture, ainsi que la décision en Commission Assemblée Nationale de mercredi où est envisagé la création d’un nouveau Parc National pour les milieux aquatiques et les zones humides.

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