Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 28 mai 2025 |

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C’est celui qui le dit qui l’est (pas)

L’agriculture américaine se trouve au centre de toutes les attentions depuis le retour de Trump. Et crie à l’assassinat. Le dernier rapport MAHA est un clou de plus sur un cercueil qui commence à être plombé. On saura dans 80 jours qui aura le dernier mot (et ne riez pas, ce qui se passe outre Atlantique peut avoir des conséquences mondiales). C’est le fil du mercredi 28 mai 2025.

Le projet de loi Duplomb, « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », en revenant sur l’application d’une partie des règles qui encadrent l’agriculture, fait couler beaucoup d’encre. Les crispations sont notables sur la question de l’eau, la disparition des insectes, le stockage et l’irrigation, et sur celle de l’utilisation des produits phytosanitaires, sur lesquelles s’affrontent deux visions du monde qu’il sera bien difficile à réconcilier. Sous le regard désabusé d’une grande partie du monde agricole. À l’inverse, de l’autre côté de l’Atlantique, les agriculteurs américains sont, eux, dans la crainte d’un sévère serrement de vis. Le tout récent rapport Make America Healthy Again (MAHA), non dénué de polémiques non plus, fait naître des craintes dans la galaxie des lobbies agricoles dans le pays. Même si les propos du rapport semblent avoir été pesés à la virgule près – « Il est important de noter que le décret établissant la Commission MAHA a demandé aux agences concernées de travailler avec les agriculteurs pour s’assurer que l’alimentation des États-Unis est la plus saine, la plus abondante et la plus abordable au monde. Les agriculteurs américains sont des partenaires essentiels à la réussite du programme « Make America Healthy Again » »-, ils mettent en cause les process de validation des spécialités phytosanitaires largement abondés par les industriels de la chimie eux-mêmes (c’est page 43).

Mauvaise foi

Et c’est bien l’éventualité d’une réforme de ce système qui inquiète le monde agricole alors que Brooke Rollins, secrétaire d’État chargée de l’agriculture qui faisait partie de la commission, a applaudi aux conclusions et propositions du rapport. Dans une remarquable unité, le monde agricole s’est élevé pour critiquer le rapport fustigeant des conclusions basées selon eux sur des données non scientifiques, ou fort anciennes, et pour rassurer sur l’innocuité des produits phytos, non sans mauvaise foi parfois, pour l’homme et la nature… Et certains d’ajouter qu’il ne faudrait pas retirer plus de produits alors « que le pays est déjà sous-équipé par rapport aux autres pays du monde » comme le clame l’association des producteurs de coton de Californie. Pourtant, à bien y regarder, les agriculteurs américains ne sont pas les plus à plaindre en la matière. Une étude publiée en 2019 abordait la question sous l’angle réglementaire et mettait au banc d’essai les États-Unis, l’Union européenne, le Brésil et la Chine. Bref, les quatre plus grands espaces de production agricole du monde comparés à l’aune de leur utilisation des produits phytosanitaires. Et, finalement, on comprend mieux l’activisme du ministre de la santé américain, en dépit de ses incohérences (voir le fil de la semaine passée si vous l’avez manqué, et c’est pas bien).

Un pays en retard ?

L’auteur, Nathan Donley, a passé en revue une liste de 500 substances actives utilisées dans les cultures aux États-Unis et regardé, benoîtement, si d’aventure elles étaient également utilisées ailleurs. Le résultat ne manquera pas de vous surprendre, ou pas, puisqu’une centaine de spécialités utilisées aux États-Unis sont interdites ou en voie d’interdiction dans les trois autres blocs. Dans le détail, 72 spécialités appliquées chez les Américains ne le sont plus en Europe. Comptez 17 pour le Brésil et 11 en Chine. Pour aller plus loin, l’auteur s’est ensuite attaqué aux volumes pour constater que « La majorité des pesticides interdits dans au moins deux de ces trois « pays » (sic) n’ont pas sensiblement diminué aux États-Unis au cours des 25 dernières années et presque tous sont restés constants ou ont augmenté au cours des 10 dernières années. » Sur 1,2 milliard de pounds [livres] de pesticides utilisés par an dans le pays, les produits bannis dans l’Union européenne représentaient 332 millions de pounds, 40 millions en Chine et 26 millions de produits interdits au Brésil. Si l’on regarde plus finement encore on s’aperçoit que 58 % des 85 produits phytos utilisables aux États-Unis mais bannis dans un des trois autres espaces sont des herbicides, 20 % des insecticides et 16 % des fongicides…

Les lobbies au taquet

Plus inquiétante peut-être encore, l’évolution des mesures de retraits de spécialités. Depuis 1970, l’administration américaine a retiré 37 autorisations, mais seulement cinq entre 2000 et 2018, année de l’étude. Aujourd’hui, fait remarquer l’auteur, les retraits du marché sont en très grande majorité (34 contre 1 pour la période 2010-2018) le fait des industriels. Non sans une certaine ironie, il explique ensuite que « lEurope est souvent critiquée par les fabricants de pesticides et les intérêts agricoles comme étant trop protectrice avec des réglementations trop lourdes. Bien que l’UE dispose de moins de terres agricoles que la Chine, la valeur de ses exportations de produits agricoles est supérieure à celle des États-Unis, de la Chine et du Brésil réunis. Par conséquent, l’UE reste très compétitive en tant que grande puissance agricole, bien qu’elle ait interdit de nombreux pesticides agricoles largement utilisés et potentiellement dangereux. » Et pointe du doigt les lacunes réglementaires étatsuniennes, le Federal Insecticide, Fungicide, and Rodenticide Act laissant trop la bride sur le cou à l’Agence de protection environnementale chargée de délivrer ou retirer les autorisations. Il faudra maintenant attendre le mois d’août pour connaître dans le détail les mesures qui découleront de ce rapport. Et l’on pourra évaluer, à cette issue, le poids des lobbies de l’industrie agroalimentaire, de l’agriculture et de l’industrie des intrants.

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